Pourquoi et comment la collaboration entre BNP Paribas et Crésus est-elle née ?

Jean-Louis Kiehl : Crésus est une structure d’origine alsacienne dont la vocation initiale est d’accompagner les ménages en situation de fragilité. Cela consistait initialement à faire du curatif, en accompagnant les personnes dans la reconstruction de leur vie. Malheureusement, trop souvent ces ménages finissent en surendettement. En 2008, nous avons voulu passer du curatif au préventif en nous ouvrant au monde de l’entreprise. Les créanciers sont souvent les premiers à voir apparaître les difficultés financières des ménages. Nous avons donc commencé à construire des partenariats avec des banques et des établissements financiers pour donner une rationalité économique à nos projets et mieux contribuer à la reconstruction des parcours de ces personnes. Aujourd’hui, nous avons 43 partenaires dont BNP Paribas.

Antoine Sire : BNP Paribas Personal Finance, qui opère la marque Cetelem, reste très attentive à son positionnement sociétal. Elle est d’ailleurs la plus engagée contre le surendettement, avec un modèle de « scoring » efficace permettant de ne pas faire de crédits à des clients qui ne seraient pas solvables mais aussi une forte volonté d’accompagner les clients qui se retrouveraient en difficultés. La rencontre entre BNP Paribas Personal Finance et Crésus a donc été naturelle car nous étions à l’écoute de solutions préventives contre le surendettement. Notre filiale de crédit à la consommation Cetelem a été créée dans les années 1950 par des chrétiens sociaux qui souhaitaient permettre à la classe moyenne d’accéder aux équipements ménagers modernes.

 

Comment se matérialise cette collaboration entre BNP Paribas et Crésus ?

Jean-Louis Kiehl : Notre collaboration s’est matérialisée par un service offert aux clients en difficulté. Pour 90% d’entre eux, les banques trouvent des solutions mais pour les 10% restants, nous intervenons en menant des recherches d’aides sociales, des médiations auprès de chaque créancier, des interventions auprès des créanciers publics et privés. La priorité de Crésus est que le ménage reste le client de la banque. Le crédit est une bonne chose lorsqu’il est maîtrisé. Il permet à des gens de retrouver un travail. Il ne s’agit pas ici de rachat de crédit mais de réaménagement du crédit par la résorption de découverts bancaires, le passage en revue des charges et la mise en place d’assurances adaptées. Il s’agit d’une solution efficiente économiquement qui évite que le client se retrouve en situation d’exclusion irrémédiable. Nous accompagnons également les demandes de microcrédit social en faveur d’un public au chômage ou au RSA notamment en coopération avec BNP Paribas Personal Finance pour le financement de projet d’insertion et de cohésion sociale. Cela leur redonne confiance et un coup de pouce en termes d’insertion.

Antoine Sire : Cette collaboration dont parle Jean-Louis concerne notre filiale de crédit à la consommation. Nous avons également un partenariat en ce qui concerne notre réseau d’agencesBNP Paribas a identifié 230 000 clients dits « fragiles » et leur propose une offre spécifique, comme le veut la loi. Chez nous cette offre est gratuite et a été adoptée par 42 000 clients. Nous proposons également à nos clients fragiles la plateforme Axelle sur laquelle ils trouvent des offres les aidant à réduire leurs dépenses contraintes et des services adaptés, y compris une micro-assurance conçue par Crésus. Au-delà, près de 1100 personnes en 2019 ont été orientées vers Crésus pour bénéficier d’un accompagnement budgétaire personnalisé.

 

Quels sont les bénéfices et apports mutuels de cette collaboration ?

Jean-Louis Kiehl : Cette collaboration a permis de créer une véritable alliance entre sphère sociale et économique. Elle présente des apports mutuels en savoir-faire. Le monde bancaire nous a aussi rendu plus responsables. BNP Paribas est par ailleurs devenu l’un des plus importants prescripteurs de clients fragiles vers notre plateforme d’entraide.

Antoine Sire : La crise actuelle est perçue par les banquiers comme un rendez-vous de l’Histoire, un moment de vérité dans la relation avec leurs clients. C’est à partir de la réflexion sur le microcrédit professionnel engagée depuis 1993 avec l’Adie que s’est ajoutée l’idée d’une offre adaptée à la typologie de notre implantation urbaine, cette fois axée autour du microcrédit personnel. Notre partenariat avec Crésus s’inscrit dans cette logique. Il marque notre volonté d’accompagner les personnes qui vivent sur notre terrain d’implantation. L’intérêt est mutuel pour elles et pour nous et notre volonté de travailler en préventif est liée à cela. Avec la crise, il y a eu une accélération des clients transférés via notre plateforme à Crésus, et ce malgré la baisse du surendettement. Ces personnes ne sont pas forcément en situation d’extrême pauvreté mais ont du mal à joindre les deux bouts. C’est important pour la cohésion sociale qu’il y ait un suivi de ces personnes issues de la classe moyenne, car elles ont aussi besoin d’un filet de sécurité. Une banque comme BNP Paribas ne peut certainement pas faire l’impasse sur ces personnes.

 

Avez-vous été confronté à des freins ou à des résistances dans la mise en place et la réalisation de ce projet ? Comment les avez-vous surmontés ?

Jean-Louis Kiehl : Il s’agit de se rapprocher du monde de l’entreprise tout en gardant ses propres valeurs. Il y a une vraie exigence dans le terme « entrepreneur social ». La coopération avec le secteur de la banque présente des défis. C’est une industrie à haut niveau de technicité, avec une exigence et un niveau de qualité important. La coopération avec les industries et les grandes entreprises requiert aussi de la patience car le processus de prise de décision est plus lent, mais une fois la décision prise, tout avance très rapidement. Du jour au lendemain, Crésus a dû, en temps réel, répondre à une croissance des transferts de clients très importante.

Antoine Sire : BNP Paribas a toujours eu une forte culture du bénévolat, avec l’Adie et Crésus notamment. Beaucoup de nos banquiers sont intéressés par ces sujets et œuvrent comme bénévoles. Le mécénat intervient de plus en plus comme un outil d’expérimentation de logiques sociales ou environnementales nouvelles, tout en impliquant toujours plus nos salariés. Il devient un véritable agent de mutation en s’intégrant dans la vie quotidienne du banquier. Cela s’est fait aussi grâce à Crésus.

 

Envisagez-vous d’autres collaborations ?

Jean-Louis Kiehl : Notre grand rêve est de moderniser le microcrédit personnel, accompagné et en ligne. Il a été difficile d’accompagner les gens sur ce front durant la crise. Notre projet est de pouvoir faire cela en ligne, de faire de l’analyse en temps réel, de transférer des dossiers certifiés vers les banques. En contrepartie, nous souhaitons offrir de l’accompagnement des personnes jusqu’au bout. Nous avons une foi dans nos missions éducatives qui aident les personnes à faire les bons choix. Il y a aussi un effort important de pédagogie à faire pour rendre les contrats plus lisibles. L’association plaide au niveau de l’Union européenne sur ce sujet.

Antoine Sire : BNP Paribas soutient l’Ascenseur, tiers-lieu dont les associations Article 1 et Mozaïc RH sont à l’origine. Entièrement dédié aux associations travaillant pour l’égalité des chances, l’éducation ou la réduction de la fracture sociale, L’Ascenseur rend leur combat plus visible, crée des synergies, et attire les contributions de différents acteurs de la société. Cent de nos cadres se sont mobilisés pour rendre ce projet possible. Ce lieu participe à l’hybridation de nos modèles. Nous sommes heureux que Crésus ait accepté de faire partie des 20 associations hébergées à l’Ascenseur.

 

Quels enseignements tirez-vous de vos expériences de collaboration ? Ont-elles eu un impact sur votre façon de travailler, sur vos collaborateurs ou sur votre RSE de manière plus générale ?

Jean-Louis Kiehl : Aujourd’hui Crésus coopère de plus en plus avec des opérationnels du risque et de la « compliance », ce qui nous permet de progresser. Cette hybridation est véritable et doit avoir un impact.

Antoine Sire : Il y a une vraie envie dans l’entreprise de travailler avec le monde associatif et celui de l’ESS. La quête de sens est réelle et il y a une forte demande de nos collaborateurs en ce sens. 200 cadres de BNP Paribas sont aujourd’hui des mentors pour l’association « Nos quartiers ont du talent », l’un des premiers acteurs avec qui nous avons travaillé en bénévolat dans le cadre de notre « Projet Banlieues ». Notre programme « One million hours to help » propose à horizon 2021 un million d’heures payées par an pour aider les associations dans leur quotidien. C’est un signal fort envoyé à nos collaborateurs qu’ils ont le pouvoir et le devoir dans leur mission quotidienne de travailler sur ces sujets. Nous croyons en la théorie de la base de la pyramide de l’entreprise : quand l’entreprise incite ses collaborateurs à s’intéresser plus à la vie réelle, cela accroît son réalisme.

 

Comment favoriser l’essor de ce type de collaborations ? Quels sont les facteurs qui selon-vous favoriseront ces collaborations ? La réglementation, la quête de sens ?

Jean-Louis Kiehl : Cela va dans le sens de l’évolution de la société. Il n’est pas toujours nécessaire d’avoir des règlements, des lois ou des interventions de l’État pour avancer. Il faut des initiatives conjuguées à impact économique. L’entreprise doit rester profitable même si elle fait du mécénat. Nous avons la volonté de démontrer que l’on peut apporter de l’efficacité en travaillant pour une société plus inclusive, en évitant d’écarter les personnes plus fragiles et cette crise révèle que nous sommes tous fragiles. Les entreprises doivent pour cela davantage s’ouvrir à l’ESS, à l’hybridation que ces collaborations permettent.

Antoine Sire : Les salariés jouent un rôle majeur mais il ne faut pas négliger non plus le rôle joué par les actionnaires. Prenez Calpers, premier fonds de pension du monde, qui gère les retraites de tous les fonctionnaires de Californie. Naguère cet organisme avait pour unique objectif la performance financière de ses fonds. Aujourd’hui, avec la situation que traverse la Californie, les bénéficiaires des retraites servies par Calpers commencent à poser des questions qu’ils ne posaient pas il y a 15 ans. Ceci implique que Calpers va vouloir investir dans des entreprises à la fois engagées et profitables et ils le feront savoir. Ce sont aussi les parties prenantes qui évoluent.

 

BNP Paribas est la première banque des entreprises et des exportateurs européens. En réaffirmant dans son texte de « raison d’être » publié en début d’année 2020 son ambition d’être un leader mondial de la finance durable, BNP Paribas entend agir pour contribuer à une croissance responsable et durable à travers l’ensemble de ses métiers.

Crésus est un réseau d’associations fédérées à but non lucratif dont la mission est d'accompagner des personnes en situation de fragilité économique en les préservant de l’isolement. Elle agit en faveur de la prévention de l’exclusion financière, économique et sociale par des interventions, des formations et des actions pédagogiques.

 


 

Les facteurs clés de succès du partenariat

Par Yohann Marcet, Directeur de GROUPE SOS Consulting

La réussite de cette collaboration réside dans une volonté forte des deux acteurs de se rapprocher pour servir une ambition commune : lutter contre le surendettement qui touche plusieurs centaine de milliers de personnes chaque année en France. Pour Crésus, cet engagement constitue l’ADN même de l’association et cette alliance avec l’une des principales banques françaises lui permet de nettement renforcer son action en prenant en charge ses bénéficiaires beaucoup plus en amont. Côté BNP Paribas, cette coopération sert un triple objectif : soutenir l’engagement sociétal de l’entreprise, mettre en place des mesures préventives pour limiter les situations financières difficiles chez ses clients, mieux connaître et accompagner des publics nouveaux. Crésus apporte ainsi la maîtrise de l’accompagnement social des publics fragiles quand BNP Paribas sait identifier les difficultés très en amont tout en permettant l’utilisation, lorsque cela est nécessaire, de l’effet levier positif que peut constituer l’endettement. Un partenariat qui illustre bien la stratégie gagnante de l’alliance de l’impact économique et social au service de la qualité de l’offre de service d’une entreprise et de sa RSE.