Bouygues Immobilier est la société de promotion immobilière du groupe Bouygues, organisée en régions. La société développe des projets de logements, d’immeubles de bureaux, de commerces, de résidences gérées, d’hôtellerie et d’aménagement de quartiers durables. Toutes ces activités ayant un fort impact, Bouygues Immobilier a pour ambition de répondre aux grands enjeux urbains, à la fois environnementaux et sociétaux, en maximisant ses impacts positifs (régénération urbaine, emploi local, etc.) et en réduisant ses impacts négatifs (émissions de CO2, biodiversité, ressources, etc.) pour apporter du mieux-vivre en ville.  

Le Centsept est une association qui fait émerger et développe des projets à impact social et environnemental pérennes qui répondent aux besoins des habitants de la Métropole de Lyon, et plus largement de la Région Auvergne-Rhône-Alpes. Son principe d’action : co-construire ces projets avec les collectivités locales, les grandes entreprises, les associations et les entrepreneurs sociaux, en s’appuyant sur l’intelligence collective et l’innovation sociale.

Bérengère Bouvier, Directrice Régionale Auvergne Rhône Alpes chez Bouygues Immobilier

Florence Lécluse, Directrice du CentSept

Pouvez-vous revenir sur la genèse de cette collaboration ?

Florence Lécluse : Le Centsept est né il y a cinq ans avec l’ambition de décloisonner le domaine économique et le domaine social pour répondre aux besoins des habitants de la métropole de Lyon. Très vite, le besoin de collaborer avec des grandes entreprises intéressées par leur impact social et environnemental est arrivé. Travailler avec Bouygues Immobilier, qui en tant que promoteur et constructeur de la ville est un acteur proche des habitants des quartiers lyonnais, était l’occasion pour nous de sensibiliser le groupe et ses employés à l’ESS en les aidant à travailler avec des entrepreneurs sociaux.

Bérengère Bouvier : Bouygues Immobilier a été séduit par l’approche du CentSept, qui faisait écho à notre stratégie d’entreprise. Nous avions réalisé depuis plusieurs années déjà que notre métier allait bien au-delà de la construction et que nous devions travailler très en amont de façon pluridisciplinaire, avec une approche décloisonnée mêlant les acteurs de l’environnement, du social, de la santé, de la mobilité... Les projets à fort impact sociétaux en local et l’envie d’agir avec des acteurs de l’ESS étaient cohérents avec notre stratégie, c’est pour cela que nous avons rejoint l’association avec l’envie de nous investir dans les différentes réflexions menées par Le Centsept et tous ses membres. Nous étions aussi heureux de pouvoir rencontrer d’autres acteurs du territoire lyonnais, quelles que soient leur taille ou leur activité. 

Quels projets concrets en lien avec le cœur de métier de Bouygues Immobilier avez-vous développés ?

Florence Lécluse : La première action concrète dans laquelle Bouygues Immobilier s’est investi a été notre programme d’accélération, dont l'objectif est de développer les projets des entrepreneurs sociaux en facilitant la collaboration avec des grands groupes partenaires du Centsept. Via des rencontres et des ateliers collaboratifs, nous aidons ces acteurs à co-construire et imaginer des projets communs. Par exemple, nous avons travaillé sur la possibilité d’intégrer un projet d’école porté par une entrepreneure sociale, au bas des immeubles liés aux opérations de Bouygues Immobilier. Un autre exemple est le réseau de soutien aux personnes sans-abri Entourage, qui s’est avéré être complémentaire aux projets de Bouygues Immobilier dans les quartiers fragiles.

Bérengère Bouvier : Au-delà d’accompagner l’entrepreneur pour affiner son modèle économique, notre première action pour soutenir ce projet d’école a été de trouver des lieux dans nos socles actifs, c’est-à-dire des rez-de-chaussée dans nos projets immobiliers. Nous avons tenté à plusieurs reprises d’intégrer dans nos projets des espaces ouverts sur les quartiers, des lieux d’accueil pour les services et les commerces d’activité mais ces tentatives n’ont pas toujours abouti car elles avaient encore besoin de maturation. L’idée d’intégrer cette école a été tout à fait positive. Nous avons initié d’autres collaborations avec des entrepreneurs du CentSept spécialisés dans les domaines de la biodiversité, de l’agriculture urbaine ou encore des cantines solidaires en lançant des consultations pour qu’ils puissent investir des pieds d’immeubles disponibles. Il n’y a pas encore eu de réalisations concrètes à date sur ce point, cela prend du temps. Actuellement, nous nous attaquons à la problématique des déchets et du réemploi dans le secteur de la construction au travers de la Station R, un lieu de stockage et de revente de matériaux de construction. Un projet qui fait écho à la stratégie de Bouygues Immobilier qui est de diminuer l’impact environnemental des projets immobiliers :  réduire leur empreinte carbone (économie circulaire, construction bas carbone), lutter contre le réchauffement climatique et la prise en compte de la biodiversité dans nos projets. L'objectif est de répondre à de futurs appels d’offres en utilisant cette plateforme BtoB responsable en matière de déchets et de réemploi de matériaux de construction.

Cette décision est-elle liée à contrainte des marchés publics ou est-ce une prise de conscience RSE de Bouygues Immobilier ?

Bérengère Bouvier :  La dimension d’achat responsable chez Bouygues Immobilier existe depuis un certain temps (clause d’insertion…). Nous avons également pris des engagements forts pour diminuer notre impact environnemental. Cela se traduit par des objectifs chiffrés pour diminuer l’émission des GES, diminuer notre impact négatif à travers le réemploi, le recyclage, ainsi que la valorisation des déchets et des matériaux. C’est donc plus une orientation stratégique qu’une question de respect d’une règlementation.

Florence Lécluse :  En 2019, nous avons lancé un nouveau programme de « Laboratoire d’innovation sociale » dédié à l’économie circulaire et le bâtiment. Le principe est de partir d’une problématique de terrain et de réunir des acteurs publics ou privés concernés pour imaginer et tester des solutions innovantes. Sur cette thématique précise, nous rencontrions les enjeux métiers de Bouygues Immobilier, et plus largement nous nous inscrivions dans un contexte national et local favorable à une prise en compte des enjeux de l’économie circulaire dans le secteur du bâtiment. Nous avons réuni une quinzaine d’acteurs, Bouygues Immobilier bien sûr mais aussi Saint Gobain, le bailleur social Lyon Métropole Habitat, la Métropole de Lyon, ou encore la Fédération Française du Batiment, les associations ENVIE et Mineka, etc. C’est dans ce cadre qu’est né le projet Station R, plateforme BtoB de matériaux de réemploi, avec le soutien de Bouygues Immobilier. Ce partenariat est clé puisque l’entreprise joue un rôle de challenger sur les critères techniques, économiques et assurantiels du projet. Et nous savons qu’à terme, il s’agira d’un client bienveillant !

Avez-vous été confrontés à des freins ou à des résistances dans la mise en place et la réalisation de ce partenariat ?

Bérengère Bouvier : La question de la mise en œuvre est parfois plus compliquée qu’elle n’y paraît. Nous avons été confrontés à des freins juridiques, fiscaux et assurantiels sur le réemploi de matériaux notamment. Ces freins, il faut les lever pour pouvoir réaliser ces différents projets et cela peut prendre du temps car les enjeux sont relativement nouveaux. Dans notre collaboration avec le CentSept, je vois une manière tangible d’embarquer nos collaborateurs et d’acculturer notre chaîne de valeur à ces enjeux de développement durable. Ces actions sont parfois plus efficaces que l’écriture de longs documents stratégiques.  

Florence Lécluse : Nous agissons sur des questions et des filières nouvelles. Dans les organisations, il faut encore lever des blocages internes, comme la résistance aux changements liés à l’économie circulaire. Dans le domaine du bâtiment, le temps de construction est long et dure plusieurs années. C’est un frein qu’il faut prendre en compte pour faire avancer et mener à bien les projets.

Au-delà des projets communs menés ensemble, quels enseignements tirez-vous de ce travail entre entreprises sociales et grands groupes ?

Bérengère Bouvier : Notre groupe s’est ouvert à l’open source et à l’open innovation avec des méthodes comme le design thinking ou l’intelligence collective, qui font maintenant partie intégrante de notre façon de travailler. Nous avons également une démarche plus ouverte de co-création avec des acteurs externes dès la phase de conception et de construction. L’année dernière, j’ai également lancé, avec le CentSept, un challenge à mes équipes, avec pour défi de réfléchir à un projet ayant un impact environnemental fort sur le territoire. Après plusieurs séances de travail collectif, les collaborateurs ont choisi comme thème l’économie circulaire avec la création d’un bâtiment à déchets négatifs. Derrière cette idée, je vois surtout une prise de conscience forte de nos collaborateurs autour de l’impact de nos activités. À ce stade, nous ne sommes plus dans la sensibilisation mais dans l’acculturation, la levée de freins, et la mise en œuvre de moyens pour arriver à un véritable changement.

Florence Lécluse : Notre travail avec un promoteur immobilier tel que Bouygues Immobilier nous permet d’imaginer comment faciliter la mobilité et les liens sociaux dans certains quartiers. Grâce à cette collaboration, tout cela n’est plus de l’ordre de la théorie mais bien un travail concret avec des acteurs privés qui comprennent les besoins territoriaux et qui apportent des réponses différentes.

Quels sont les nouveaux projets que vous envisagez ?

Florence Lécluse : Nous poursuivons notre programme d’accélération qui comprend des ateliers « alliances innovantes » dans lesquels sont représentés des entreprises et des entrepreneurs sociaux. Nous souhaitons aussi voir émerger des projets d’accompagnement de migrants sur les métiers en tension du territoire comme dans les filières textiles ou les mobilités. Nous aimerions familiariser ces personnes au monde du travail en France et acculturer les entreprises à accueillir des personnes différentes.

Bérengère Bouvier : Ce projet va nous permettre de travailler sur un autre volet : l’innovation managériale et la formation des collaborateurs. Nos programmes de formation se concentrent surtout sur les compétences métiers et pas assez sur les soft skills. Nous voulons aujourd’hui mettre aussi l’accent sur le développement de compétences humaines dans nos parcours de formation : communication interpersonnelle, management inclusif, management de la diversité, mécénat de compétences… C’est une nouvelle brique qui rentre complétement dans la notion d’interdépendance et de connexion entre différents acteurs d’un territoire et créer de la valeur collectivement.

Comment favoriser ce type de collaboration entre grands groupes et acteurs de l’ESS sur les sujets d’intérêt général ?

Bérengère Bouvier : À travers des exemples concrets et la mesure impact. Des projets tangibles qui répondent à de véritables besoins, c’est la seule façon d’avancer et de donner envie à d’autres.

Florence Lécluse : Nous pouvons aussi démontrer nos résultats en mesurant notre impact. Mais là, la question est complexe : comment mesurer l’impact territorial d’un projet multi-partenarial ? Aujourd’hui, nous mesurons les résultats (grâce à des indicateurs liés à l’emploi, à la gestion des déchets...) mais je pense que les notions plus intangibles doivent également être mesurées et qualifiées - que produisent ces collaborations par exemple ? - un sujet que le Centsept tient à développer ces prochaines années.

L’exemple de Bouygues Immobilier en région lyonnaise inspire-t-il d’autres unités régionales du groupe ?

Bérengère Bouvier : Il existe effectivement un retour d’expérience et un partage au sein du groupe. Si nos collègues ont des questions, nous faisons en sorte d’y répondre pour inspirer de nouvelles actions, sur d’autres territoires. L’ancrage local est la source principale d’idées et d’innovation, il ne faut pas perdre cela de vue.

Florence Lécluse : Comment diffuser dans d’autres régions ? Cela dépend aussi de la volonté des grands groupes. La diffusion de bonnes pratiques par des événements pourrait être une bonne façon d’embarquer plus largement d’autres entreprises. La route est longue mais c’est le chemin qui est le plus beau !

Les facteurs clés de succès du partenariat

Par Yohann Marcet, Directeur de GROUPE SOS Consulting

Aujourd’hui, les grandes entreprises vivent un nouveau tournant : après les transformations liées au digital, elles connaissent une nouvelle révolution, celle de la prise en compte de leur impact social et environnemental. Un mouvement de fond, qui implique l’ensemble de leur chaîne de valeur, pousse les entreprises à développer des activités plus résilientes et à repenser leur rapport à leur environnement. Cette collaboration démontre bien la façon dont un grand groupe tel que Bouygues Immobilier est capable d’innover socialement sur son territoire, en lien avec sa volonté de favoriser l’impact positif de ses projets immobiliers pour apporter du « mieux-vivre » en ville et répondre aux attentes des citoyens et des pouvoirs publics en matière de lien social et d’attractivité économique. L’open innovation sociétale, telle qu’illustrée dans cet exemple, permet ainsi de directement répondre à un double enjeu pour le groupe et sa direction régionale : innover avec des entrepreneurs sociaux de terrain pour maximiser l'impact de ses activités et aussi, sensibiliser les collaborateurs et les différents départements de l’entreprise à l’innovation et à de nouvelles façons de travailler, plus agiles. Ce type de collaboration est une stratégie gagnante à court, moyen et long terme puisqu’il contribue à clairement développer l’avantage concurrentiel de l’entreprise, tout en répondant directement aux besoins et aux spécificités du territoire.