Durement frappée par la pandémie de Covid-19, l'Europe traverse une crise sanitaire aux conséquences macro-économiques importantes, tant pour les marchés financiers que les entreprises ou les budgets nationaux. Léo Lictevout, Rédacteur chez Toute l'Europe, dresse un état des lieux des instruments dont dispose aujourd’hui l’Union européenne pour éviter de sombrer dans une violente crise économique ; ou, tout du moins, pour en limiter les effets.

Des aides financières directes et indirectes
Dès le lendemain du « lundi noir » connu par les bourses européennes le 9 mars dernier, les chefs d'État et de gouvernement de l'Union européenne se sont réunis en Conseil européen extraordinaire par visioconférence. Alors que plusieurs ministres et responsables avaient déjà appelé à la mise en place d'un plan de relance coordonné au niveau européen, la présidente de la Commission européenne a annoncé le 13 mars la création d'un premier fonds d'investissement de 37 milliards d'euros (alors que 25 milliards étaient prévus initialement), issus des fonds normalement dédiés à la politique de cohésion. L'objectif : soutenir les systèmes de santé nationaux, mais également les entreprises et les travailleurs touchés par les conséquences de l'épidémie.
Ce fonds sera cofinancé par les États membres et par le budget européen. Bruxelles entend notamment fournir un apport d'un milliard d'euros, en garantie au Fonds européen d'investissement, afin de mobiliser auprès des banques un total de 8 milliards d'euros d'aides aux PME et ETI, par effet de levier.
À la manière des fonds de cohésion, l'Union européenne peut affecter plusieurs instruments financiers existants à la lutte contre la crise : elle dispose en effet de plusieurs fonds européens aux champs d'application très larges, qu'elle peut ainsi mobiliser. C'est notamment le cas du Fonds européen d'ajustement à la mondialisation (qui dispose de 179 millions d'euros pour l'année 2020), ou du Fonds de solidarité de l'UE (800 millions d'euros), que Bruxelles a sollicité.
Le 9 avril, les ministres des Finances de l'Eurogroupe se sont par ailleurs entendus sur un plan massif de soutien à l'économie européenne, à hauteur de 540 milliards d'euros. Ce plan comporte un recours au Mécanisme européen de stabilité (MES) permettant de lever 240 milliards d'euros, ainsi que 200 milliards d'euros en provenance de la Banque européenne d'investissement (BEI), et jusqu'à 100 milliards dédiés à un fonds de soutien au chômage partiel. Un plan approuvé par les 27 chefs d'État et de gouvernement lors du Conseil européen du 23 avril.


Assouplissement des règles européennes
En situation d'urgence sanitaire et économique, l'Union peut être amenée déroger à certaines règles. Dans le domaine de la concurrence, elle a notamment autorisé les États à fournir des aides publiques exceptionnelles (comme des reports d'impôts ou des allègements de charges, normalement interdits) aux secteurs économiques à risque, ainsi qu'à procéder à des mesures de sauvetage en dernier recours.
Si l'assouplissement des règles sur les aides d'État avait déjà été instauré par le passé, d'autres règles économiques n'avaient jusqu'alors jamais été touchées, même en cas de crise. C'est notamment le cas des règles budgétaires, qui encadrent le déficit des États membres de l'UE : cette « règle d'or », introduite en 1993, impose aux États de contenir leur déficit public en dessous de 3% du PIB (produit intérieur brut) et leur dette en dessous de 60% du PIB. Lundi 23 mars, les ministres des Finances de l'UE ont acté la suspension temporaire de ces règles. Une décision prise pour laisser plus de latitude aux États pour investir dans la lutte contre l'épidémie, sur les plans sanitaire et économique. Même les Pays-Bas et l'Allemagne, pourtant défenseurs historiques de l'orthodoxie budgétaire, ont approuvé cette suspension.
Certains des États les plus touchés par la pandémie, comme l'Italie, l'Espagne ou encore la France, comptent aussi parmi les plus endettés de l'Union européenne (95% du PIB en 2018 pour la France). Pris en étau entre des objectifs de rigueur budgétaire et l'urgence sanitaire, ils souhaiteraient pouvoir continuer à s'endetter et accueillent donc très favorablement cet assouplissement des règles. Cette perspective inquiète néanmoins les États aux finances publiques plus « saines », comme les Pays-Bas ou l'Allemagne, qui s'opposent à l'accroissement des dettes de leurs voisins. Berlin et La Haye craignent en effet que ces dettes grandissantes déstabilisent la zone euro et plongent le continent dans une crise comparable à celle partie de Grèce en 2009.


Faciliter l'endettement et rassurer les marchés
La France, l'Espagne et l'Italie continuent pour leur part de défendre des mesures exceptionnelles d'investissement – donc d'endettement – mais entendent en mutualiser la charge. Pour cela, plusieurs approches sont proposées par leurs gouvernements :

  • L'utilisation du Mécanisme européen de stabilité (MES) : créé en 2012, ce mécanisme fait office de « FMI européen ». Il peut financer la dette nouvellement émise des États à des taux d'intérêts plus faibles que ceux des marchés, auprès desquels les États empruntent habituellement. Il peut également racheter les obligations déjà émises sur les marchés, mais dont la valeur chuterait, pour en relever le cours. Le MES dispose d'un capital de 700 milliards d'euros, constitué entre 2012 et 2014 par des contributions des budgets nationaux. Ce mécanisme permettrait ainsi de racheter la dette des États qui éprouvent des difficultés à se financer. Il permettrait de transférer le « poids » de ces obligations du niveau national au niveau de la zone euro. Longtemps débattue, notamment au sujet des conditions qui accompagneraient une éventuelle aide financière à destination des pays les plus touchés, la mobilisation du MES a finalement été approuvée par l'Eurogroupe le 9 avril, assortie de conditions minimales.
  • La création de « corona bonds » : cette proposition reprend l'idée des eurobonds, ou « Euro-obligations », avancée au début des années 2010. Elle va plus loin que le Mécanisme européen de stabilité dans le principe de solidarité entre les membres de la zone euro. En effet, pour les États membres, il ne s'agit plus simplement de financer une institution chargée de racheter les dettes des pays en difficulté. Le principe du corona bond consiste directement à émettre des obligations de dette, non pas nationales, mais communes à la zone euro. La mise en place d'un tel dispositif permettrait ainsi de mutualiser intégralement la dette contractée par les pays de la zone euro, dans le cadre de la lutte contre la pandémie de Covid-19. Et donc de permettre aux États les plus fragiles financièrement de bénéficier de la crédibilité des États plus vertueux comme l'Allemagne. Mais cette option, qui n’est pas été retenue par le Conseil, n’a pas été approuvée ou discutée lors de l’Eurogroupe du 9 avril. Ces deux propositions, en mutualisant une part de l'endettement des États, visent à rassurer les marchés d'obligations. En temps normal, si un État est plus durement touché par la crise, sa capacité de remboursement est mise en doute, inquiète les investisseurs et entraîne une hausse des taux d'intérêt à l'emprunt. La mise en place de « filets de sécurité » institutionnels et d'une solidarité au niveau européen est ainsi censée contenir cette envolée, et permettre aux États de s'endetter en limitant les risques. La Banque centrale européenne peut également jouer ce rôle de filet de sécurité ; elle l'a d'ailleurs joué lors de la crise des dettes souveraines, entre 2015 et 2018. En achetant des titres de dette sur les marchés, la BCE fait baisser les taux d'emprunt, permettant aux États – et aux entreprises – de s'endetter à moindre coût. Le 18 mars dernier, la BCE a ainsi annoncé son intention de racheter 750 milliards d'euros d'actifs supplémentaires sur les marchés, portant le plan de rachat total à 1050 milliards d'euros sur l'année 2020. Un montant record, dépassant même les opérations de rachat menées par l'institution au cours de la crise de la zone euro.

 

Texte rédigé par Léo Lictevout, Rédacteur de Toute l'Europe

Créé en 1992 comme Centre d'information sur l'Europe. Toute l’Europe propose une information pédagogique sur le fonctionnement et les politiques de l'Union européenne ainsi qu'un décryptage de l'actualité européenne dans toutes ses dimensions. Au cœur d’un réseau européen extrêmement riche, Toute l’Europe relaie les analyses afin de confronter différents points de vue et d’alimenter le débat sur les grands enjeux européens. Proche des associations, cercles de réflexion, médias, mais aussi des experts, hauts fonctionnaires et Eurodéputés grâce à une équipe de journalistes présente à Bruxelles et Strasbourg aux sessions plénières du Parlement européen, Toute l’Europe propose une approche plurielle et donne un aperçu de l’Europe dans sa diversité.

Christophe Préault, Directeur Général de Toute l'Europe, accompagne l'Institut des Hautes Études de l'Entreprise lors du déplacement de celle-ci à Bruxelles dans le cadre de sa formation : la Session Annuelle

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