Jessica Vonderscher, Cheffe du service Travail d’intérêt général (TIG), auditrice de la promotion 17 de la Session Annuelle de l’IHEE, partage la façon dont le service a pu s’adapter pour poursuivre ses missions tout en élaborant un plan de sortie de crise. Outre ses activités habituelles, en majorité réalisables à distance et donc assez peu impactées par le confinement, le service du TIG a dû décider en urgence de suspendre l’exécution de mesures pendant la crise, revoir son plan de charge pour les mois à venir et trouver comment animer le réseau des référents territoriaux afin de maintenir leur motivation intacte. Par ailleurs, le service a dû déjà établir un plan de sortie de crise pour déterminer comment exécuter dans les meilleurs délais et conditions ces nombreuses condamnations en attente – celles qui n’auront pu être exécutées pendant la crise, et celles qui auront été prononcées pour les infractions aux règles du confinement. Et ce avec une inconnue : la situation de ses structures d’accueil après crise.

   

 

L’Agence du travail d’intérêt général et de l’insertion professionnelle des personnes placées sous main de justice (ATIGIP) a été créée en décembre 2018. Notre mission au sein du ministère de la Justice est de développer le travail d’intérêt général, le travail pénitentiaire et l’insertion professionnelle pour faciliter la réinsertion des personnes condamnées et limiter ainsi la récidive et par conséquent réduire la délinquance.

Le TIG est une peine prononcée par un tribunal. La personne condamnée doit effectuer gratuitement un travail pour une collectivité territoriale, une association, ou encore une entreprise chargée d’une mission de service public. À titre d’expérimentation, une entreprise de l’ESS (Économie sociale et solidaire) ou une société à mission pourra également accueillir une personne en TIG dans 20 départements pilotes.

Le service du TIG est l’un des trois services de l’ATIGIP avec le service de l’emploi pénitentiaire, basé à Tulle, et le service des politiques et de l’accompagnement vers l’emploi. Il comporte 10 collaborateurs basés à Paris ainsi qu’une équipe de développeurs. Une partie travaille sur le pôle « innovation numérique » en construisant une plateforme numérique permettant de recenser l’ensemble des postes de TIG existants sur tout le territoire. À terme, il sera également possible de visualiser en temps réel l’occupation des postes, de faire des réservations afin de garantir l’adéquation du poste avec la personnalité du condamné, ses besoins en terme de réinsertion, ses compétences et les besoins de la structure d’accueil. 
La seconde partie de l’équipe évolue sur le pôle « architecture du TIG ». Ses collaborateurs ont notamment pour missions d’animer un réseau de référents territoriaux, de développer les partenariats nationaux et de faciliter l’exécution de la peine en simplifiant les procédures (affectation, certificat médical, transport, …).

L’équipe parisienne est renforcée par un réseau de référents territoriaux basés dans les départements, pour être au plus près des territoires.

Où en étions-nous avant la crise ?

Plusieurs grands événements devaient jalonner le printemps 2020 : L’arrivée de nouvelles recrues, deux regroupements de nos référents territoriaux en mars et juin, le recrutement de la deuxième promotion desdits référents, le déploiement de 34 partenariats nationaux signés en novembre 2019, le lancement de deux expérimentations, l’une en partenariat avec le Haut-commissariat à l’ESS permettant d’accueillir des personnes en TIG dans les entreprises de l’ESS et notamment les sociétés commerciales, l’autre avec l’AFPA pour développer un TIG pédagogique sous la forme d’ateliers préparant au retour à l’emploi. Le mois de mai devait surtout être celui de l’ouverture de notre plateforme numérique TIG360° à plus de 18.000 organismes d’accueil.

Nous avons été impactés par la crise dès le début de celle-ci et je dirais presque avec une semaine d’avance. Notre réseau des référents territoriaux est réuni trois fois par an en séminaire dans une ville de province. Mulhouse avait été choisie en raison de son modèle social et numérique innovant pour nous accueillir du 9 au 12 mars dernier.

Dès le mercredi 4 mars, soit le lendemain de l’annonce du cluster alsacien, nous étions à l’affût des informations : Annuler purement et simplement le séminaire ou le délocaliser ailleurs en France ? Quelle était la situation dans les autres régions ? À Paris ? Quel était le risque pour nos collaborateurs qui venaient de toute la France ? Nous avons in fine pris la décision d’annuler ce séminaire au vu de la vitesse de propagation de l’épidémie à l’extérieur des clusters.

Ces quelques jours nous ont permis de préparer nos équipes parisiennes à la suite : Le télétravail pour tous, tous les jours, pendant une durée que nous avons estimée dès le début supérieure à celle annoncée au vu de ce qui se passait dans les pays voisins.

Dès le premier jour du confinement, nous nous sommes d’ailleurs fixés une date de « retrouvailles ». Déterminer une telle date dès le premier jour permettait à l’équipe de se projeter sur le moyen terme sans ajouter une énième incertitude à toutes les questions que nous nous posions tous. Elle permettait surtout à notre réorganisation de perdurer sur le moyen terme sans être continuellement ajustée.  La date du 12 mai a donc été arrêtée dès le mois de mars et nous avons encore espoir qu’elle soit maintenue ! 

La réorganisation du fonctionnement de l’équipe parisienne

Notre charge de travail a très rapidement augmenté. Outre l’activité habituelle qui était en majorité réalisable à distance et donc assez peu impactée par le confinement, il nous a fallu décider en urgence de la suspension de l’exécution des mesures de TIG pendant la crise, revoir notre plan de charge pour les mois à venir et penser les nouvelles modalités de déploiement de plusieurs événements comme le recrutement de la deuxième promotion de référents territoriaux ou l’ouverture de la plateforme numérique TIG360°. Il nous fallait aussi trouver comment animer notre réseau des référents territoriaux afin de maintenir leur motivation intacte sur la durée tout en préparant un plan d’action pour l’après-crise.

Notre objectif était alors le suivant : Garder des équipes motivées, tenir sur la durée pour les retrouver en forme à l’issue du confinement. Il est en effet nécessaire de prendre en compte la spécificité du télétravail qui nous est imposé. Ce n’est absolument pas la même chose d’être en télétravail choisi une ou deux journées par semaine et en télétravail imposé 5 jours sur 7. La fatigue mentale supplémentaire induite par le confinement, la présence d’enfants au domicile ou l’isolement pour ceux qui vivent seuls, la taille réduite du logement de certains, les difficultés de santé des proches pour d’autres sont des éléments à garder à l’esprit si on veut éviter que tout le monde frôle le burn-out en 15 jours.

Continuer à travailler dans les meilleures conditions possibles dans une telle situation revenait donc à maintenir une cohésion entre les équipes et à trouver les outils numériques les plus adaptés. 

Maintenir le lien, c’est le rôle que nous avons assigné à notre « café virtuel » autour duquel nous nous retrouvons tous les matins en visio-conférence à 9h. Cela nous permet de prendre des nouvelles des uns et des autres et de balayer les priorités de la journée. Cela nous force aussi à maintenir un rythme quotidien, ce qui est primordial pour tenir sur la durée tout en permettant un temps d’échange plus informel. 

Comme beaucoup d’autres personnes, la visio-conférence est devenue notre meilleure amie. Le temps pour nos partenaires de se réorganiser de leurs côtés, nous avons pu maintenir la quasi-totalité de nos réunions et qui plus est dans de bonnes conditions. L’utilisation d’un outil avec visio-conférence était pour nous indispensable pour limiter les déperditions liées à l’absence de communication visuelle. Les fonctionnalités de partage de document qu’offre cet outil permettent aussi de travailler avec tous les participants sur le même visuel ce qui est bien plus efficace que de simples échanges de mails ou audio.

D’une certaine façon nous avons également été chanceux. Notre équipe est en déplacement sur l’ensemble du territoire au moins 3 jours sur 5 en temps normal. Nous étions donc en demande depuis plusieurs mois d’un outil collaboratif nous permettant de travailler à distance. Celui-ci est arrivé début février avec l’accès à WIMI-PLANO. Cela peut paraître anodin, mais au sein du ministère de la Justice nous étions la première équipe à tester un tel outil : Permettre l’accès à une base de données sécurisée à distance tout en ayant des fonctionnalités de visioconférence, de chat et de planification des tâches faisait encore partie d’un rêve lointain il y a quelques mois ! PLANO a également l’avantage d’être accessible depuis nos ordinateurs ou tablettes personnels, ce qui a été bien pratique lorsque les serveurs professionnels n’ont pas supporté la montée en puissance pendant les premiers jours de la crise. 

Dès début mars nous avons accéléré le déploiement de cet outil en invitant tous nos collaborateurs à enregistrer au plus vite toutes leurs bases de données sur PLANO pour pallier tout risque ultérieur de dysfonctionnement du réseau internet ou de leurs ordinateurs professionnels.

Le temps gagné grâce à cet outil nous permet de nous concentrer, outre nos tâches habituelles, sur la réalisation d’un plan d’action de sortie de crise.

Celui-ci est dans nos têtes depuis le début. En effet, les mesures de TIG doivent être exécutées dans un délai maximal légal de 18 mois. L’état d’urgence sanitaire imposait de suspendre l’exécution de ces mesures pour protéger la santé à la fois de nos partenaires et des personnes exécutant cette peine. L’objectif était également de ne pas surcharger les équipes des services pénitentiaires et judiciaires avec le suivi de ces mesures alors même que tous les personnels du ministère de la Justice étaient aussi soumis à des effectifs réduits et à une surcharge d’activité pour diminuer la surpopulation carcérale.

Outre les mesures qui n’auront pu être exécutées pendant la crise, nous nous attendons à un afflux supplémentaire avec les peines qui auront été prononcées prioritairement pour les infractions aux règles du confinement ainsi que dans le cadre des aménagements de peine de prison qui peuvent comporter l’obligation d’exécuter un TIG.

Établir un plan de sortie de crise c’est donc déterminer comment exécuter dans les meilleurs délais et conditions ces nombreuses condamnations en attente avec une inconnue : La situation de nos structures d’accueil après crise. Quelles seront leurs difficultés économiques et sociales ? Seront-elles encore en capacité d’accueillir des personne en TIG ? Faudra-t-il trouver en urgence de nouvelles structures d’accueil ? Autant de réponses auxquelles nous devront répondre rapidement si nous voulons voir le système perdurer avec efficacité.

Deux de nos collaborateurs ont pris leurs fonctions en mars et avril. Leur permettre de rejoindre l’équipe dans les meilleures conditions possibles était également une priorité. Leur intégration s’est faite autour du fameux café virtuel dès avant leur arrivée. Nous accueillons en parallèle deux stagiaires en fin d’études. Il était également important qu’ils puissent terminer leur stage auprès de nous en étant actifs. Ils continuent à participer à l’ensemble de nos réunions et à travailler auprès de leurs référents comme ils le faisaient sur site.

L’animation du réseau des référents territoriaux

Les référents territoriaux du TIG sont la pierre angulaire du service du TIG. Ce sont eux qui sont sur le terrain pour aller démarcher, rassurer et accompagner nos structures d’accueil. Ils sont en poste depuis septembre 2019, tous extrêmement volontaires et dynamiques. Nous les avons vus pour la dernière fois en décembre. Malgré la grève des transports qui paralysait déjà une partie du pays, tous avaient réussi à rejoindre la ville d’Agen pour leur dernière semaine de formation. Notre kit de survie avait alors été le covoiturage.

Trois mois plus tard, alors que tout le monde avait besoin de se retrouver pour poursuivre la dynamique enclenchée l’année précédente, nous avons changé la composition de notre kit de survie : ordinateur portable, visio-conférence et smartphone.

Dès le premier jour et au vu des difficultés initiales d’accès aux boites mails professionnelles, nous changeons nos canaux de communication. Nous créons un fil de discussion sur lequel passent les informations essentielles, leurs questionnements et aussi bien évidemment les nouvelles sur la situation et le moral des uns et des autres. Afin de prendre le temps de discuter avec chacun d’entre eux, de rassurer sur le fait que les contraintes familiales et personnelles allaient bien évidemment être prises en compte, d’expliquer les nouvelles modalités d’organisation, nous avons passé deux jours avec la responsable du réseau à rencontrer par inter-régions chacun d’entre eux. 

En parallèle nous leur avons ouvert à distance le nouvel outil PLANO. Un accompagnement individualisé a aussi été mis en place pour faciliter la prise en main de l’outil. Ce n’est pas tout de déployer les outils numériques permettant le travail à distance, encore faut-il maîtriser leur fonctionnement !

D'autres questions se posent très vite : Comment maintenir le lien ? Comment remplacer notre séminaire annulé in extremis ? Comment mettre à profit cette période pendant laquelle ils ne pourront pas démarcher de nouvelles structures ? 

La solution s’impose d’elle-même : Créer des ateliers de montée en compétences. Dès la semaine suivant le confinement national, nous déployons 3 à 5 ateliers par semaine qui peuvent accueillir 4 à 6 personnes selon les thématiques. Nos référents s’inscrivent à partir du vendredi sur les ateliers de la semaine suivante en fonction de leurs disponibilités et de leurs besoins. Les ateliers sont construits par l’équipe parisienne, qu’il s’agisse de la présentation et des exercices qui se déroulent en visio sur un format d’1h30 à 2h ou des supports qui sont remis aux participants. Améliorer sa prise de parole à l’oral, mieux utiliser Outlook, PowerPoint et Excel, parfaire sa connaissance de la dernière réforme pénale entrée en vigueur le 24 mars… La surcharge d’activité est conséquente pour l’équipe parisienne, mais il s’agissait selon nous du meilleur moyen pour accompagner nos référents sur la durée et surtout préparer l’après. 

Nous aurions pu trouver des formations toutes faites et nous contenter de les référencer. En faisant le choix de créer nos propres ateliers, nous avons la certitude qu’ils sont adaptés au niveau et aux problématiques que nous rencontrons. Nous valorisons ainsi les compétences de ceux qui les animent tout en permettant d’échanger sur d’autres thèmes en marge des ateliers puisque que nous sommes les seuls à y assister (ou presque…). Une sorte de pause-café avec toutes les discussions informelles mais primordiales qui y ont lieu d’habitude.
Parce que nous avons conscience que nos collaborateurs ne sont pas seuls chez eux et qu’il peut être parfois difficile de s’isoler, nous nous sommes posés une question assez simple : Pourquoi ne pas inviter les autres membres de la famille à se joindre à nous ? C’est ce que nous avons proposé : Inclure les petits et les plus grands en fonction du thème de l’atelier ou réaliser certains des exercices avec eux par la suite. Le plus grand succès : L’atelier langue des signes animé par notre stagiaire pour introduire la problématique des publics ne parlant pas la langue française… et depuis celui-ci nous avons tous une certaine façon bien particulière d’applaudir… en silence !

Au total pour l’ensemble des services de l’Agence, ce sont quatre séminaires d’idéations qui ont dû être annulés entre mars et avril. Au troisième nous nous sommes dit que nous ne pourrions pas les reprogrammer avant l’automne prochain… mais qu’il était difficile pour nous d’attendre jusque-là. Nous avons donc tenté le séminaire virtuel avec 40 participants : Une salle de visio-conférence commune pour l’introduction et son ice-breaker sur Kahoot, sept salles pouvant accueillir les participants autour d’ateliers thématiques avant une restitution commune l’après-midi. Des supports permettant de faire émerger des idées innovantes comme si nous étions en présence physiquement. Pari réussi ! Tout le monde était présent et loin d’être à court d’idées pour nos orientations stratégiques des prochains mois.

Depuis la création de l’ATIGIP il y a un peu plus d’un an, nous essayons de nous tenir à nos trois lignes directrices pour ne pas dire mantra : simplicité, efficacité et proximité. La proximité en temps ordinaire revient d’une part à nous rendre régulièrement sur le terrain tant dans les tribunaux que les services pénitentiaires d’insertion et de probation ou les structures d’accueil de personnes condamnées et d’autre part à déployer une boîte à outils conçue au plus près des besoins de notre réseau local. La proximité dans la sortie de crise passera aussi par la validation de notre plan d’action auprès de nos référents territoriaux pour être certain que ce plan soit réaliste et réalisable, en phase avec les situations locales.
 
Et puis, nous devrions sans doute ajouter un quatrième mot à cette trilogie : la solidarité. La solidarité de nos équipes avec leurs collègues, plusieurs de nos référents territoriaux étant allés prêter main-forte aux équipes des services pénitentiaires pour préparer les dossiers des détenus sortants de détention alors que rien ne les y obligeait. La solidarité de nos partenaires aussi avec, par exemple, la proposition de Projet Voltaire d’étendre gratuitement leur programme d’apprentissage de l’orthographe à l’ensemble des enfants du personnel du ministère de la Justice, programme expérimenté par ailleurs auprès des personnes condamnées au cours de l’exécution de leur peine.

Aujourd’hui, nous préparons demain : demain pour nos équipes car il est certain que nos méthodes de travail ne seront plus les mêmes et nous déciderons de celles que nous voulons adopter collectivement la semaine précédant la reprise. Demain aussi pour les structures d’accueil et les personnes condamnées, la question étant désormais de savoir comment les personnes devant exécuter un TIG peuvent-elle aider ceux qui seront les plus démunis dans les mois à venir face aux conséquences de cette crise sans précédent. 

 

Jessica Vonderscher, Cheffe du service TIG, Agence du travail d’intérêt général et de l’insertion professionnelle, auditrice de la Session Annuelle 17 et membre du bureau IHEE Connect.
 

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