Sans se cacher les difficultés, nous devons nous engager et provoquer la reprise

Pour le Président du groupe Loxam, cette crise se distingue de toutes les précédentes par sa rapidité et par le fait que les risques portent d’abord sur les personnes. L’urgence du confinement, appliqué strictement dès son annonce, a débouché sur un nouveau type de lien social au quotidien entre les collaborateurs et l’entreprise, mais a aussi impacté les modes de gestion de crise, invalidant le concept habituel de war room. Rapidement amené à reprendre ses activités pour accompagner la lutte contre le Covid-19, par exemple en équipant l’hôpital de campagne de Mulhouse, Loxam constate à présent les prémices d’une reprise de l’économie française. Alors que les trois-quarts des agences de l’entreprise en France sont désormais rouvertes, Gérard Déprez insiste sur la nécessité pour les entreprises de « provoquer la reprise » pour sortir de la crise, sans se cacher les difficultés à surmonter. Constatant comme la solidarité entre la direction et les syndicats a contribué à la résilience du Groupe, Gérard Déprez sort renforcé dans l’idée qu’un chef d’entreprise, quoique toujours seul à décider, doit s’assurer de ne pas être isolé et doit savoir s’adapter. C’est ainsi que cette crise aura fait évoluer ses pratiques de communication interne. Un élément structurant de Loxam que son Président entend en revanche maintenir inchangé : son investissement en faveur de l’apprentissage, en continuant d’accueillir et de former des étudiants.

Institut de l’Entreprise – Mis à part son déclencheur sanitaire, la crise économique que nous vivons est-elle différente des précédentes ?

Gérard Déprez – Tout à fait, c’est une crise qui fera bouger les lignes car elle a mis avant tout les personnes en risque. Avec Loxam, j’ai traversé plusieurs crises économiques. La dernière en date, en 2008, était avant tout financière. Notre activité est cyclique, donc nous avons l’habitude de nous serrer les coudes, d’être tous solidaires et de nous retrouver en équipe pour régler les problèmes. Mais soudain, nous avons été mis en état d’alerte, le Président a parlé de guerre, et nous avons dû renvoyer rapidement tous les collaborateurs chez eux, en leur disant de se protéger, sans avoir vraiment pu expliquer le contexte de cette mesure. Dès le premier jour, dès l’annonce, nous avons perçu les originalités de cette crise : sa vitesse et son impact humain.

Qu’avez-vous mis en place de nouveau pour faire face à cette situation de stress ?

La première décision qu’on a prise dans cette crise, c’était de créer un lien social entre l’entreprise et les collaborateurs, afin de les informer, de les rassurer et de leur dire ce que nous allions faire. Une règle simple : chaque jour, chaque personne chez Loxam doit être en contact direct avec son manager. Nous suivons les équipes en veillant à ne pas laisser des collaborateurs être confinés dans l’isolement ou sans aide s’ils sont malades. Au travers du téléphone, c’est devenu un rituel quotidien. Aujourd’hui, le premier critère, c’est les gens, et ensuite, la santé et l’unité du groupe.

Qu’avez-vous dit à votre comité de direction lorsque vous avez saisi l’ampleur de la crise ?

J’ai dit aux dirigeants, à la fois ceux du siège et ceux de nos trente filiales à l’étranger : « Mettez-vous en confinement ! Vous avez le devoir de vous mettre en sécurité ; envers vous-mêmes et votre famille ; envers le personnel, car ils suivront votre exemple ; envers l’entreprise également » Car sans les leaders des 30 pays, comment fait-on ? Un état-major, c’est une réalité et cela entraine des devoirs plus exigeants. Dans toutes les autres crises, nous étions dans une war room physique. C’est la première fois que nous ne pouvons pas être ensemble. Heureusement, nos réseaux de communication ont tenu bon.

Est-ce que les équipes ont compris votre gestion de crise ?

Notre entreprise est amenée à réparer des groupes électrogènes pour les hôpitaux ou encore à installer des équipements liés à la lutte contre le Covid-19. L’hôpital de campagne de Mulhouse, par exemple, a été équipé par des collaborateurs de Loxam, qui ont agi à la fois en tant que salariés, mais aussi en tant que citoyens. En cette période de crise, encore plus que d’habitude, tout le monde a conscience des enjeux et chacun prend sa part dans les missions d’astreinte, malgré l’inquiétude. Sur le plan économique, les syndicats ont été d’accord pour nous accompagner, mais avec une demande forte : sauver tout le personnel. C’est aussi une preuve de confiance dans la capacité de l’entreprise à surmonter la difficulté et à pouvoir redonner du travail à tous. Le fait d’avoir des équipes de direction et syndicales qui se connaissent et se font confiance et ont déjà traversé des crises ensemble, c’est un atout pour notre résilience.

Où en est Loxam dans cette crise ?

La stratégie sanitaire de chaque pays a été différente. En France, les mesures ont été plus radicales, par rapport à l’Europe du Nord surtout. Arrêter l’entreprise, confiner les collaborateurs : c’est une décision lourde à prendre mais il fallait le faire. Nous nous sommes raccrochés à la formule « quoi qu’il en coûte » du Président de la République. L’État a joué le jeu avec les mesures de chômage technique et de prêt garanti. Mais s’il y avait une chose à refaire, ce serait de préciser mieux la notion d’activité « non essentielle », car de nombreuses entreprises, comme nous, ont joué le jeu du confinement. Finalement, nous étions plus essentiels qu’il ne semble... Le ministère du Travail était surpris ! Donc on a repris, mais cela prend du temps, d’autant que les mesures d’hygiène et de sécurité sont contraignantes. Et les pouvoirs publics jouent aussi le jeu en rouvrant leurs chantiers.

Voyez-vous des signes de reprise sur le terrain ?

Un confinement long donne une reprise longue… Cela dit, chaque jour on constate plus de chantiers ouverts, plus de demandes. Au départ nous avons rouvert en mode hub en concentrant l’activité de plusieurs agences sur une seule. Mais à présent, les trois quarts de nos agences sont ouvertes en France, et nous estimons que nous aurons vraiment redémarré d’ici fin juin. Progressivement la dynamique s’accentue et les clients voient qu’ils peuvent s’adresser à nous pour redémarrer eux-mêmes.

Quelle est la situation des apprentis chez Loxam, qu’on sait grand promoteur de cette voie éducative ? Est-ce que la crise va vous conduire à en accueillir moins ?

En effet, nous sommes très investis dans ce domaine ; cela fait partie de notre philosophie. Apprendre un métier, à avoir un patron, à être à l’heure, avoir des collègues, une rémunération… L’apprentissage est un mode d’intégration sociale. Quand un jeune est intégré dans l’entreprise, il s’intègre de fait dans la société. Actuellement, les apprentis ne vont plus à l’école, mais l’entreprise a fait en sorte d’être très investie auprès d’eux. On ne peut pas exclure que le niveau d’activité et d’emploi sur les 18 prochains mois ne remonte pas au niveau d’avant-crise. Mais je peux dire que nous continuerons à embaucher des apprentis. Nous avons besoin d’avoir des compétences ; et les compétences on les forme, donc on va continuer cet effort d’intégration. Je suis optimiste pour l’apprentissage.

Qu’est-ce que cette crise va changer dans votre manière d’aborder votre métier de chef d’entreprise ?

Avant de tout changer, je pense que cette crise me confirme dans l’idée qu’un chef d’entreprise doit décider seul, mais qu’il ne doit pas être isolé. Le quotidien du dirigeant en début de crise, c’est une cascade de mesures à prendre, avec peu d’heures de sommeil pendant plusieurs semaines. Pour ne pas faire trop d’erreurs, le chef d’entreprise peut compter sur ses réflexes, liés à sa connaissance de l’organisation, des gens et des métiers. Cela lui permet d’aller vite. Mais ce qui est également important, c’est d’être bien entouré à ce moment-là. En revanche, s’il y a un point sur lequel cette crise m’a amené à évoluer et qui va rester, c’est la communication. Des choses qu’on faisait timidement, par exemple des messages vidéos, deviennent pratique courante, parce que nécessaires. Avant on mesurait parfois le risque de se montrer ; aujourd’hui c’est celui de ne pas le faire. En ce moment les équipes ont besoin qu’on se montre. Les premières prises de parole, je les ai réservées à l’interne.

Un dernier mot : comment voyez-vous le déconfinement ?

Nous ne sommes pas faits pour le confinement. Après un choc, c’est toujours le même mécanisme dans lequel se succèdent la phase de sidération, celle où on se relève et ensuite celle où on se reconstruit, même s’il en restera une blessure. Le confinement laissera des traces, mais nous nous en relèverons. Dans les entreprises, nous avons un sens naturel pour l’optimisme. On ne vit pas dans le passé, mais dans l’envie, dans la préparation active de demain : sans se cacher les difficultés, nous devons nous engager et provoquer la reprise. Nos entreprises ne peuvent attendre. Et je pense que tout le monde a hâte de reprendre son métier.

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