Je plaide pour que l’environnement soit à l’agenda de la relance

S’il estime que l’heure est encore davantage aux défis qu’aux bilans, le PDG de Saint-Gobain et co-Président de La Fabrique de l’Industrie partage avec les lecteurs de la Quotidienne ses premières observations. Quoique surpris comme toutes les autres entreprises par le Covid-19, Saint-Gobain a su s’adapter à ce nouveau contexte en s’appuyant sur ses forces culturelles, au point qu’aujourd’hui la plupart de ses usines remontent en régime. La solidarité en sort gagnante, tant en externe avec la fourniture d’une aide d’urgence aux services de soin, qu’en interne avec des initiatives fortes, par exemple le choix fait par des cadres dirigeants de donner une partie de leur salaire à l’AP-HP ou à la Fondation de France. Malgré le fait qu’il demeure de nombreuses inconnues sur le rythme de déconfinement, cette crise ne fait pour autant que renforcer les tendances sur lesquelles Saint-Gobain construit sa stratégie : le retour en force des États, l’accélération du digital et la prise en compte environnementale – dont Pierre-André de Chalendar plaide avec force l’inscription dans les plans de relance. Bien que, comme en témoigne l’écart majeur entre la France et l’Allemagne, tous les pays n’en soient pas au même stade en termes de reprise économique, celle-ci-se profile. Aussi insiste-t-il, en tant que co-Président de la Fabrique de l’Industrie, sur la nécessité d’une stratégie européenne cohérente avec les besoins nationaux. Conscient du temps qu’il faudra pour reprendre une vie d’entreprise classique, Pierre-André de Chalendar conclut cet édito en estimant que cette crise ne sera surmontée que lorsque chacun sera réuni avec ses proches.

Institut de l’Entreprise - Comment parlez-vous de la crise à vos équipes aujourd’hui ?

Pierre-André de Chalendar - Cette crise est véritablement très particulière. Elle est tout d’abord extrêmement violente, elle a quasiment mis à l’arrêt l’économie mondiale du jour au lendemain ; c’est du jamais vu. Par ailleurs, elle se démarque par son mode de déclenchement, ni financier, ni politique, mais sanitaire, qui diffère de ce que nous avons pu connaître habituellement. Dans ce contexte, nous nous sommes organisés de manière forte et efficace pour faire front, en étant très transparents avec l’ensemble des équipes sur la situation du Groupe et la stratégie mise en œuvre.

Justement, quelle a été la réaction de Saint-Gobain ?

Dès le début, notre priorité a été de protéger les salariés et d’assurer, autant que faire se peut, la poursuite de nos opérations, en adoptant des mesures sanitaires drastiques dans nos usines et points de vente, et en imposant le télétravail aux collaborateurs qui le pouvaient. En parallèle, les actions de solidarité se sont mises en place aux quatre coins du monde. Vis-à-vis de l’externe, bien sûr, nous avons partagé nos masques, gants et combinaisons, et adapté notre outil de production pour servir les besoins des professionnels de santé et des malades : par exemple des composants pour respirateurs artificiels, ou encore des plaques de plâtre pour la construction d’hôpitaux éphémères. Mais ce qui a été tout aussi important, c’est la solidarité interne et la cohésion des équipes dans ces moments difficiles. Nombre de nos collaborateurs sont aujourd’hui en chômage partiel, au siège comme dans nos usines. Ces mesures ne peuvent pas légalement toucher les cadres dirigeants. Aussi ceux-ci ont-ils souhaité faire acte de solidarité et participer à l’effort collectif de l’entreprise, en faisant don d’une partie de leur salaire à l’AP-HP ou à la Fondation de France. Ce phénomène existe dans beaucoup d’entreprises, je pense que c’est un témoignage important.

Ces évènements remettent-ils en question les priorités de votre entreprise ?

Au contraire, nous croyons plutôt que la crise amplifie les tendances sur lesquelles nous avons appuyé notre stratégie. J’en cite trois : le retour en force des États, l’accélération du digital et la prise en compte environnementale. Ces trois axes sont d’ores et déjà accentués par la crise. De fait, en quelques semaines, la crise sanitaire a relevé les frontières nationales et poussé les gouvernements à intervenir massivement dans l’économie. En matière de digital, les plateformes de distribution sont plus que jamais sollicitées. Les ventes en ligne dans certaines de nos enseignes (La Plateforme du Bâtiment par exemple) ont fortement augmenté en seulement quelques jours, et je pense qu’on ne reviendra pas entièrement en arrière. Quant à l’agenda environnemental, même s’il y a des disparités internationales, j’espère qu’il avancera à la sortie de cette crise. Je plaide pour que ce soit un point embarqué dans les plans de relance.

L’entreprise pouvait-elle faire plus et mieux pour préparer une crise de ce type ?

Nous avons été surpris comme tout le monde par la profondeur et la rapidité de cette crise. Mais je suis très satisfait de la manière dont nous l’avons gérée. Pratiquement tous nos sites aujourd’hui remontent en régime. Quatre aspects de notre culture ont joué dans notre capacité de mobilisation : la responsabilisation des équipes locales pour gérer la crise au plus près des besoins, avec à l’appui une coordination mondiale pour échanger les bonnes pratiques et assurer la cohérence ; notre culture du dialogue social pour travailler en étroite collaboration avec les organisations syndicales, avec lesquelles j’ai une réunion hebdomadaire ; la culture de la sécurité, qui a beaucoup progressé dans notre domaine au cours des années passées ; et enfin notre dimension internationale. Nos activités en Chine nous ont en effet confronté très tôt au Covid-19 et forcé à adapter nos pratiques, en limitant les voyages, en instaurant les gestes barrières et en prévoyant des stocks de protections. Depuis, nous tenons chaque jour un comité de crise, formé du Comité Exécutif et de plusieurs experts. Ce dispositif nous a permis de repérer les meilleures pratiques locales et de les déployer à l’échelle mondiale.

Voyez-vous des différences fortes au plan international dans la résistance de l’économie ? Comment se situe la France ?

La grande variété des situations nationales est extrêmement frappante. Pour amortir le choc, il est manifeste que certains ont mieux tiré parti que d’autres de leur réseau international, diplomatique ou économique. Prenons le cas de l’Allemagne et de la France : l’écart est majeur. Sur le marché de la construction, 85% des chantiers allemands ne se sont pas arrêtés, alors que 90% des chantiers français n’ont pas encore redémarré. On le voit aussi à la consommation de produits pétroliers : -30% en Allemagne, contre -73% en France. La situation sanitaire est alignée avec ce constat purement économique. Même en Italie et Espagne, malgré une stratégie de lutte identique, l’activité ne s’est pas arrêtée autant. Mais la dynamique récente en France est à une reprise progressive de l’activité économique, et cela me rend optimiste.

En tant que co-Président de La Fabrique de l’Industrie, le laboratoire d’idées qui structure la réflexion sur l’industrie de demain en France, quel rôle voyez-vous pour les entreprises dans l’après-crise ?

Il faut être humble face à ce type d’évènement. Le premier rôle de chaque entreprise sera bien sûr de reprendre son activité et de contribuer au redémarrage économique. Cela dit, nous ne devrons pas sortir de cette crise sanitaire et économique sans en tirer des enseignements. Le rôle des entreprises, en particulier au travers de leurs instances de réflexion, sera de poser des questions et de proposer des idées, notamment pour améliorer l’autonomie des acteurs et la prise de décision. Il est également clair que cette crise du Covid-19 ouvrira de larges champs d’évolution en matière d’organisation du travail et des chaînes de valeur internationales. Il y a un certain nombre de domaines dans lesquels il faut revoir l’approvisionnement et la production, entamer une relocalisation. Il faut une stratégie européenne cohérente avec les besoins nationaux, et la Fabrique de l’Industrie sera au rendez-vous pour contribuer sur ces thèmes.

À propos des modes de travail et de management, est-ce que vous tirez déjà des leçons de cette crise ?

Nous savons déjà que nous garderons certainement de cet épisode une plus forte culture du télétravail chez Saint-Gobain. Mais pour l’instant, l’heure est plutôt aux défis qu’aux bilans. Il y a bien sûr le challenge du retour au bureau. Nous avons tous hâte de nous revoir ! Mais, pour un temps, ce retour devra être progressif et organisé en conformité avec les exigences de santé publique. Difficile également, à ce stade, de dire quand nous pourrons reprendre les réunions physiques du management, qui sont importantes pour la cohésion d’un groupe international. Le rythme de reprise des voyages est lui aussi inconnu. Un autre défi, c’est de maintenir un lien fort avec nos salariés malgré le confinement et le chômage partiel. Chaque manager doit rester en contact avec ses collaborateurs sur le plan professionnel et personnel. Pour ma part, j’ai basculé en télétravail, mais j'ai également continué d’aller régulièrement sur le terrain pour soutenir les équipes mobilisées.

Une pensée à partager avec les lecteurs de la Quotidienne ?

J’aimerais adresser à tous le souhait, auquel je m’associe pleinement : de pouvoir retrouver le plus tôt possible nos proches, nos amis, tous ceux dont nous avons été coupés physiquement depuis déjà plus d’un mois. Cela inclut nos collègues de travail également. Jamais sans doute l’humanité n’aura pu éprouver collectivement à quel point la présence de l’autre est nécessaire à notre épanouissement. Personne ne se sortira seul de cette crise. Au contraire, c’est lorsque nous serons réunis que nous l’aurons surmontée.

 

Pierre-André de Chalendar, PDG de Saint-Gobain

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