Les PME ont besoin d’être accompagnées, mais pas d’être sanctionnées

Face à cette crise présentant un risque économique systémique majeur, le Président de la Confédération des Petites et Moyennes Entreprises (CPME) en appelle à ce que la fonction publique nationale et territoriale soit « au rendez-vous de l’Histoire », pour accompagner le secteur marchand sur le plan économique comme dans le déploiement de mesures sanitaires. François Asselin déplore une culture de contrôle et de sanction de la part de l’administration, alors que les chefs d’entreprise et entrepreneurs ont, plus que jamais en cette période où beaucoup d’entre eux sont seuls et craignent la faillite, besoin d’accompagnement et de confiance. Un manque qui pourrait être, selon lui, catastrophique pour le bon redémarrage des entreprises et donc de l’économie.

Comment va l’entreprise Asselin S.A. et ses 130 salariés ?

Je suis très heureux d’être tous les jours à l’entreprise car nous essayons de maintenir le peu d’activité que nous pouvons maintenir. Nous sommes une entreprise de menuiserie-charpente. J’ai 40 chantiers mais 39 sur 40 sont fermés. Je tiens pourtant à maintenir l’activité en atelier avec des effectifs réduits. Nous avons la chance d’avoir des masques à disposition que nous avons distribués aux collaborateurs pour continuer l’activité. Nous avons appris à travailler avec les contraintes qui nous sont imposées que nous allons continuer à découvrir pendant encore de longs mois. Nous dépensons une énergie phénoménale pour essayer de remonter l’activité. C’est un boulot incroyablement énergivore et très complexe.

Quel est l'impact de la crise sur les PME ?

Tout d’abord, je pense évidemment aux secteurs touristique, de la restauration et de l'hôtellerie où de nombreuses PME et TPE souffrent.

Ensuite, je note une grande évolution dans la perception de la crise : elle est bien plus longue que ce à quoi nous nous attendions. Nous sommes passés d’une perception d’une crise de 3 semaines à 2 ans.

Nous craignons un vrai risque systémique au niveau économique. Il faut que tout le monde soit au rendez-vous de l’Histoire. Cela doit être le cas de la fonction publique, qu’elle soit nationale ou territoriale, dans l’accompagnement économique du secteur marchand.

Quel doit être le rôle de la fonction publique pour relancer l’activité économique ?

Dans la construction, par exemple, il est très compliqué d’instruire les dossiers d’urbanisme, en ce moment. Cela freine la demande. Il faut donc absolument que la partie publique – qui est en support et au contact du secteur marchand – ait vraiment conscience que son inactivité serait très dangereuse pour ce secteur. De plus, les TPE et PME se retrouvent assez seules et doivent se débrouiller avec les nouvelles contraintes liées au Covid-19. Lorsqu’il s’agit de mettre en place, dans l’entreprise, les mesures barrières très contraignantes, on ne les discute pas. La santé de nos salariés est notre responsabilité. Mais en parallèle, les services périmétriques des entreprises qui dépendent souvent des Direccte – notamment l’inspection du Travail ou les services de santé au travail – ne sont pas en appui mais plutôt en contrôle et voire en sanction. Il faut bien se rendre compte que cela tétanise les acteurs économiques de terrain que nous sommes. Nous, entrepreneurs patrimoniaux, sommes directement concernés. C’est nous qui mettons en place ces mesures avec nos salariés dans nos entreprises. Sans accompagnement, il n’y a pas de confiance.

Quelles sont les priorités de la CPME ?

Nous réclamons, depuis le début de cette crise :

  • La protection de nos salariés donc l’adaptation du mode de travail. D’ailleurs, les Français le disent bien : pas de masque, pas de transport en commun.
  • L’accompagnement de la personne morale – l’entreprise – et donc le maintien autant que faire se peut des mesures d’accompagnement pendant toute cette période très compliquée.
  • La protection de la personne physique – le chef d’entreprise lui-même. On assiste, aujourd’hui, à des référés pour non-protection des salariés, et ce, même dans le secteur du service à la personne. Certains syndicats de salariés ont là un aspect pyromane. Ces situations découragent les entrepreneurs parce que, potentiellement, il peut y avoir un risque de Covid-19 au sein des entreprises et donc de graves responsabilités pour les patrons.
  • Un cadre juridique clair : l’application d’une directive européenne qui existe et qui dit que lorsqu’il y a un fait, comme celui du Covid-19, qui était non-prévu comme une pandémie, s’il n’y a pas de faute intentionnelle du dirigeant, il ne peut pas y avoir de poursuites au pénal.

 

Êtes-vous étonné par certains comportements ?

Certains clients sont assez étonnants. Par exemple, chez les réparateurs automobiles, un client qui vient récupérer sa voiture demande une attestation au garagiste pour certifier que sa voiture a bien été décontaminée. Des maires commencent à dire qu’ils n’ouvriront pas les écoles communales parce qu’ils devraient en assumer la responsabilité.

Le Covid-19 peut-il être reconnu comme une maladie professionnelle ?

Le reconnaitre c’est l’ouverture à la faute inexcusable, même en cas de décès. Ce ne peut donc pas être vu comme une maladie professionnelle, comme le réclament les syndicats de salariés. Il faut donc sécuriser l’ensemble des acteurs pour protéger et assurer la continuité économique. C’est une situation tout à fait exceptionnelle et inédite mais il ne faut pas que le principe de précaution se transforme en principe d'inaction.

Les pouvoirs accompagnent-ils de manière efficace les entrepreneurs ? Les démarches et la plateforme sont-elles faciles et accessibles ?

Les mesures qui ont été imaginées ont été plutôt bien ciblées et calibrées. Il y a eu une intelligence politique d’adapter, au fur et à mesure de l’avancée de la crise, les dispositifs initiaux. En période de guerre, il faut que l’intendance suive.

Au départ, il y a eu de nombreux couacs avec le ministère du Travail et les Direccte pour les demandes d’accès au chômage partiel mais cela est assez compréhensible du fait de l’importante hausse des demandes. Le discours initial était peu audible de la part du secteur économique car on nous laissait entendre que toute la situation était sous contrôle. Ces problèmes ont été corrigés.

Du côté du ministère des Finances, le décalage des charges a très bien fonctionné mais, malheureusement, ne sera pas suffisant. Il faudra sans doute plutôt parler d’annulation de charges. Aussi, la mise en place du prêt garanti par l’État est un excellent outil et les réseaux bancaires ont, dans leur majorité, plutôt bien joué le jeu.

Pour les entreprises qui avaient une difficulté de cotation, on a réussi à débloquer des situations avec les médiations de crédit en département mais il ne faut pas oublier que, malheureusement, certains cas épineux ne trouveront pas de solution.

Si les dispositifs fonctionnent plutôt bien, il y a encore de gros soucis du côté de l’assurance-crédit. Son rôle est mis en question puisque ses services ne répondent pas présents aux sollicitations.

Les dispositifs de soutien doivent-ils être mis en place pour de nombreux mois ?

Nous savons qu’il va falloir vivre et travailler avec cette situation pendant de nombreux mois. Tous les dispositifs mis en place doivent continuer à bien fonctionner. Évidemment, nous comprenons que l’État ne peut pas continuer à porter ainsi une bonne moitié des salariés du secteur marchand. Pour autant, du côté du financement des entreprises et de leur trésorerie, nous allons continuer à, toujours, avoir besoin de beaucoup de soutien.

Les entrepreneurs sont inquiets. Quelles sont les remontées du terrain ?

Le 12 avril, nous avons fait un sondage sur 4312 entreprises, plus de la moitié de nos adhérents craignaient la faillite. Il y a énormément d’angoisse. On voit très bien que tout ça est une affaire très compliquée. C’est pourquoi le service public doit se mettre au service du public et de tous les publics. C’est là où il faut vraiment se rendre compte que dans un pays très administré, le poids de l’administration est incontournable pour fluidifier les processus.

L’administration est-elle à l’écoute des besoins des entrepreneurs ? Les sanctionne-t-elle ?

Il y a un véritable manque d’accompagnement. La direction générale du Travail a donné ordre aux inspecteurs du travail de venir contrôler si les mesures sont bien mises en place dans les entreprises. Cette annonce est terrible pour les chefs d’entreprise car ils sont seuls dans les mises en place des dispositifs sanitaires. La médecine du travail ne se déplace plus en entreprise et n’apporte donc pas d’aide dans cette situation. On déplore donc une culture de contrôle et de sanction alors que nous avons besoin d’accompagnement dans cette période. La CPME demande à ce que soit mis en place un environnement bienveillant pour rester confiant. Ce manque de confiance et de soutien peut être catastrophique pour le bon redémarrage des entreprises et donc de l’économie.

Discutez-vous avec les syndicats de salariés pour préparer le déconfinement ?

Le dialogue social n’a jamais été aussi nourri qu’aujourd’hui, dans les entreprises. Si vous voulez redémarrer votre activité ou continuer votre activité et que si vous n’êtes pas proche de vos salariés dans les PME, vous n’en verrez pas un seul arriver à l’embauche. Le temps passé à discuter est considérable et n’est pas toujours officialisé mais ce n’est pas parce que le dialogue social n’est pas formalisé – par un accord envoyé à la Direccte – qu’il n’existe pas. Chefs d’entreprise et salariés partagent les mêmes difficultés dans cette crise donc nous cherchons, ensemble, les solutions pour pouvoir travailler en toute sécurité. L’enjeu des protections sanitaires individuelles est essentiel et commun. Dans une PME, le CSE seul n’arrive pas à porter un tel enjeu et ne se sent pas de le faire. En tant que chef d’entreprise, il faut descendre directement dans l’entreprise et aller discuter avec l’ensemble des salariés. En temps de crise, on a besoin d’un chef.

Les PME ont-elles les moyens de financer les mesures de protection ?

En matière de coût, il faut prendre en compte le fait que cette crise a induit des coûts directs et des coûts indirects. Les coûts directs (masques par jour et par personne, le gel hydro-alcoolique, les protections, etc.) peuvent être facilement évalués. Nous demandons à pouvoir déduire ces coûts directs des cotisations ATMP (accident du travail – maladie professionnelle).

Les coûts indirects sont beaucoup plus complexes à évaluer et posent un vrai problème. On observe que la productivité va être dégradée et on ne parvient pas à évaluer les nouveaux délais. Nous craignons que cela vienne impacter la rentabilité des entreprises et ainsi fausser le modèle économique. Quand un commerçant contingente le nombre de clients de son commerce et dans sa surface de vente, il sait que le chiffre d’affaires va changer. On ne connaît pas encore le comportement à venir des consommateurs. On ne sait pas dans quelle mesure la clientèle sera au rendez-vous de la reprise. On a donc des enjeux colossaux devant nous.

Redoutez-vous une annulation des chantiers qui n’ont pas pu démarrer ? Qui paiera les pénalités de retard ?

Concernant les engagements du passé à réaliser aujourd’hui, il faut qu’il y ait une responsabilité partagée sur les coûts. Dans le secteur de la construction, par exemple, il faut que la maîtrise d’ouvrage prenne sa part des coûts. Ensuite, il faut accepter que les délais soient plus longs sans imposer de pénalités.

Il faut sécuriser tous les acteurs car nous avons tous une responsabilité partagée. Le maire qui ne veut pas rouvrir son école est souvent le même qui ne veut pas faire redémarrer d’autres activités parce qu’il sait qu’il y a une responsabilité partagée.

Certains commencent à vouloir reculer les échéances et le redémarrage. Il y a, là, un risque énorme de s’enfoncer et de perdre la volonté d’avancer parce que personne ne voudra prendre de risque sans sécurité. Il y a un risque d’anesthésie des investissements. Il y a déjà des retraits d’investisseurs privés inquiets de l’impact de la crise sur les deux prochaines années.

Comment vivez-vous cette crise ?

J’ai pris la décision de me représenter en janvier de cette année pour mon second mandat. Au moment où la crise a commencé, certains m’ont demandé si je ne regrettais pas mon choix compte tenu de la situation. Je pense au contraire que ma décision est le plus bel acte de ma vie professionnelle et syndicale. J’aurais été malheureux comme les pierres d’être spectateur et non acteur. Ce sont des moments où vous savez pour qui et pour quoi vous vous battez.

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