Chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique et enseignant à Sciences Po, Antoine Bondaz analyse comment les entreprises chinoises dont les géants Alibaba et Huawei se mobilisent pendant la pandémie du Covid-19 pour promouvoir leur présence en Europe et s'implanter sur le marché mondial de la santé. Le régime chinois veut devenir un acteur important dans la production d’équipements médicaux et conquérir une part substantielle du marché pharmaceutique. En mars, la Chine a exporté près de 4 milliards de masques et plus de 15 000 respirateurs. Antoine Bondaz participe à de nombreux dialogues track 1.5 avec de hauts responsables asiatiques. Il a été auditionné par l'Assemblée nationale, le Sénat, le Parlement européen, l’OCDE, l'OTAN, et aux Nations Unies.

Depuis plusieurs semaines, les autorités chinoises tentent d’imposer leur récit des événements de l’épidémie de Covid-19 afin de discréditer toute critique, de faire oublier leurs responsabilités et de minimiser leurs erreurs initiales dans la gestion de crise. Elles cherchent également à profiter de la pandémie en promouvant la diplomatie sanitaire du pays afin d’atteindre des objectifs politiques, diplomatiques et économiques. La diplomatie sanitaire de la Chine est non seulement un outil d’influence mais également un moyen de promouvoir les entreprises chinoises à l’étranger.

La diplomatie sanitaire de la Chine débute dès les années 1960 par l’envoi de médecins en Algérie en 1963 et depuis, plus de 20 000 personnels de santé chinois auraient été envoyés en Afrique. C’est cependant la crise Ebola en Afrique de l’Ouest en 2014-2015 qui est l’occasion pour la Chine d’acquérir une plus grande visibilité en tant qu’acteur de la gouvernance mondiale dans le domaine de la santé publique. Le pays mobilise alors plus de 1 200 personnels de santé militaires et civils, et construit un centre de traitement en Sierra Leone de 100 lits. 

En parallèle, la Commission nationale de la santé et du planning familial, équivalent du ministère de la Santé, fait le lien entre Routes de la soie et santé publique. Le pays annonce vouloir établir un réseau de coopération sanitaire avec les pays participant à son projet, accroître son influence dans la gouvernance sanitaire au niveau régional ou mondial, ou encore aider la médecine traditionnelle chinoise à se mondialiser.

Les ambitions à plus long terme en termes de diplomatie sanitaire sont définies dans le plan « Healthy China 2030 ». Si ce plan vise avant tout à réformer le système de santé, il intègre une dimension économique et une dimension internationale. La Chine entend devenir un pays important en termes de production d’équipements médicaux de diagnostic et de traitement médical, et conquérir une part substantielle du marché pharmaceutique mondial en facilitant la création de géants nationaux capables d’être concurrentiels, à terme, dans le moyen et le haut de gamme. 

Cette double dimension est également notable lorsque la Chine organise en août 2017 une réunion à haut niveau sur la coopération sanitaire à laquelle participent trente ministres de la Santé et dirigeants d’organisations internationales. Le « Communiqué de Pékin sur la Route de la soie de la santé » annonce la formation d’une Alliance chargée de soutenir le commerce des services liés à la santé comme le tourisme médical, mais aussi de favoriser une reconnaissance mutuelle de normes d’accès aux médicaments et aux dispositifs. 

Les biotechnologies sont l'une des cinq industries prioritaires de la Chine 

Par ailleurs, la Chine met fortement l’accent ces dernières années sur le lien entre nouvelles technologies et santé alors que la province du Ningxia a été désignée en 2018 par la Commission nationale de santé comme une province de démonstration pour le lien « Internet + Santé » et qu’une conférence « Une Ceinture et une Route : Internet + santé » avait été organisée en août 2019. Plus largement, l’ambition chinoise pour l’industrie pharmaceutique est grande. Les biotechnologies sont une des dix technologies prioritaires du plan « Made in China 2025 ». Le 13ème Plan quinquennal (2016-2020) en fait une des cinq industries prioritaires en Chine, avec un accent tout particulier sur les vaccins, l’oncologie, les médicaments pour le système nerveux central, ou encore la médecine personnalisée. 

Le lien entre diplomatie sanitaire et entreprises chinoises est évident dans la gestion de la pandémie de Covid-19. Premièrement, les entreprises chinoises ont considérablement accru leur production d’équipements de protection dont des masques, la production passant de 20 millions de masques/jour en 2019, soit 50% de la production mondiale, à près de 120 millions de masques/jour fin février. S’il faut souligner la mobilisation gouvernementale pour faciliter la production, l’achat et l’acheminement des masques, les entreprises ont joué un rôle clé. Plus de 3 000 entreprises ont rejoint les 4 000 existantes du secteur et ont donc converti une partie de leurs capacités de production. 

Le cas emblématique est le constructeur automobile BYD qui, s’appuyant sur 3 000 ingénieurs du groupe, a conçu en un temps record des chaînes de production de masques. Le groupe atteint désormais une production de 5 millions de masques/jour, contre 10 millions de masques/semaine pour l’ensemble des producteurs en France. Cet accroissement des capacités du pays lui permet d’exporter massivement. Selon les chiffres de la douane chinoise, au mois de mars, la Chine a exporté près de 4 milliards de masques et plus de 15 000 respirateurs. 

Deuxièmement, de nombreuses entreprises et fondations d’entreprises ont multiplié les dons à l’étranger. L’acteur le plus visible est depuis le début de l’épidémie la Fondation Jack Ma ainsi que les fondations associées à son groupe Alibaba, qui a apporté assistance à plus de 150 pays. La Fondation s’est engagée à fournir à chacun des 54 pays africains 1 000 combinaisons de protection, 20 000 kits de dépistage et 100 000 masques, mais également 100 millions de masques, 1 million de masques FFP2 et 1 million de kits de dépistage à l’OMS. 

Alibaba est loin d’être la seule entreprise à s’être illustrée mais les entreprises se concentrent généralement sur un nombre plus réduit de pays. Huawei a ainsi offert 1 000 combinaisons de protection et 200 000 masques FFP2 à des hôpitaux de Milan, équipés une dizaine d’établissements hospitaliers temporaires de réseaux Wi-fi ou encore soutenu l’initiative du gouvernement italien « Solidarité numérique » en offrant 500 tablettes et smartphones. Le géant public du BTP China State Construction Engineering Corporation (CSCEC) a envoyé une équipe de 13 médecins ainsi que 450 000 dollars d’équipements dont des respirateurs. L’Afrique étant un marché en plein essor et ces entreprises y accroissant leur part de marché, améliorer leur image pendant la crise est une opportunité unique. 

Troisièmement, les entreprises dans les nouvelles technologies mentionnées ci-dessous proposent également des solutions innovantes aux pays européens pour gérer la crise sanitaire cherchant ainsi à s’implanter dans le secteur médical. Ainsi, le groupe Alibaba vend aux systèmes de santé européens en difficulté un outil de diagnostic du Sars-CoV-2 basé sur le cloud qu’il dit avoir essayé avec succès dans les hôpitaux chinois sur 5000 patients, mais également une plateforme de partage d’informations en ligne pour les médecins. Le moteur de recherche Internet Baidu propose un algorithme pour analyser la structure biologique du virus. Quant à Huawei, l’entreprise communique également dans plusieurs pays européens, dont la France, pour vanter une plateforme de vidéoconférence pour une connexion en temps réel entre les hôpitaux. 

Quatrièmement, les entreprises pharmaceutiques chinoises profitent de la promotion sans précédent de la médecine traditionnelle chinoise (MTC) par les autorités. Celle-ci représentait en 2015 près de 30% des revenus réalisés par l’industrie pharmaceutique du pays et connaissait un fort potentiel à l’export, notamment auprès des communautés chinoises. Le Conseil d’Etat, le gouvernement chinois, a également récemment précisé que la MTC devait contribuer au « modèle de développement sanitaire aux caractéristiques chinoises », et que les autorités devaient faciliter l’essor du commerce international des services liés à la MTC. Les ambassades chinoises rappellent par exemple que plus de 90% des patients atteints du Covid-19 en Chine ont fait l’objet d’un traitement associant médecine conventionnelle et MTC, et sans évaluer la contribution de la MTC, estime qu’elle est essentielle et devrait être adoptée à l’étranger. 

Enfin, se pose également dans une certaine mesure la possibilité pour les entreprises chinoises ayant des capacités d’investissements de le faire à l’étranger, et ce alors même que le CAC 40 a perdu 25% de sa valeur depuis le 1er janvier, certaines entreprises souffrant plus que d’autres à l’instar de Renault ayant perdu 60% de sa valorisation ou Accor en ayant perdu près de 40%. Les investissements directs chinois en Europe ont considérablement chuté ces dernières années, de 37 milliards en 2016 à 12 milliards en 2019, principalement dû aux restrictions à la sortie des capitaux du pays. Cependant, certaines entreprises européennes dans des secteurs stratégiques pourraient devenir des cibles à moindre coût. D’autres secteurs sont également concernés, comme on l’a vu ces derniers jours avec le conglomérat financier CITIC devenu actionnaire majoritaire du plus important groupe de presse tchèque, Médea.

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