Le Directeur Général de la Toulouse School of Economics était le grand témoin de la conférence sur le climat organisée à l’Institut de France par Sociétal, le média de l'Institut de l'Entreprise, en partenariat avec l’Académie des Sciences morales et politiques. Le président de l’Association européenne des économistes de l’environnement qui a publié en 2019 Le climat après la fin du mois : plaidoyer pour le prix du carbone, aux éditions PUF, analyse « comment résoudre collectivement le défi climatique », dans un grand entretien que La Quotidienne des #EntreprisesEnAction publie en 5 parties. Christian Gollier constate dans la troisième partie que les politiques menées par la France et l’Allemagne sont coûteuses pour les consommateurs et les citoyens. Il plaide pour un plan massif d'investissement dans la recherche publique et privée (3/5). 

Philippe Plassart - Les nombreuses micro-politiques climatiques mises en place par la France sont-elles efficaces ?

Christian Gollier - Ces politiques ont un coût considérable. Prenez l’exemple du soutien au développement des panneaux photovoltaïques par la mise en place d’un tarif de rachat de l’électricité à un prix garanti pendant 20 ans. Pour les panneaux installés en 2010, ce prix de rachat était de 60 centimes le kilowatt-heure (kWh), à comparer aux 6 centimes le kWh du coût moyen de production de l’électricité produite en Europe. Ce système multiplie donc le coût de l’électricité d’un facteur dix ! 

C’est un bel exemple du coût de la transition, d’autant plus que ce coût est évidemment payé par le citoyen, soit dans la facture d’électricité, soit par ses impôts. Certes, l’électricité solaire ne produit pratiquement pas de CO2, alors que l’électricité européenne en produit 400 grammes par kWh. Cela signifie qu’entre 2010 et 2030, les citoyens français acceptent de payer 54 centimes pour éviter l’émission de 400 grammes de CO2, ce qui revient à 1350 euros par tonne de CO2 évitée. 

Pour rappel, les « Gilets Jaunes » sont parvenus à empêcher la hausse de la taxe carbone de 44 à 55 euros. S’ils avaient conscience qu’ils paient en catimini 25 fois plus pour l’électricité solaire !    

Serait-il coûteux pour les Allemands et les Polonais de produire de l’électricité en abandonnant le charbon pour le gaz naturel ? 

Les Polonais produisent 80% de leur électricité avec du charbon, et les Allemands plus de 40%. Le charbon est pourtant la plus terrible des énergies fossiles. Comparé au gaz naturel, il émet pratiquement le double de CO2 par kWh, sans compter les autres pollutions qu’il engendre (micro-particules, smog, etc.). En Europe, le gaz naturel est un peu plus cher que le charbon, d’où cette dépendance massive de ce dernier dans le mix électrique européen. Mais il n’en coûterait aux consommateurs européens que 30 euros par tonne de CO2 évitée pour passer du charbon au gaz naturel. Et pourtant, on ne le fait pas. 

Les Allemands promettent de sortir du charbon d’ici 2030. Les Polonais n’y pensent même pas. Donc on voit qu’on réduit nos émissions à un coût social de 1350 euros d’un côté, alors qu’on ne réduit pas nos émissions de l’autre alors qu’il n’en coûterait que 30 euros ! Cette politique de gribouille est tout simplement catastrophique pour le pouvoir d’achat des Européens. D’autant que les économistes ont calculé le coût caché important de beaucoup d’autres de ces micro-politiques climatiques, des normes automobiles (qui renchérissent le prix des voitures) et thermiques (qui renchérissent le prix des habitations), en passant par les biocarburants, le bonus-malus auto, l’éolien, ou les subventions à certains secteurs verts.      

L’État français doit-il imposer une politique climatique ?  

Je ne suis pas opposé au principe que l’État impose des politiques climatiques spécifiques, en particulier tant qu’un prix du carbone n’est pas imposé à l’ensemble de l’économie. Mais il est crucial que l’État réalise les évaluations socio-économiques de ces politiques, et qu’il soit transparent sur leur résultat. Dans le passé, la France n’a pas brillé dans sa culture de l’évaluation de l’action publique. Aux États-Unis, cette évaluation est une obligation légale depuis l’administration Nixon. L’agence fédérale de l’environnement, la très puissance EPA, est bien connue pour ses analyses dans le domaine de l’amiante, du plomb et de beaucoup d’autres pollutions. 

En France, ces efforts sont plus récents, avec la création du Secrétariat général pour l’investissement (SGPI) sous la présidence de Nicolas Sarkozy.

Le financement de la recherche doit-il être soutenu par l’État ? Par les seules entreprises ? 

Le financement de la recherche est un élément clé de toute politique environnementale. Aujourd’hui, personne ne peut dire la forme que prendra la transition écologique, et les prospectives au-delà de cinq ans sur le mix électrique, la mobilité et l’aménagement du territoire doivent être pris avec la plus grande circonspection. 

On nous parle beaucoup de technologies qui vont peut-être nous sauver, comme la séquestration du carbone, le stockage de l’électricité, l’hydrogène, les biocarburants de troisième génération ou la fusion nucléaire, mais la plupart de ces technologies sont encore dans les limbes. 

Les politiciens promettent une économie européenne sans émission nette de gaz à effet de serre, mais personne ne sait comment on va y arriver. Il faut dire clairement qu’avec les technologies disponibles actuellement, on n’y arrivera pas sans une réduction drastique du pouvoir d’achat des ménages et une décroissance rapide de la consommation.

La recherche est donc vitale pour engendrer les innovations technologiques vertes nécessaires à la transition. La promesse d’un prix élevé du carbone devrait inciter les industriels à réaliser ces développements, mais cela sera insuffisant parce qu’ils ne capteront qu’une petite partie de la valeur sociale de leur innovation. Cela justifie un plan massif d’investissement dans la recherche publique et privée.

Propos recueillis par Philippe Plassart, rédacteur en chef du Nouvel Économiste, vice-président de l’Ajef, membre du conseil éditorial de Sociétal. 

« L’avantage de cette crise, c’est qu’elle n’est pas structurelle », a expliqué Christian Gollier sur Franceinfo. La « clé de la sortie de crise » est la reprise de la production par les entreprises. À lire : ICI

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