Dès l'apparition de l'épidémie de Covid-19, une cellule de crise centrale, pilotée par le PDG du Groupe Jean-Paul Agon, a été en lien permanent avec son unité en Chine pour lui apporter son soutien et pour se préparer à une internationalisation des processus mis en œuvre à cette échelle locale. À cette cellule de crise globale, qui a pour double objectif d’assurer une protection des 88 000 collaborateurs du Groupe dans le monde et organiser l’activité, et à celles par pays, s’ajoutent également des cellules de crise propres à chaque entité. Cette organisation « en poupées russes » permet au Groupe de s’adapter aux spécificités locales de la crise et de disposer d’une vision globale et complète en temps réel, sur laquelle le COMEX peut fonder ses décisions. 
Le Groupe a également mobilisé certaines de ses usines pour fabriquer du gel hydro-alcoolique, offert aux personnels de santé et aux salariés des commerces alimentaires demeurant ouverts. Plusieurs centaines de tonnes ont déjà été produites et plusieurs milliers d’autres sont en cours de production. Ce maintien de l’activité a impliqué la mise en place de mesures de précautions sanitaires strictes, et les collaborateurs concernés ont tous été mobilisés sur la seule base du volontariat. 
En tant qu’acteur économique engagé, le Groupe a gelé l’ensemble des créances des TPE et PME partenaires (petits salons de coiffure et parfumerie notamment), et a décidé d’une réduction des délais de paiement, voire un paiement comptant, à l’égard de ses fournisseurs qui en auraient le plus besoin. En tant qu’employeur responsable, L’Oréal s’est engagé à maintenir la totalité des emplois et a renoncé à recourir au dispositif de chômage partiel proposé par le Gouvernement français, tout comme au report des charges sociales ou fiscales. Le Groupe a par ailleurs fait don de 38 000 masques FFP2, 30 000 masques chirurgicaux, et autres équipements de protection aux hôpitaux et Ehpad autour de ses sites. 

 

Date de publication : 08/04/2020
 

Enquête réalisée auprès de Barbara Lavernos, Directrice Générale Technologies et Opérations et membre du Comité Exécutif

 

Une première « expérience » à l’échelle de La Chine qui a préparé le Groupe à l’internationalisation de la crise

« Les autorités chinoises ont imposé des modes de fonctionnement et dates d’ouverture de façon assez radicale : cela nous a permis de comprendre, de nous adapter et de nous organiser. »

Le siège local, les usines, les centrales de distribution, les laboratoires ont été arrêtés en Chine pendant les congés du nouvel an chinois et pour deux semaines supplémentaires en raison de l’épidémie de Covid-19.

Les autorités chinoises ont rapidement et de façon claire donné des instructions conditionnelles à la reprise d’activité sur le territoire. Le Groupe s’est conformé à ce protocole (qui comptait notamment des procédures d’hygiène, de sûreté et de sécurité) pour pouvoir reprendre son activité dans les meilleurs délais. Les quinze jours de fermeture supplémentaires ont ainsi été mis à profit pour comprendre et organiser la mise en place des mesures demandées : équipement du personnel en masques et gants, prise de température à l’entrée du site, instructions sur les climatisations, instauration de règles encadrant les livraisons, salles de réunion fermées, rassemblements limités à cinq personnes maximum ou encore instauration de règles dans les cantines (restriction du nombre de personnes présentes dans une même pièce au même moment, installation en quinconce etc.) [1].  Mais aussi le télétravail à l’échelle car tous les collaborateurs chinois étant confinés, il a fallu immédiatement se doter des capacités IT pour le travail à distance de milliers de collaborateurs.

Cette réponse s’est organisée en lien permanent avec la cellule centrale du Groupe, qui apportait son soutien à son entité en Chine mais se préparait également à une internationalisation si nécessaire de ces processus. « Nous avons, comme tout le monde, pris conscience de la magnitude de la crise au fur et à mesure de la propagation mondiale du virus et nous nous sommes sans cesse adaptés. Mais cette première expérience chinoise a été fondatrice et nous a permis d’anticiper dans les autres pays touchés ». La magnitude de la crise et sa complexité viennent d’une part par l’intensité de sa mondialisation mais aussi des dispositions et restrictions imposées par chaque État, qui ont « tous pris des mesures différentes, ce qui rend les choses encore plus compliquées ».

 

Une organisation de crise décentralisée, pilotée au siège du Groupe

La cellule de crise coordonnant l’action du Groupe au niveau central est pilotée par le PDG du Groupe, Jean-Paul Agon [2]. Son objectif est double : à la fois assurer une protection maximale des 88 000 collaborateurs du Groupe partout dans le monde (y compris un suivi mondial de leur santé) et organiser l’activité. Elle assure ainsi un pilotage mondial de l’ensemble des procédures et dispositifs sanitaires mis en place sur les différents sites.

À cette cellule de crise globale pour le Groupe, et au-delà des cellules pays, s’ajoutent des cellules de crise propres à chaque entité. Ces cellules se réunissent sur une base quotidienne, à l’échelle régionale ou mondiale, afin de faire le point sur l’évolution de la situation pour chacune de ses entités et de s’aligner sur les grandes décisions transversales à prendre, en plus des décisions ad hoc propres à chaque région ou chaque type de métier.

« L’organisation de L’Oréal a été au fond très adaptée : nous ne sommes pas un Groupe centralisé, une « Big Company ». Nous sommes un grand Groupe, évidemment coordonné, mais où chaque pays ou entité est entrepreneur. Cela a permis au BCP [3] d’être à la fois global avec des instructions sanitaires et nos valeurs d’entreprise humaniste mondialement appliquées, mais également une prise en charge complète et déléguée par chaque comité de direction dans chaque pays. »

Cette organisation « en poupées russes » a permis au Groupe de s’adapter aux spécificités locales de la crise. Chaque pays où est présent le Groupe dispose ainsi de sa propre organisation (Opérations, Finances, équipes commerciales, etc.). Aussi, dans le pilotage de la crise, le même modèle a-t-il été adopté : une entité pilotée par la cellule sûreté du Groupe a été mise en place dans chaque pays concerné, chargée de rendre une analyse quotidienne de l’étendue et des conséquences de l’épidémie. Ces cellules sûreté ont permis d’avoir un relai d’information dans chaque pays (nombre d’infections, délais de confinement annoncés, informations sur les dispositifs pris par les gouvernements ou les États fédérés, décisions prises par d’autres acteurs publics ou privés etc.) et d’accompagner chaque entité locale du Groupe. « Le Groupe dispose ainsi d’une vision globale et complète quasiment en temps réel, sur laquelle le COMEX peut fonder ses décisions ». Dans chaque pays sont appliquées toutes les mesures décidées par les gouvernements, auxquelles s’additionnent les procédures transversales du Groupe (caméras thermiques à l’entrée des sites, distanciation sociale d’ un mètre minimum, généralisation du télétravail dans tous les pays pour les métiers qui le peuvent etc.). Toutes ces mesures sont pilotées par cette cellule centrale, la Direction des Ressources humaines, ainsi que le médecin référent du Groupe et déployé dans chaque pays.

 

Une réorganisation du travail associée à un dispositif de suivi étroit de la santé du personnel

Les entités du Groupe se sont retrouvées face à une fermeture massive des magasins, dans de nombreux pays. Sur 13 400 collaborateurs en France, plus de 3 000 sont aujourd’hui sans activité. Les centrales de distribution pour certains clients comme les coiffeurs sont particulièrement touchées, avec une activité maintenue à environ 10% ; l’activité liée au mass market en France demeurant pour sa part soutenue, à environ 75-80% de son rythme habituel.

De nombreux magasins ont fermé, obligeant le Groupe à réorganiser toutes ses équipes de vente sur de nouvelles priorités pour travailler différemment avec leurs clients durant cette période ou pour garder un lien fort avec leurs clientes consommatrices. Les activités d’usines et de logistique ont continué, les consommateurs continuant d’acheter des produits du Groupe (via le e-commerce ou dans les pharmacies). Le Groupe a tout d’abord repriorisé toutes ses usines équipées d’un local ATEX à la fabrication de gel hydro-alcoolique. Ce sont déjà des centaines de tonnes qui ont été produites et plusieurs milliers ont déjà été planifiés. Ces gels hydro-alcooliques sont offerts au personnel de santé, médecins, infirmières, personnel dans les Ehpad, mais aussi au personnel de la distribution qui en ont également besoin. Ce maintien de l’activité implique la prise de précautions sanitaires strictes, notamment la mise à disposition de matériels de protection et l’organisation des postes et équipes afin de respecter les mesures de distanciation sociale. Les collaborateurs concernés ont par ailleurs été mobilisés sur la seule base du volontariat : « Il y a eu un élan de solidarité extraordinaire de la part des équipes. La base du volontariat fonctionne très bien, chacun étant conscient de fabriquer des produits pour lesquels les gens ont un vrai besoin, et de participer à un effort collectif utile avec la production du gel hydro-alcoolique ».

Afin d’organiser le travail des personnels pouvant recourir au télétravail (au moins 55 800 collaborateurs du Groupe le sont actuellement d’après la comptabilisation des connections à distance sur les systèmes), les équipes IT ont été très sollicitées, notamment pour organiser le travail en réseau (téléconférences, partage de données), l’accès à certains systèmes (notamment de facturation), élargir la bande passante et renforcer la cybersécurité. « On n’avait jamais eu à gérer une telle volumétrie ». 

« Il a par ailleurs fallu prendre soin de tout notre personnel commercial et de nos clients impactés (salons de coiffure, magasins, pharmacies etc.), garder le lien et les animer tandis que leurs activités étaient arrêtées ». Le Groupe a notamment mis en place un plan de formation renforcé : chaque salarié a ainsi accès à des formations de fond sur son métier, à des formations transversales structurelles ou de culture générale, mais aussi à des formations pour mieux vivre le confinement.

Enfin, le Groupe a très vite assumé ses responsabilités d’employeur responsable et annoncé sa volonté de maintenir les emplois et les salaires de base à 100% de tout son personnel, jusque fin juin, date où il espère être sorti de cette crise.

 

Des leçons en matière de continuité de l’activité 

« Notre BCP était-il robuste et applicable ? Non, pas suffisamment. Tous les protocoles de mise en place des cellules de crise, procédures, normes d’hygiène, sécurité, sûreté, IT, finances, RH etc. étaient très adaptés. Mais sur le fait qu’une immense partie du personnel pouvait s’arrêter de travailler, dans le monde entier en même temps, nous n’étions pas préparés. Qui aurait pu l’imaginer ? ». Si toutes les procédures n’étaient pas écrites préalablement, les bases posées par le BCP Groupe lui ont néanmoins permis d’être très réactif et en quelques jours de se mettre en ordre de marche. « La prise de conscience de chaque équipe s’est opérée progressivement, par région, au fur et à mesure de la propagation du virus. D’abord en Asie, puis en Europe, puis aux États-Unis. Mais la coordination mondiale du Groupe que nous avions mise en place dès le départ a permis que les expériences acquises en Asie bénéficient à nos entités européennes, puis aux États-Unis, et que nos BCP soient sans cesse renforcés ».

Autre leçon : l’intérêt stratégique du virage digital engagé par le Groupe il y a quelques années. « La digitalisation déjà engagée de l’activité, en interne comme en externe, nous permet de traverser cette crise de façon moins dramatique que le reste du secteur ». Plus de 50% des médias du Groupe, parmi les premiers annonceurs du monde, sont digitaux. Le e-commerce engageait par ailleurs une forte progression depuis plusieurs années (13% en 2019), ce qui a été crucial lorsqu’il a dû compenser une partie de la chute du commerce physique : « c’est un savoir-faire très particulier, une expertise marketing spécifique et une approche commerciale unique.  Et évidemment, la compétence logistique y est différente. Quand le monde a arrêté son commerce classique, nous avions déjà une capacité à dialoguer et à interagir avec nos consommateurs via ces plateformes de e-commerce et les réseaux sociaux, ce qui nous donne un réel avantage. ». Même analyse pour le pilotage des usines à distance, qui a permis de maintenir leur activité (« si ces métiers-là n’étaient pas digitalisés depuis des années, cela n’aurait pas été possible ») et pour les laboratoires dont l’activité est également en partie digitalisée (« une grande partie de nos chercheurs développent en ce moment-même des innovations alors qu’ils se trouvent en dehors de leur laboratoire »).

« Une autre chose que le BCP ne prévoit pas, et qui est une énorme leçon pour nous tous : c’est la solidarité ». Á la fois la solidarité individuelle des équipes (avec le suivi étroit de la santé et de la situation personnelle de chaque collaborateur) et la solidarité transversale : « nous avons des réunions virtuelles d’une intensité inouïe, où la collaboration est plus forte que d’habitude. Cela est vrai aussi envers l’amont et l’aval du groupe » (cf. infra). Exemple également des débuts de la crise en Chine, où des groupes Whatsapp ont été constitués avec chacun des fournisseurs du Groupe, pour suivre leur situation et leur partager la base de données d’information de sécurité du groupe, leur fournir du gel hydro-alcoolique ou encore racheter leurs stocks pour leur assurer de la trésorerie. « La solidarité amont-aval avec notre écosystème est spectaculaire ».

 

Participation à l’effort national

En tant qu’acteur économique, le Groupe s’est engagé à geler l’ensemble des créances des TPE et PME en aval (petits salons de coiffure et parfumerie notamment) et, en amont, le Groupe a décidé vis-à-vis de ses fournisseurs fragiles d’une réduction des délais de paiement voire d’un paiement comptant pour ceux qui en auraient le plus besoin.

En tant qu’employeur, le Groupe s’est engagé à maintenir la totalité des emplois et de payer 100% du salaire de chacun de ses collaborateurs jusque fin juin date à laquelle nous espérons que la crise sera passée »). Le Groupe renonce ainsi à recourir au dispositif de chômage partiel proposé par le Gouvernement français, tout comme au report des charges sociales ou fiscales. « Nous avons préféré laisser ces dispositifs à d’autres entreprises qui en auraient plus besoin que nous. C’est une façon évidente pour nous de participer à l’effort national ».

21 usines dans le monde manipulant de l’alcool se sont par ailleurs mises à produire en priorité du gel hydro-alcoolique, sur la base de formules fournies par les laboratoires du Groupe et adaptées à certaines contraintes locales (l’Indonésie, par exemple, ne tolérant pas les produits à base d’alcool). « On a dans un premier temps utilisé les contenants à notre disposition, selon les demandes faites par les hôpitaux. Puis des fabricants d’emballages nous ont proposé de nous donner des flacons. Des producteurs d’alcool, notamment Pernod-Ricard et Bacardi, nous ont également proposé leurs réserves d’alcool pour produire du gel ». La fabrication de 1500 tonnes de gel a ainsi pu être programmée entre mars et avril, pour des dons aux personnels de santé, pharmaciens, Ehpad ou encore le secteur alimentaire.

Le Groupe a par ailleurs donné 38 000 masques FFP2 dont il disposait à des hôpitaux et Ehpad présents autour de ses sites, ainsi que 30 000 masques chirurgicaux, des blouses, tabliers, surblouses et lunettes de sécurité. « On a donné tout ce qu’on pouvait ».

À travers sa Fondation, le Groupe a également soutenu région par région des associations avec lesquelles il était partenaire, chaque région ayant pu décider à qui attribuer la donation, au-delà de la décision du Groupe.

 

Un travel ban instauré très tôt

Le Groupe a, dès les débuts de l’épidémie en Chine, instauré un travel ban depuis et vers la Chine, étendu plus tard à toute l’Asie. Il est désormais mondial et prolongé jusqu’à la fin du mois de mai. Cette mise en place d’un travel ban mondial a été décidée très tôt et était une décision prise alors par peu d’entreprises (parmi lesquelles L’Oréal, Nestlé et Sodexo notamment) et qui a suscité de nombreux commentaires, la qualifiant parfois de « surréaction ». « En effet, cette décision était radicale et intervenait tôt dans la crise. Mais on a très vite compris qu’elle permettrait de protéger nos collaborateurs, à la fois du virus et des règles de quarantaine qui commençaient à être mises en place partout ».

Une assemblée générale reportée

Prévue le 21 avril, l’Assemblée générale du Groupe a été reportée au 30 juin, « Il n’était pas opportun de partager une vision dès avril. Nous espérons avoir une meilleure vision des perspectives de redémarrage de l’activité lors de notre assemblée en juin ».

 

[1] Cette application très stricte des normes sanitaires imposées par les autorités a valu à L’Oréal un reportage à la télévision chinoise qui l’a montré en exemple.

[2] Elle est composée par ailleurs du Directeur général adjoint en charge des divisions (Nicolas Hieronimus), du Directeur général Administration et Finances (Christophe Babule), de la Directrice générale Technologie et Opérations (Barbara Lavernos), du Directeur des Ressources Humaines du Groupe (Jean-Claude Le Grand), de la Directrice générale Communication et Affaires publiques (Lucia Dumas Bezian), ainsi que des dirigeants pays.

[3] Business Continuity Plan

 

Barbara Lavernos, Directrice Générale Technologies et Opérations et membre du Comité Exécutif

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