Comment la recherche de plus de résilience va transformer la supply chain

Perspectives de relocalisation, nouvelles stratégies d’approvisionnement, employabilité des Français, impact du télétravail, relation avec les territoires… À la tête du leader français de la logistique, secteur clé de l’économie nationale (10% du PIB), Marie-Christine Lombard partage son retour d’expérience, un an après le Grand Confinement, et décortique pour l’Institut de l’Entreprise les grands enjeux de son secteur et de la reprise en cours.

 

Institut de l'Entreprise : En 2020, GEODIS a mis 25 millions d’euros sur la table uniquement pour assurer la sécurité des collaborateurs face au Covid-19. Un an après, qu’en reste-t-il ?

Marie-Christine Lombard : Tout est encore en place ! Masques, gel, purificateurs d’air, restrictions de voyage, etc., rien ne disparaitra de notre quotidien tant que la pandémie ne sera pas derrière nous. Mais au-delà de ces mesures spécifiques, ce qui reste de la crise et qui est majeur, c’est la confiance de nos salariés. Ils ont vu la capacité de leur entreprise à surmonter les épreuves avec de vrais succès. Les équipes de GEODIS ont par exemple organisé le pont aérien avec la Chine durant le confinement. Elles ont aussi distribué les vaccins dans certaines régions de France et les distribuent d’ailleurs encore.

Et cela, c’est pour nous une vraie satisfaction collective, riche de sens.

En effet, vous avez été en première ligne depuis le début de la pandémie. Comment voyez-vous l’évolution future de la situation ?

Pendant la crise de la Covid-19, les acteurs économiques et les gouvernements ont compris l’importance de mieux structurer les chaînes logistiques, mais ont aussi pris conscience du rôle vital des entreprises logistiques. Nous sommes au plus près des réalités du terrain, ce qui nous confère une capacité de remontée d’informations fiables et anticipées. Ce que nous voyons actuellement, notamment au travers de nos implantations mondiales, c’est que la crise n’est pas terminée. C’est pourquoi nous restons extrêmement attentifs à l’évolution contrastée de la situation par pays.

Et plus structurellement, pour le secteur de la logistique, qu’est-ce que cette pandémie a changé ?

Il est certain qu’un certain nombre de curseurs ont bougé. Je dirai que la Covid-19 a précipité des évolutions qui avaient déjà commencé avant, davantage qu’il ne les a suscitées. Il y a sans aucun doute une mutation des chaînes logistiques, la problématique cruciale de la localisation des usines de transformation, d’assemblage et des hubs de stockage. La logistique est devenue stratégique. Les conseils d’administration ont bien compris cette nouvelle donne et demandent à leur direction générale de leur expliquer la pertinence des choix retenus. D’un point de vue social, le télétravail fait évoluer les méthodes managériales et la transformation digitale implique de nouveaux besoins en formation. Tout cela était déjà en train d’évoluer avant 2020 mais indéniablement, le Covid a accéléré ces transformations.

Plus structurellement, la recherche d’une plus forte résilience de la supply chain aura des impacts profonds sur le secteur. Nous anticipons une progression plus forte de l’externalisation de la gestion de la chaîne logistique qui exigera d’entreprises comme GEODIS d’investir de plus en plus fortement dans des actifs immobiliers stratégiques, écologiques (neutre en carbone) et des systèmes de mécanisation et de robotisation. Cela va demander des investissements importants qui vont constituer une réelle barrière à l’entrée qui va probablement transformer notre paysage concurrentiel.

Est-ce que cela signifie qu’il faut s’attendre à des relocalisations d’ampleur ?

J’aimerais que ce soit le cas, dans l’intérêt de la France et de l’Europe. Mais nous n’en sommes pas encore là. Un pays qui ne produit pas de biens industriels accroît mécaniquement sa dépendance par rapport aux régions de production. La Covid-19 a révélé aux Français que leur pays n’a plus la complète maîtrise de plusieurs filières stratégiques, telles que le médicament ou certaines industries manufacturières. De fait, les matières premières sont bien souvent à l’autre bout du monde. Mais pour que les sites de transformation, qui ont été placés près des sources d’approvisionnement, soient rapatriées, il faut que la place d’affaire cible soit attractive. Or entre la Chine, usine du monde de ces dernières décennies, et la France, il y a de nombreuses alternatives. L’Europe de l’Est, notamment la Pologne ou le Portugal, par exemple, se démènent pour proposer un mix attirant en termes de sécurité juridique, de qualification de la main d’œuvre, de compétitivité des coûts et d’infrastructures de transport. La France a beaucoup d’atouts et un certain nombre de mesures ont été prises au nom de la compétitivité, mais beaucoup de critères restent à améliorer pour voir les chaînes de production s’y relocaliser en nombre.

Donc vous ne croyez pas aux effets d’annonce sur les relocalisations ?

Il y en aura, mais à la marge. Et j’irai même plus loin en disant qu’il faut être vigilant sur les risques de voir certaines activités vitales s’installer hors de France. Le télétravail, par exemple, présente à la fois un intérêt individuel certain, mais également un risque collectif pour l’emploi. Si une tâche peut être opérée en télétravail à 100%, alors la tentation de certains de la délocaliser risque de devenir réalité. Une dématérialisation totale des échanges pourrait entraîner une délocalisation des services après celle de l’industrie, ce qui serait dramatique. Dans la logistique, nous avons pu constater pendant la crise l’année dernière que la fermeture des sites d’approvisionnement français d’Amazon n’a pas empêché nos concitoyens d’être livrés malgré tout, mais depuis d’autres pays européens. Si la logistique ne se développe pas en France, elle viendra d’Allemagne, de Belgique, etc. avec un coût social et environnemental à la clé pour nous tous.

Quels sont les enjeux de la place française, dans ce contexte ?

À partir du moment où la production se fait ailleurs, notamment dans des secteurs vitaux, la logistique devient une activité stratégique aussi importante que la production elle-même ! Le premier enjeu de la France est donc de conserver une logistique nationale avec des acteurs français, dont GEODIS fait partie. Le second est d’investir dans les infrastructures (ports, aéroports, ferroviaire). Et le troisième est la question de la qualification de la main d’œuvre, avec des métiers dans la logistique qui vont du conducteur routier au « data scientist ». Aujourd’hui, nous avons des difficultés à recruter, par manque de candidats disposant de bases suffisantes. On parle ici de besoins de recrutement considérables, car la logistique représente 1,6 millions d’emplois en France, et connaît une forte croissance.

Comment répondre à cet enjeu de l’employabilité d’après vous ?

Ce qu’il faut savoir, c’est que les métiers de la logistique sont en mutation rapide. Et les profils dont nous avons besoin évoluent. Les hubs logistiques sont devenus de véritables usines. Par ailleurs, les logisticiens comme GEODIS, conscients de leur empreinte écologique et sociale, développent de nouveaux axes comme la décarbonation de leurs activités qui passe par des sites logistiques décarbonés intégrés dans l’environnement naturel, du recours à de l’emploi local et de la formation aux nouvelles technologies… L’entreprise peut faire beaucoup pour former les collaborateurs tout au long de leur parcours professionnel. Mais si nous voulons rester forts sur la logistique, à défaut de disposer de toutes les structures de production, il est indispensable de pouvoir compter sur un vivier de jeunes formés aux disciplines de la logistique ! C’est un enjeu prioritaire.

La formation est un sujet sur lequel l’action de l’État peut aider. Est-ce le seul thème que vous abordez avec les élus nationaux et locaux lorsque vous les rencontrez ?

La formation est un thème fondamental qui relève pour une partie de l’action publique, mais sur lequel les entreprises font également beaucoup. GEODIS est très actif, notamment au travers de l’apprentissage et au-delà. Par exemple, lorsque nous nous sommes rendu compte à travers le monde que les enfants de nos salariés rencontraient beaucoup de difficultés à trouver un stage du fait de la crise, nous avons décidé de leur ouvrir les portes de l’entreprise. C’est le programme Jump’in. Si chaque entreprise prenait ce type d’initiative, cela aurait un impact majeur.

Parlons aussi de l’impact territorial de nos activités. De plus en plus d’élus comprennent l’intérêt d’encourager les activités logistiques sur leur territoire : ce sont de véritables sites industriels, de plus en plus intégrées aux chaînes de production, dont la haute valeur technologique attire des profils de plus en plus qualifiés, avec une volonté d’impact écologique et social positif. Une activité logistique sur un territoire devient synonyme d’emplois.

Quel message voulez-vous passer aux lecteurs de l’Institut de l’Entreprise en cette période de reprise ?

Les entreprises ont joué un rôle majeur en France pendant cette crise pour assurer la fluidité de l’économie dans une période où beaucoup de choses étaient à l’arrêt et continuer à créer du lien social. On le constate d’ailleurs au travers d’un certain nombre de sondages. La troisième édition du tableau de bord de la transformation des entreprises de mai dernier (enquête Ifop pour No Com) fait par exemple état d’une progression de la fierté d’appartenance à son entreprise et de son potentiel d’attraction. C’est un grand pas pour le monde de l’entreprise qui a toujours souffert en France d’un manque de reconnaissance.

Nous devons désormais capitaliser sur ce regain d’intérêt pour continuer à réduire ce clivage entre l’entreprise et la société jusqu’à l’effacer. Pour cela, l’entreprise ne doit pas décevoir. Elle doit donc à tout prix accompagner ses collaborateurs dans les mutations qui s’accélèrent, notamment par de la formation et de la conduite du changement.

Interview de Marie-Christine Lombard, Présidente du Directoire de GEODIS et membre du Conseil d’Orientation de l’Institut de l’Entreprise.

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