« Le capitalisme n’est pas plus responsable de la panne actuelle que des progrès accomplis », constate Anton Brender, chef économiste chez le gestionnaire d’actifs Candriam, dans son livre Capitalisme et Progrès Social publié aux éditions de la Découverte. 

Le professeur associé honoraire de l’université Paris-Dauphine décrypte comment les Etats et la société ont imposé au capitalisme des lois et des régulations qui ont permis le progrès social. 

Il analyse pourquoi les gouvernements occidentaux n’ont pas réussi à s’adapter à la mondialisation. Anton Brender plaide pour que les démocraties fixent de nouvelles règles au capitalisme afin de réduire les inégalités et favoriser la transition climatique.  

La pandémie de la Covid-19 a permis aux adversaires du capitalisme de multiplier les critiques en l’accusant de tous les maux. Après avoir exploité l’Homme et aggravé les inégalités, des philosophes, des sociologues, des anthropologues, des économistes lui reprochent d’être responsable de la destruction inéluctable de la planète et de la pandémie du coronavirus qui a mis à mal la vie de dizaines de millions de personnes en confinant l’économie mondiale. Ils plaident pour que le monde d’après soit bâti sur un système économique différent prônant de nouvelles valeurs.

Chef économiste chez le gestionnaire d’actifs Candriam, Anton Brender refuse le saut dans l’inconnu et analyse comment la démocratie peut conjuguer capitalisme et progrès social.  

Le capitalisme « n’est pas plus responsable de la panne actuelle que des progrès accomplis », diagnostique le professeur associé honoraire à l’Université Paris-Dauphine dans son livre Capitalisme et Progrès Social publié aux Éditions La Découverte. 

Car les capitalistes qui sont « animés par la seule recherche du plus grand profit » et l’intérêt individuel, n’ont pas réussi à imposer leur loi d’airain aux sociétés occidentales. Ils ont au contraire dû composer avec « des forces qui leur étaient étrangères ». Ils ont rencontré sur leur route les États qui les ont obligés à s’engager sur des chemins qu’ils n’auraient pas choisis. 

Les États « ont emprunté la voie de la social-démocratie », écrit Anton Brender qui reconnaît « simplifier » en utilisant « ce terme aujourd’hui fortement connoté ». Les gouvernements se sont appuyés sur les luttes sociales et les évolutions politiques pour fixer des règles au capitalisme. Ils ont dicté des lois et des régulations. Ils ont contraint les entreprises à améliorer les conditions de travail et à réduire le temps de travail. Ils leur ont fait accepter le progrès social dans le pays qu’ils géraient. Cette évolution a demandé des décennies. 

Les États ont également ouvert aux capitalistes de nouvelles possibilités de croissance en investissant dans l’éducation et la santé. En France, Jules Ferry a rendu l’enseignement primaire obligatoire et gratuit. Ils ont mis en place les retraites et les systèmes publics de sécurité sociale.

Déjouant les espoirs de Karl Marx, ces politiques ont créé les conditions d’une nouvelle ère de prospérité. Elles ont permis au capitalisme de développer la société de consommation de masse. 

Le niveau de vie de centaines de millions de personnes dans les sociétés occidentales a fait un bond en avant grâce aux progrès techniques et matériels, à la création de la monnaie de crédit, à la publicité et aux marques.

C’est l’époque des Trente Glorieuses en France qui fait toujours rêver les Français [1]. La croissance est régulière. Les salaires et la productivité progressent.

Les politiques macroéconomiques sont favorables au pouvoir de négociation des salariés. Le plein-emploi donne à ces derniers un atout décisif. « Sans le relatif plein-emploi que nos économies ont connu dans les décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, les hausses de salaires avaient toute chance de rester insuffisantes pour alimenter le développement d’une consommation de masse », souligne Anton Brender. 

L’ascenseur social fonctionne. Les Français constatent que plus de diplôme permet d’obtenir un meilleur emploi et donc un salaire plus élevé. 

La belle mécanique s’est enrayée dans les années 80. La mondialisation monte en puissance. De nouveaux pays entrent dans le jeu avec pour premier atout des salaires plus bas que ceux de la France ou des Etats-Unis. La pensée libérale triomphe. « Le « tout-entreprise » s’est imposé presque partout : dans les pays dont les gouvernements étaient conservateurs bien sûr — les États-Unis et l’Angleterre, en particulier — mais aussi dans ceux où, comme en France, ils se réclamaient de la social-démocratie », explique Anton Brender.  

La finance choisit la planète comme terrain d’action. Les capitaux et les entreprises mettent les pays en concurrence. Les échanges internationaux explosent.  

Les pays occidentaux qui étaient les gagnants du capitalisme national, deviennent les perdants du capitalisme mondialisé. Les délocalisations entraînent la suppression de nombreux emplois. Les Européens assistent impuissants à la disparition de secteurs industriels. La France pratique une politique de transferts publics qui met à mal les équilibres budgétaires pour aider les personnes qui perdent leur travail. 

La Chine qui a débuté comme modeste fabricant de prêt-à-porter, devient une grande puissance économique, technologique et politique en ignorant les droits du travail et autres normes en place en Europe et aux États-Unis. « Seule une concurrence « déloyale » pouvait permettre à un pays alors aussi peu développé que l’était la Chine de se faire une place sur un marché mondial où l’on n’avait, au départ, aucun besoin d’elle. Penser que la Chine aurait pu éviter les excès propres à un capitalisme sauvage, c’est croire qu’un pays où la vie n’a qu’un faible prix peut avoir un droit du travail exigeant et des normes d’hygiène et de sécurité contraignantes », observe le chef économiste de Candriam. 

La révolution informatique et internet accélèrent le mouvement et transforment le travail. Les personnes les mieux éduquées accèdent à des emplois qualifiés et rémunérateurs. Les travailleurs peu formés doivent accepter des postes mal payés et peu qualifiés. Ils se forment sur le tas. Les inégalités s’accroissent. « Malgré le progrès continu de la productivité du travail, le niveau des salaires les plus bas n’a, en un demi-siècle, pratiquement plus progressé en termes réels ! », souligne Anton Brender. 

Les États dont l’autorité est limitée à leur seul territoire, n’arrivent plus à faire jeu égal avec le capitalisme comme ils ont réussi à le faire au XXème siècle. Ils sont impuissants à réguler le capitalisme mondialisé. Ils laissent les banques centrales pratiquer une politique de taux bas pour encourager la demande. Ils n’accomplissent pas les efforts d’adaptation nécessaires.  

Face à cette situation, Anton Brender propose que les États abandonnent la politique monétaire qui a montré ses limites. Il plaide pour qu’ils renouent avec des investissements publics dans des domaines essentiels comme l’éducation, la formation et la santé qui préparent l’avenir. 

Tirant les leçons de l’histoire, le chef économiste de Candriam souhaite réguler le capitalisme afin de mettre son dynamisme au service de la réduction des inégalités et de l’amélioration de la vie de chacun, qu’il soit riche ou pauvre. « Au moment où, dans les économies occidentales au moins, le développement de la société de consommation atteint ses limites, aiguiller le capitalisme vers une autre voie est devenu essentiel. Si les budgets et plus généralement les politiques publiques n’y contribuent pas, nos sociétés auront du mal à renouer avec le progrès social. », affirme Anton Brender.  

Confiant sur la capacité d’adaptation des entreprises,  le chef économiste de Candriam analyse pourquoi le capitalisme peut prendre le virage de la transition climatique après avoir longtemps considéré que «  la nature n’existe pas » pour une raison très simple : « Le capitalisme ne connaît que le monde des marchandises. L’environnement planétaire étant gratuit, il n’avait aucune raison de le préserver ». Mais cette époque est révolue. Les pays développés essaient de donner un prix à la planète.

La démocratie peut imposer au capitalisme ce virage comme les forces sociales et politiques l’ont contraint il y a un siècle à devenir un acteur du progrès social. « Vouloir donner le même prix à toutes les vies humaines n’était pas plus spontané que de vouloir préserver l’environnement planétaire », résume Anton Brender. Les engagements des salariés, des épargnants et des consommateurs, les investissements des Etats en faveur de la transition climatique peuvent  convaincre les entreprises que dépolluer la planète leur permettra d’inventer de nouveaux marchés rentables, de développer la consommation et de créer de la croissance.  


[1] « Les inégalités sont souvent vécues comme une sorte de mépris ». François Dubet, professeur émérite à l’université de Bordeaux. Sociétal - Les inégalités. 4ème trimestre 2019

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