L’asphyxie de l’économie n’est pas un sauvetage

Le PDG d'Aon France et Vice-Président de la région EMEA d'Aon Risk Solutions nous partage, dans cette lettre ouverte, quelques réflexions, empruntes d’une lucidité combative, sur les irréversibles dommages économiques et humains causés par le confinement ; ou encore sur l’impérative association, à la préparation de l’après, des intelligences de terrain de l’ensemble de l’économie libérale, car seuls des acteurs libres et dont le champ de responsabilité est limité peuvent collectivement faire avancer un monde trop complexe pour être pensé unilatéralement.

Robert Leblanc nous livre, également, ses espérances, notamment que puisse rapidement être redémarrée l’activité de toutes les entreprises, dont la situation souligne avec plus de force que jamais le caractère vital. Car pour vivre, et pas seulement survivre, la convivialité, les rencontres, la coquetterie, la culture, la spiritualité, l’évasion, et donc de tous ceux qui nous en donnent les moyens, sont essentiels.

Il adresse, enfin, tous ses encouragements à ceux qui, sur le terrain ou chez eux, se dévouer pour faire avancer les entreprises, et adresse une pensée spéciale pour ceux, extrêmement nombreux, qui espèrent pouvoir reprendre bientôt leur activité.

Chers amis,

Tout dans cette période nous invitant, en tant qu’acteurs des entreprises autant que citoyens, nous interroger, je réponds à la proposition de la Quotidienne en partageant quelques réflexions en cours.

Nous avons vu la Chine s’arrêter, comme si cela ne nous concernait pas. L’épidémie s’est abattue sur l’Europe, sur l’Italie d’abord, et nous avons continué de croire en France que nous ne connaîtrions pas de drame chez nous. Jusqu’à l’annonce, le 12 mars, de la fermeture des écoles, le 14, celle des restaurants et des théâtres et, le 16, le début du confinement total. Et là, nous nous sommes retrouvés dans un état de sidération. Tout s’est arrêté, sauf ce qui était absolument nécessaire, nous ont dit les pouvoirs publics.

Qu’est-ce qui est nécessaire ? L’alimentation, naturellement. Les commerces d’alimentation sont donc autorisés à ouvrir. Encore faut-il que les vendeurs ou les caissières soient présents, donc que des transports de personnes fonctionnent. Il faut aussi que ces commerces soient livrés, donc qu’en amont l’agriculture et l’industrie agro-alimentaire ne s’arrêtent pas, que les fabricants d’emballages continuent de les produire, que les transports de marchandises fonctionnent, que les chauffeurs puissent se ravitailler en chemin, voire dormir. Rien de tout cela ne serait possible sans le maintien de la production d’électricité ni la fourniture de carburants, sans parler des réparateurs de tous les équipements et matériels utilisés, etc. Progressivement, on reconstruit toute une économie.

L’exercice est intéressant et rappelle les BBZ d’il y a trente ans, les « budgets base zéro ». Il s’agissait, dans les entreprises qui avaient besoin de se restructurer, d’oublier l’existant et de se poser la question : pour faire ce que nous avons à faire, si nous partions de la page blanche, de quoi aurions-nous besoin ? En l’occurrence, on arrivait presque toujours à moins de salariés et moins de dépenses. Le parallèle doit nous alerter sur le réemploi des personnes dans une économie qui ne retiendrait que les premières nécessités, parmi lesquelles la construction reviendrait vite par la force des choses. Or, si l’on veut vivre et pas seulement survivre, on a besoin de beaucoup plus, de convivialité, de rencontres, de coquetterie, de culture, de spiritualité, d’évasion, et donc de tous ceux qui nous en donnent les moyens.

L’arrêt de beaucoup d’activités considérées comme non nécessaires pendant un temps donné cause des dommages irréversibles, en dépit des discours des autorités publiques et des efforts réellement faits pour apporter de la liquidité aux acteurs économiques. Dans quel état sera le monde après cette pause forcée ? Le confinement comme seule mesure de protection sanitaire aura des effets dévastateurs sur de nombreuses activités, et donc sur la situation des personnes. Le chômage monte en flèche dans tous les pays, la pauvreté l’accompagne nécessairement dans les pays qui ne font pas bénéficier leurs citoyens d’une protection sociale généreuse, et l’on peut penser que misère et malnutrition tueront dans le monde au moins autant que le virus.

Les pouvoirs publics ont-ils la capacité d’anticiper la situation d’après, mieux qu’ils n’ont anticipé la crise sanitaire ? Sans faire injure à leur engagement ni à leur intelligence, on peut faire l’hypothèse qu’une réflexion en chambre d’une poignée de personnes ne sera jamais aussi efficace que la somme des intelligences de terrain de l’ensemble des acteurs d’une économie libérale ; la centralisation désastreuse de la production et de la fourniture des masques de protection en est l’illustration. Le monde est trop complexe pour le penser unilatéralement ; seuls des acteurs libres et dont le champ de responsabilité est limité peuvent collectivement le faire avancer.

Ce credo libéral va à l’encontre des discours lénifiants sur l’État sauveur. L’asphyxie de l’économie, c’est-à-dire de l’activité humaine, n’est pas un sauvetage. Car travailler, c’est non seulement produire les biens et services nécessaires aux autres, mais c’est aussi participer à l’aventure humaine, exister socialement, s’accomplir, se former et progresser. C’est pourquoi le chômage est un mal terrible. Et c’est ce que l’on crée en ce moment.

Dans beaucoup de pays, cette crise mondiale créera de la misère. En France, on l’évite en dépensant de l’argent public. Mais de l’argent que l’on n’a pas. Il fallait le faire, mais pas en donnant au public l’impression qu’il suffit de le vouloir et qu’il n’en découlera pas de conséquences négatives ; car, le calme revenu, le retour à la nécessaire rigueur sera plus mal compris que jamais. Jusqu’à quand pourra-t-on vivre à crédit ? Notre pays est merveilleux, il a une belle histoire, une belle géographie, une belle culture, de beaux savoir-faire, de belles entreprises, mais nous fera-t-on toujours confiance ? Et comment ferons-nous pour honorer ces dettes, si nous voulons pouvoir continuer à emprunter ? Car nous n’avons pas attendu la crise actuelle pour vivre à crédit, nos déséquilibres sont chroniques. Il faudra bien créer de la richesse matérielle pour avoir les moyens de faire patienter nos créanciers. Et qui crée cette richesse ? Le secteur privé, les commerçants, les artisans, les entreprises petites et grandes, tous ceux qui satisfont des besoins de première nécessité comme des futilités.

À qui reconnaissons-nous le droit de choisir pour nous ce qui nous fait plaisir ? Bien sûr, on peut considérer avec dédain la frénésie de consommer et valoriser une vie intérieure plus riche, mais c’est le redémarrage de l’envie de se faire plaisir et de dépenser qui relancera l’ensemble des chaînes de valeur et recréera la richesse dont nous avons besoin pour nous acquitter de nos dettes.

Le monde entier s’est arrêté. Pendant que certains rêvent d’une économie pacifiée, d’autres n’ont de cesse de se remettre au travail, de retrouver les moyens de leur puissance et de faire progresser le bien-être matériel de populations qui n’ont pas atteint le niveau de satiété de certains vieux pays. Nous n’avons pas d’autre choix que de continuer à nous battre pour faire partie des gagnants. Mais gare aux pacifistes de l’économie : comme tous les pacifistes, ils sont juste bons à faire perdre les guerres, pas à gagner la paix !

J’espère donc que nous trouverons rapidement le moyen de reprendre une vie courante qui, à défaut d’être identique à celle d’avant le 16 mars, nous laissera toutefois la possibilité de redémarrer l’activité de nos entreprises. Une activité qui n’est pas facultative, mais vitale à tous égards. En attendant, j’adresse tous mes encouragements à ceux qui, sur le terrain ou chez eux, se dévouent pour faire avancer les entreprises, et j’adresse également une pensée spéciale pour ceux, extrêmement nombreux, qui espèrent pouvoir reprendre bientôt leur activité. Prenez soin de vous,

Robert Leblanc, PDG d'Aon France et Vice-Président de la région EMEA d'Aon Risk Solutions

Vous voulez recevoir la Quotidienne des Entreprises En Action ? Cliquez sur l'icône représentant une enveloppe sur notre site !

Vous voulez proposer le témoignage de votre entreprise ? Écrivez-nous ICI