Après nous avoir rappelé l’interaction entre les politiques budgétaire et monétaire (épisode 1), puis nous avoir expliqué comment la dette publique achetée par la Banque Centrale est de facto annulée (épisode 2), Patrick Artus pointe ici la nécessité d’initier une réflexion sur les règles budgétaires européennes.

Pendant les crises et les récessions, à l’instar de la pandémie de Covid-19 que nous traversons actuellement, les règles budgétaires européennes sont bien sûr suspendues. Toutefois, leur rétablissement une fois la crise passée entraînerait le retour à une politique budgétaire restrictive.

Ce schéma classique apparaît aujourd’hui inquiétant puisque les besoins de dépenses publiques resteront importants sur le plan de la santé, de l’industrie du futur ou encore du soutien à l’investissement notamment.

Pendant les crises et les récessions, comme la crise du coronavirus, les règles budgétaires européennes sont bien sûr suspendues, mais elles seront normalement rétablies après la crise. Ceci devrait entraîner le retour à une politique budgétaire restrictive, assez inquiétante puisque les besoins de dépense publique (santé, industrie du futur, soutien de l’investissement) resteront importants. Il faut donc initier une réflexion sur les règles budgétaires européennes.

Rappel des règles budgétaires européennes

En principe aujourd’hui, le déficit public structurel (corrigé des effets du cycle économique) ne peut pas dépasser 0,5% du PIB (1% du PIB pour les pays dont le taux d’endettement public est inférieur à 60%) ; le déficit public total ne peut pas dépasser 3% du PIB ; l’excès du taux d’endettement public par rapport à la norme de 60% du PIB doit être résorbé de un vingtième par an (si, après la crise, la France a un taux d’endettement public de 105% du PIB – un peu moins de 99% aujourd’hui – elle devra le réduire de 2,25 points de PIB par an, ce qui est énorme). Mais nous allons montrer que ces règles budgétaires sont simplistes, et ne tiennent pas compte de quatre mécanismes importants.

Les règles budgétaires ne tiennent pas compte de la demande de dette sans risque

La règle de taux d’endettement public (retour à 60% du PIB) ne tient pas compte de ce qu’il y a, depuis la crise de 2008-2009, mondialement et dans la zone euro une forte demande de dette sans risque, qui vient à la fois de la hausse mondiale du taux d’épargne du secteur privé (de 25,5% du PIB en 2007 à 29,5% aujourd’hui). Puisqu’il y a, ex ante, excès de demande pour les dettes sans risque, les taux d’intérêt à long terme d’équilibre ont beaucoup baissé (moins de 0,5% pour l’ensemble de la zone euro). S’il y a forte demande pour les dettes sans risque, il faut accroître l’offre de dette publique, sinon le taux d’intérêt d’équilibre devient absurdement bas.

La règle de déficit public ne tient pas compte de l’équilibre entre l’épargne et l’investissement

La règle de déficit public (déficit structurel maximum de 0,5% du PIB, déficit total maximum de 3% du PIB) ne tient pas compte de l’équilibre entre l’épargne et l’investissement. Depuis 2012, la zone euro a un excès d’épargne sur l’investissement, ce que montre l’excédent de sa balance courante (3% du PIB en moyenne). Ceci devrait permettre d’accroître le déficit public autorisé, puisque, s’il y a excès d’épargne, un déficit public plus élevé ne fait pas apparaître un effet d’éviction. Il ne provoque pas une hausse des taux d’intérêt qui réduirait l’investissement des entreprises. Une des motivations fondamentales des règles budgétaires européennes est effectivement d’éviter l’effet d’éviction dû au déficit public.

La règle de déficit public ne tient pas compte de la composition des dépenses publiques

La règle de déficit public de la zone euro ne tient pas compte de l’origine du déficit public : est-ce la hausse des dépenses publiques courantes (salaires, transferts sociaux...) ou celle de l’investissement public ? Des investissements publics utiles (il faut bien sûr être capable de les sélectionner) peuvent être sans danger financés par la dette publique, puisque la rentabilité future est supérieure au coût de la dette. Malheureusement, dans la zone euro, il y a eu recul de l’investissement public de 3,7% du PIB en 2009 à 2,7% du PIB en 2019.

Les règles budgétaires européennes ne tiennent pas compte des interventions de la BCE

Les motivations fondamentales des règles budgétaires européennes sont d’éviter la hausse des taux d’intérêt sur l’euro, qui freine la croissance, et d’éviter les crises de la dette, qui nécessite de soutenir les pays en crise. Or, on sait que quand la BCE achète irréversiblement une obligation souveraine (d’un Etat), cette obligation est de facto annulée. Les Banques Centrales reversant leurs profits aux Etats, elles leur rendent les intérêts sur la dette qu’elles détiennent, et la détention de l’obligation étant irréversible (elle sera renouvelée à l’échéance), cette obligation devient gratuite et non remboursable. Ceci veut dire que, quand la BCE monétise irréversiblement des déficits et de la dette publique, ces déficits et cette dette publique ne peuvent plus faire monter les taux d’intérêt ou provoque une crise de perte de solvabilité budgétaire. On pourrait donc accepter des déficits et une dette publique plus élevée en période de Quantitative Easing irréversible (la BCE ne réduira pas ensuite la taille de son bilan).

En principe, il faudrait donc des règles budgétaires européennes plus complexes et ajustables

Les règles budgétaires européennes présentes ont l’avantage de la simplicité et de la stabilité dans le temps (limites à 0,5% ou 3% du PIB pour le déficit public, retour vers 60% du PIB du taux d’endettement public). Ce qui précède montre qu’il serait plus efficace d’avoir des règles budgétaires plus sophistiquées qui tiennent compte de la demande de dette sans risque, de l’équilibre entre l’épargne et l’investissement, de la structure des dépenses publiques et des interventions de la BCE visant à assurer la solvabilité budgétaire des Etats. 

Auteur : Patrick Artus, Chef économiste de Natixis et Professeur à PSE

Source: Melchior.fr

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