C’est d’abord sur les entreprises que les Français comptent pour améliorer leurs conditions de travail selon l’étude « Les nouvelles attentes des Français envers les entreprises ». Et pour cause, celles-ci ont profondément évolué ces dernières années sur ce sujet, et l’appréhendent désormais comme un levier de compétitivité et d’attractivité.

En outre, nombre d’entreprises risquent d’être disruptées par des acteurs nouveaux, qui ne viendraient pas les concurrencer uniquement sur leur métier, leur modèle économique ou leur technologie, mais sur leur capacité à être plus en phase avec les nouvelles attentes des collaborateurs.

À l’aune de la pandémie de Covid-19, qui a amené dans l’urgence une évolution des organisations du travail, les collaborateurs expriment plus que jamais de nouvelles aspirations – qui bouleversent le modèle du salariat tel qu’il existe depuis plusieurs dizaines d’années. La qualité de vie au travail devient un critère de choix majeur, parfois plus important même que le salaire. Et la nouvelle génération aspire à un travail choisi. Elle ne veut plus que lui soient imposés des horaires, un lieu où travailler, un emploi unique, etc. Elle aspire par ailleurs à conduire des actions qui aient du sens, révèlent des valeurs, ou concourent à un intérêt collectif.

Plus individualisées et plus souples, ces nouvelles organisations du travail portent cependant également le risque de nouvelles fractures et de nouvelles inégalités entre les salariés. Repenser la capacité des entreprises à adapter leurs modèles doit donc se faire sans perte de droits sociaux, pour que flexibilité ne rime pas avec précarité, et avec une attention renforcée pour la prévention des risques psychologiques induits par les nouvelles organisations.

« Nos collaborateurs, notamment les plus jeunes, veulent, et je les comprends, reprendre leur destin en main. Ils ne supportent plus qu’on leur impose des modèles. Dans mon secteur, je rencontre de plus en plus de personnes qui recherchent des flash-jobs, qui veulent dans le même mois travailler pour tel hôtel, tel restaurant et tel bar, tous appartenant à des sociétés différentes. »

Sébastien Bazin, PDG du Groupe Accor

Co-Président de la commission « Qualité de vie et nouvelles organisations du travail »

« Les recettes d’hier ne fonctionneront pas. Les entreprises demandent des cadres juridiques sécurisant, leur permettant de proposer à leurs salariés de nouveaux services de qualité de vie et les organisations du travail de demain. »

Christian Schmidt de La Brélie, Directeur général de KLESIA

Co-Président de la commission « Qualité de vie et nouvelles organisations du travail »

Propositions

Proposition n°5 : Inciter les entreprises à permettre à leurs collaborateurs de s’engager, sur leur temps de travail, dans des activités à « impact » en faveur de l’intérêt général et des grands enjeux sociétaux.

  • Étendre le dispositif de mise à disposition temporaire de salariés en faveur de l’intérêt général, prévu à l’article L. 8241-3 du Code du travail, aux entreprises de moins de 5 000 salariés.
  • Créer un avantage social (allègement des cotisations) pour les entreprises qui mettent à disposition des salariés dans le cadre d’un mécénat de compétences.
  • Faire de la mise en place des dispositifs pro bono et de mécénat d’entreprise des thèmes au sein de la négociation obligatoire sur la qualité de vie au travail.

À l’aune d’une crise qui a pu, aux yeux de certains, raviver les solidarités et le sens de l’intérêt général, les collaborateurs ont exprimé des envies de contribuer plus activement au bien-être collectif et appelé leurs entreprises à amplifier leurs actions au bénéfice de la société. La recherche de sens est plus que jamais une attente des salariés.

Les dispositifs tels que le mécénat de compétence permettent aux entreprises de faire bénéficier les actions d’intérêt général de leur professionnalisme ; mais elles ne sont que peu accessibles aux entreprises de moins de 5 000 salariés… c’est-à-dire à 75% des salariés français du secteur marchand.

 

Proposition n°6 : Décloisonner les modèles de travail salarié et indépendant, sans que l’un ne s’efface au profit de l’autre.

Garantir à tous les travailleurs, qu’ils soient salariés ou indépendants, un équilibre entre flexibilité et sécurité sans avoir à renoncer à l’un ou l’autre de ces statuts. Pour cela, définir un socle commun de droits de l’activité professionnelle, applicable aux salariés et aux indépendants.

Faciliter les transitions entre les statuts de salarié et d’indépendant en garantissant la portabilité des droits sociaux acquis. Il s’agira pour cela de créer des passerelles sécurisées entre ces deux modèles.

Parmi les principales aspirations des salariés, figure la question de la souplesse et de l’individualisation des conditions de travail, sans perte de droits sociaux. Les plus jeunes, en particulier, aspirent à un travail choisi en termes de lieu et d’horaires de travail. Certains souhaitent même, dans certains secteurs, travailler dans le même mois pour différentes sociétés. Répondre à ces inspirations de flexibilité-sécurité nécessite des évolutions de la réglementation.

 

Proposition n°7 : Renforcer la formation des managers à la prévention des risques psychosociaux.

En faisant évoluer dans l’urgence les organisations du travail, la pandémie de Covid-19 a jeté une lumière crue sur des risques professionnels qui lui préexistaient (stress numérique, surmenage, troubles musculo-squelettiques...), et en a créé de nouveaux que les évolutions durables des modes de travail portent le risque de pérenniser.

Les managers, au contact quotidien de leurs équipes, sont en première ligne pour prévenir ces risques, et doivent par conséquent être accompagnés et formés de manière renforcée à ce rôle qui leur incombe.

Éviter et prévenir les risques psychosociaux relève d’une obligation pour les entreprises, déjà mise en oeuvre, mais il est indéniable que les évolutions de modes d’organisation (notamment le télétravail), accentuées et accélérées par l’effet Covid-19, amènent de nouvelles problématiques, et donc un besoin de repenser et développer ces formations.

L’Institut de l’Entreprise souhaite profiter de l’occasion de la Présidentielle pour saluer l’engagement des entreprises en matière de prévention des risques professionnels, et les inviter à repenser leur action à l’aune des nouvelles pratiques de travail.

 

Proposition n°8 : Garantir aux entreprises un cadre juridique sécurisé pour mettre en oeuvre des modèles d’organisation répondant aux nouvelles aspirations collectives et individuelles de leurs collaborateurs.

  • Définir légalement des garde-fous sécurisant les entreprises qui mettent en place un cadre de télétravail souple, adapté aux (en)vies de leurs collaborateurs. Si les dispositions légales en vigueur sont protectrices des salariés (droit à la déconnexion, définition de plages horaires pour être contacté, contrôle de la durée et de la charge de travail), le développement du télétravail a montré qu’elles l’étaient moins à l’égard des entreprises. Il apparaît donc nécessaire de réformer ce cadre juridique de nature à décourager certaines entreprises d’avoir recours au télétravail.
  • Faciliter la mise en oeuvre d’horaires de travail plus souples, adaptés aux besoins et envies de chaque collaborateur. Il s’agit pour cela de refondre les règles rigides et contraignantes (avis conforme du CSE ou à défaut de CSE, autorisation de l’Inspection du travail) de détermination de l’horaire collectif de travail.

Les entreprises doivent aujourd’hui pouvoir répondre aux nouvelles aspirations de leurs salariés, désireux d’un meilleur équilibre entre vie professionnelle et personnelle. Pour cela, elles ont besoin d’un cadre sécurisé qui leur permette s’adapter aux nouvelles demandes, notamment en termes de lieu et d’amplitude du temps de travail.

Les membres de la commission

Sous la présidence de Sébastien Bazin (Président-directeur général du Groupe Accor) et Christian Schmidt de La Brélie (Directeur général de KLESIA), la commission « Nouvelles organisations et qualité de vie au travail » a réuni :

  • Jean-Marc Borello (Président du Directoire du GROUPE SOS),
  • Daniel Harari (Président-directeur général de Lectra),
  • Christophe Harrigan (Directeur général de La Mutuelle générale),
  • Marc-Antoine Jamet (Secrétaire général de LVMH),
  • Olivier Lenel (Président du Directoire de Mazars France),
  • Laurent Marquet de Vasselot (Directeur général de CMS Francis Lefebvre),
  • Jacques Richier (Président d’Allianz France),
  • Philippe Roncati (Président de Kyndril),
  • Laureline Serieys (Directrice générale d’Uber France),
  • Anne-Charlotte Vuccino (Fondatrice et CEO de Yogist).

Perception citoyenne

Concernant cette thématique, les Français ont tout de suite à l’esprit la montée en puissance du télétravail. Un sujet dont ils souhaitent que les entreprises s’emparent dans les années qui viennent, au-delà de la situation particulière de la crise sanitaire.

« Pour la qualité de vie et l’organisation du travail, on est plus sur le télétravail, cela existe depuis avant le Covid, et là les entreprises réfléchissent à une dynamique où on pourrait l’installer un ou plusieurs jours par semaine, ce serait bien, pour ceux qui le peuvent. »

Bobigny, 18-29 ans

 

En corollaire, apparaît fortement l’enjeu de la conciliation vie personnelle / vie professionnelle dont l’importance et la complexité se sont renforcées avec le renforcement du télétravail. Si la flexibilité est saluée, certains sont en demande de garde-fous pour éviter qu’il vampirise la vie personnelle.

« Aujourd’hui la barrière entre vie privée et vie pro est de plus en plus fine du fait du télétravail, il faut allier les deux. L’idée du travail en 2021 – 8h-18h au bureau – est archaïque. On confond présence et productivité. »

Saint-Brieuc, 18-29 ans

« On a tendance à travailler différemment et même plus, parce qu’il y a des heures de folie, on ne coupe pas totalement. Il y du positif et du négatif dans ces nouvelles façons de travailler. »

Bayonne, 30-45 ans

« Mettre en place un cadre de travail quand les salariés sont à la maison. Ce n’est pas 6h-23h le travail à la maison, on ne lit pas ses mails à 22h, on ne répond plus au téléphone sur la pause déjeuner. »

Dole, 46-65 ans

 

L’autre bémol parfois soulevé est que cette flexibilisation ne serait pas accessible à tous les métiers, ce qui induirait de nouvelles fractures entre salariés.

« Qu’est-ce qui est proposé aux salariés et métiers ne pouvant pas bénéficier de conditions de travail plus flexibles ? »

Reims, 30-45 ans

 

Au-delà du télétravail, la thématique de la qualité de vie est perçue par certains comme un facteur d’attractivité pour les entreprises qui peinent parfois à recruter sur certains métiers en tension.

« Les entreprises peuvent avoir des difficultés à recruter. On a un problème d’employabilité du fait que les jeunes revendiquent d’abord leur vie privée, plutôt que leur vie professionnelle. »

Angers, 46-65 ans

 

Mais les « signes extérieurs de qualité de vie au travail » souvent promus par les start-up sont relativisés par les Français, et notamment par les plus jeunes qui privilégient des dimensions plus essentielles.

« Par rapport à ça, je suis mitigé, souvent on est démarchés par des recruteurs, ils nous vendent le babyfoot, du yoga, du sport, c’est bien, mais c’est l’équivalent du greenwashing pour l’environnement. La qualité de vie au travail passe avant tout par la prise en compte du stress des collaborateurs et la gestion de la charge de travail. Et surtout, rien n’a de sens sans de vraies perspectives d’évolution professionnelle. »

Reims, 18-29 ans