Les salariés sont nos premiers actionnaires : leur intérêt dans la résistance de l’entreprise est donc double.

Le Président-Directeur Général de Kaufman & Broad, dont les activités sont frappées de plein fouet par le confinement, observe que cette crise inédite a pourtant un point commun avec toutes les autres : l’adaptation des organisations passe toujours par une évolution et non par une stratégie d’attente. Nordine Hachemi décrit ainsi l’importance pour la filière du logement et pour l’économie française que les chantiers reprennent et que les actes administratifs avancent. Il relève également que les circonstances actuelles illustrent à quel point la notion de partie prenante n’est pas un vain mot mais une réalité positive à laquelle les entreprises contribuent activement, et que Kaufman & Broad expérimente de manière particulière à travers l’actionnariat salarié, majoritaire dans le capital de l’entreprise.

Institut de l’Entreprise – Comment la crise sanitaire a-t-elle démarré pour vous ?

Nordine Hachemi – C’est arrivé à toute vitesse. Dès février déjà, nous avons pris conscience chez Kaufman & Broad de l’importance de la crise, car nous avons des collaborateurs qui vivent dans l’Oise, là où le premier cluster est apparu. Le 16 mars, toute l’entreprise avait basculé en télétravail. Il faut dire que nous nous étions massivement organisés de cette manière pendant les grèves de la fin 2019. Mais ce dispositif qui, deux mois plus tôt seulement avait été mis en place pour faciliter la vie des collaborateurs, s’est trouvé tout à coup indispensable pour préserver leur santé et même la vie de l’entreprise. Un épisode le mardi 17 mars m’a particulièrement marqué. Nous avons tenu nos réunions de décisions habituelles : elles n’avaient jamais été tentées avec ce niveau de dématérialisation, mais j’ai eu l’impression incroyable que nous l’avions toujours fait ainsi. Nous étions prêts.

Et sur le plan économique, comment votre entreprise a-t-elle géré l’entrée dans la tourmente ?

Nos activités se sont trouvé frappées de plein fouet par la crise. Il y a deux dimensions chez nous : la partie liée à la vente de logements, qui ne pouvait pas poursuivre sans présence physique chez le notaire ; et la partie de réalisation de bureaux qui a stoppé avec tout le secteur des BTP. Les équipes ont réagi avec un sang-froid impressionnant. Il faut savoir que chez Kaufman & Broad, qui est cotée en bourse, les salariés sont les premiers actionnaires : ils détiennent 15% du capital. Leur intérêt dans la résistance de l’entreprise était donc double. J’ai écrit une lettre à tous, basée sur mon ressenti : d’abord pour dire la fierté de travailler à leurs côtés. Je voulais aussi expliquer la stratégie de l’entreprise. Depuis plusieurs mois, nous avions manœuvré à contrecourant de l’euphorie qui pouvait s’observer par ailleurs sur les marchés immobiliers. Nous n’avions pas hésité à refuser des appels d’offres. Nous avons refusé aussi la doctrine qui voudrait qu’il vaut mieux avoir de la dette que des fonds propres. Cette stratégie nous a mis dans une situation favorable, avec des liquidités abondantes et une absence d’endettement. Les salariés ont tout de suite compris que l’entreprise va résister, c’est un énorme facteur de confiance pour la suite.

Justement, comment voyez-vous le redémarrage de votre activité ? Quelle sera la contribution concrète de votre métier à la sortie de crise ?

En l’absence de possibilité de travailler du fait du confinement, il a fallu placer une partie des collaborateurs en chômage partiel. L’entreprise complète leur salaire. Nous avons aussi choisi, conformément à la demande du Gouvernement, de réduire le dividende. Mais aucune entreprise n’a vocation à fonctionner ainsi. Nous avons plusieurs enjeux pour reprendre nos activités. Le premier, c’est le redémarrage des chantiers : ce point va encore prendre un certain temps avant de se normaliser. Le second enjeu, la possibilité de réaliser des signatures chez les notaires à distance pour pouvoir finaliser nos ventes, là aussi, le sujet avance. Enfin, au-delà du stock que représentent les ventes et les chantiers en cours, il est indispensable de faire repartir le réacteur économique de notre filière. Promoteurs immobiliers et entreprises de BTP doivent pouvoir redémarrer. Nous avons le moyen de contribuer à la relance de l’économie par la filière logement. Il faut impliquer les investisseurs institutionnels dans des grands projets d’aménagement urbain. C’est une chaîne organique, qui doit évoluer de manière concertée avec les pouvoirs publics. Mais il reste de vrais obstacles à lever pour avancer.

Au-delà de l’impact du confinement sur les chantiers, qu’est-ce qui bloque ce réacteur économique dont vous parlez ?

Les élections inachevées rendent difficile l’attribution des permis de construire, car les équipes municipales ne sont pas constituées. Mais surtout, il faut saisir que dans notre secteur, les permis de construire d’aujourd’hui se traduiront par une activité économique dans 12 à 18 mois. L’urgence, ce n’est pas seulement ce qui se passe maintenant, mais aussi ce qui se prépare maintenant pour dans 12 à 18 mois. Or une ordonnance administrative a figé tous les délais. Comme l’administration ne pouvait pas répondre aux demandes, elle a tout simplement annoncé qu’elle allait neutraliser une période, et proposé à la filière de reprendre les dossiers à la sortie, exactement où nous en étions. Cela partait d’un bon sentiment, mais ce n’est pas possible. Le ministre est intervenu, mais une partie du mal est fait, car les administrations ont posé le crayon pour un temps. Nous allons finir les chantiers en cours, mais en 2021, il y aura une période blanche à cause de l’impact de cette ordonnance.

Quels enseignements tirez-vous de cette situation à ce stade ?

Il y a une première observation qui concerne toutes les crises, c’est qu’elle fait éclore des adaptations. Une entreprise, c’est un organisme vivant ; les plus agiles et les mieux préparés progressent. Mais d’autres cherchent à conserver à tout prix leur forme et leur fonctionnement initiaux. On le voit bien dans les cas que j’ai cités. Certains verrous ont été levés, par exemple la signature notariale à distance. Mais en revanche, d’autres organisations ont plus de mal à être agiles et préfèrent geler les choses, faire le gros-dos. Alors qu’il faut s’adapter face à l’inconnu. Profitons de cette période difficile au lieu de la subir entièrement ! L’autre observation que je fais, c’est qu’en cette période, beaucoup d’entreprises illustrent que la notion de partie prenante, ou stakeholder, n’est pas un vain mot, mais une réalité positive à laquelle elles contribuent activement. Chez Kaufman & Broad, nous avons par exemple depuis longtemps une action de soutien pour l’éducation des enfants. Mais à la lumière de l’actualité, nous avons ajouté un volet pour soutenir les soignants.

Est-ce que cette crise inédite a eu un impact sur votre manière de prendre des décisions ?

J’ai toujours considéré qu’il fallait être manœuvrant. C’est comme en voile : il faut de la vitesse pour être manœuvrant, sinon, on est mu par le courant. Ma vision de l’entreprise, c’est qu’il faut avoir de l’élan pour pouvoir changer de cap et ne pas être le jouet du courant et des circonstances. C’est possible dans mon métier, qui est un métier de projets en renouvellement constants. La période en cours ne dément pas cette philosophie ; cela illustre plutôt que notre fonctionnement est adapté à un secteur qui connaît des cycles changeants.

Un message final pour les lecteurs de la Quotidienne ?

Je m’efforce toujours à l’optimisme, car le pessimisme ne mène à rien. Cette crise sera très difficile. Mais je gage que nous allons aussi redécouvrir la qualité de ce qui fait notre pays : les personnes, les femmes, les hommes, leur créativité et leur ingéniosité. En France, nous sommes mieux armés humainement pour en sortir par le haut, c’est ma conviction. Je souhaite à chacun d’être le plus épargné possible, et à nos entreprises de pouvoir reprendre au plus vite leurs métiers.

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