La question de la rémunération du travail apparait majeure. Elle représente pour les entreprises un levier pour attirer et conserver des collaborateurs. Pour les salariés, elle est la garantie de la reconnaissance des efforts fournis et du mérite. Il ressort d’une étude, menée en 2020 par l’Institut de l’Entreprise, que pour améliorer concrètement les choses dans la société, les Français attendent des entreprises qu’elles partagent plus équitablement les bénéfices entre les dirigeants, les salariés et les actionnaires.

Pourtant, en France, la part de la valeur ajoutée consacrée à la rémunération des salaires est stable depuis les années 50. Dans les grandes entreprises, 63% est distribuée aux salariés, 14% à l’État et aux collectivités et 5% aux actionnaires.

Surtout, la France est l’un des pays industrialisés les plus en pointe sur le sujet de l’association des salariés à la réussite économique de l’entreprise. La création de l’intéressement et de participation en 1959 en témoigne.

Ces dispositifs d’association à la réussite économique de l’entreprise permettent d’accroître considérablement le revenu des salariés, tout en fournissant aux entreprises le moyen d’améliorer leur attractivité.

À titre d’illustration, voici les montants moyens versés par les entreprises au titre de quelques outils de redistribution des fruits de la réussite annuelle, pour l’année 2019 :

 

Ces chiffres permettent de mesurer l’importance que ce type d’accompagnement de l’entreprise peut représenter pour leurs collaborateurs, en particulier dans les petites structures qui s’avèrent les plus généreuses lorsqu’elles sont en mesure de verser.

Mais le large déploiement de ces dispositifs de redistribution efficaces et pertinents, auxquels s’ajoutent l’actionnariat-salarié ou les plans d’épargne salariale, est entravé par leur sur-fiscalisation, ainsi que par la complexité et la rigidité de leur mise en oeuvre.

Si bien qu’aujourd’hui, nombreuses sont les entreprises qui ne peuvent les offrir à leurs salariés, notamment dans les structures de moins de 50 salariés, qui, bien que représentant près de 46% des emplois, sont seulement 10% à avoir mis en place un accord d’intéressement, et 5% à avoir mis en place un accord de participation.

« Nous avons des dispositifs assez généreux qui ne sont malheureusement pas assez généralisés en raison de la fiscalité et de leur complexité. L’enjeu est de les rendre plus accessibles. »

Stéphane Pallez, PDG de La Française des Jeux

Présidente de la commission « Partage des bénéfices »

Les propositions

Proposition n°9 : Rendre tous les dispositifs de partage des bénéfices (intéressement, participation, actionnariat-salarié...) plus simples pour les entreprises, avec des processus plus rapides et un guichet unique dédié auprès de l’administration, allant plus loin que ce qui existe aujourd’hui pour aider les TPE / PME à mettre en oeuvre les modèles d’accords-types définis par branche professionnelle.

La loi Pacte a apporté depuis 2019 un certain nombre d’avancées concernant ces dispositifs, en permettant par exemple aux entreprises de moins de 50 salariés d’appliquer, au moyen d’un document unilatéral d’adhésion de l’employeur, un dispositif de participation mis en place par un accord de branche agréé.

Mais la mise en oeuvre de ces outils est souvent un long parcours du combattant administratif face auquel les entreprises de taille réduite sont démunies, par manque de compétences et de temps. Beaucoup de petites entreprises ne disposent pas de représentation syndicale interne ou même d’équipe dédiée à la gestion des ressources humaines, et ne sont pas outillées pour transposer des accords de branche.

Pour rendre l’intéressement, la participation et l’actionnariat salarié accessibles à plus de salariés, et notamment à ceux des TPE / PME qui en sont encore très largement privés, il convient de renforcer l’esprit de la loi Pacte en proposant un accompagnement plus efficace avec des processus simplifiés, des modèles-type de mise en oeuvre par branche et un guichet unique auprès de l’administration.

Proposition n°10 : Pour augmenter la part perçue par les salariés, faire baisser la pression fiscale sur l’intéressement et la participation par la réduction du forfait social.

La sur-fiscalisation des dispositifs de partage des bénéfices (participation et intéressement, notamment) les ont rendus trop coûteux et moins attractifs pour les entreprises, en particulier dans les structures de plus de 250 salariés.

Voté en 2012, le passage brutal du forfait social de 8 à 20% a dissuadé nombre d’entreprises de se lancer dans la mise en oeuvre d’une politique d’intéressement. Prenant acte de cet effet pervers, la loi Pacte de 2019 a supprimé le forfait social pour les entreprises de moins de 50 salariés et l’a limité à la participation pour les entreprises de 50 à 250 salariés.

Malgré ces progrès, le forfait social de 20% continue de dissuader les entreprises, notamment de plus de 250 salariés, à s’appuyer davantage sur l’intéressement et la participation pour associer leurs collaborateurs à la réussite économique annuelle.

À périmètre économique constant, l’abaissement de la pression fiscale sur ces dispositifs permettrait aux entreprises d’accroître le montant perçu par les salariés à coût égal pour l’entreprise, et inciterait davantage d’entreprises à les développer.

Proposition n°11 : Encourager le développement du Plan d’Épargne d’Entreprise dans les TPE et PME et en rendre la transférabilité plus simple et plus facile.

Aider les collaborateurs à se constituer une épargne fait partie des outils dont disposent les entreprises pour partager avec leurs salariés les fruits de la réussite économique, pour soutenir le pouvoir d’achat et renforcer leur attractivité d’employeur.

Les sommes issues de l’intéressement et de la participation que le salarié n’a pas souhaité percevoir immédiatement peuvent ainsi être placées dans des plans d’épargne salariale, avec, à la clé, des avantages fiscaux et sociaux. Parmi les différents outils d’épargne salariale, le Plan d’épargne d’entreprise (PEE), système d’épargne collectif ouvrant aux salariés la faculté de se constituer, avec l’aide de l’entreprise, un portefeuille de valeurs mobilières, présente des intérêts significatifs pour les entreprises qui souhaitent mieux associer leurs collaborateurs à la réussite économique annuelle.

Au-delà de ses avantages fiscaux, l’épargne du PEE présente l’intérêt d’être déblocable au bout de cinq ans (et non pas seulement à la retraite comme dans le cas d’un Perco), voire avant dans certains cas (mariage, naissance, achat de la résidence principale, etc.), et donne en outre la possibilité à l’entreprise de renforcer la redistribution au moyen d’abondements volontaires.

Or le PEE est encore très inégalement répandu. Un salarié sur deux n’y a pas accès en France ; cette proportion monte à près de 9 sur 10 dans les entreprises de moins de 50 salariés, qui concentrent pourtant 46% des emplois du secteur marchand.

Par ailleurs, lorsqu’un salarié détenteur d’un Plan d’épargne en entreprise change d’employeur, les processus pour effectuer le transfert de son épargne sont compliqués. Dans une situation idéale, chaque salarié devrait pouvoir être « suivi » par son PEE avec simplicité. Dans la réalité pratique, il est très fréquent que les salariés ignorent qu’ils ont « laissé derrière eux » des PEE dans les entreprises où ils sont passés, ou bien qu’ils aient dû liquider ces plans d’épargne avantageux en changeant d’entreprise, sans pouvoir reverser ces sommes sur leurs nouveaux PEE.

Inciter davantage les TPE et PME à mettre en place des PEE, et en rendre la transférabilité plus aisée, apparaissent comme deux mesures permettant de mieux associer les salariés à la réussite économique de leur entreprise. Il ne s’agit pas d’inventer de nouveaux dispositifs mais de mieux utiliser ceux qui existent.

Les membres de la commission

Sous la présidence de Stéphane Pallez (Présidente-directrice générale de La Française des Jeux), la commission sur « La meilleure association des salariés à la réussite économique de l’entreprise » a réuni :

  • Guillaume Azéma (Associé-fondateur de Hector Advisory),
  • Godefroy de Bentzmann (Fondateur et Co-Président de Devoteam & Co-Président de Numeum),
  • Jean Beunardeau (Président de HSBC Europe),
  • Frédéric Coirier (Président-directeur général du Groupe Poujoulat et Co-président du METI- Mouvement des Entreprises de Taille Intermédiaire),
  • Thierry Déau (Président-directeur général de Meridiam),
  • Virginie Fauvel (Présidente-directrice Générale de Harvest),
  • Pierre Ferracci (Président du Groupe Alpha),
  • Éric Fourel (Président d’EY France),
  • Didier Kling (Président de la CCI Paris Île-de-France),
  • Corinne Lejbowicz (Présidente de Qwant),
  • Philippe Mutricy (Directeur de l'évaluation, des études et de la prospective de Bpifrance),
  • Helman Le Pas de Sécheval (Secrétaire général de Veolia).

Perception citoyenne

Ce thème est appréhendé, notamment par les jeunes, comme un levier de rapprochement entre les salariés et leurs dirigeants.

« C’est intéressant car il y a une notion de partage commun et surtout de réussite commune, s’il y a partage des profits c’est qu’il y a eu une valeur de créée et donc une équipe performante. »

Saint-Brieuc, 18-29 ans

 

Mais, du point de vue de nombreux Français, ce levier fait face à des antagonismes persistants entre les acteurs de ce partage : salariés, dirigeants, actionnaires.

« Moi je trouve que le gros problème, ce sont les conflits d’intérêts. Il faudrait arriver à harmoniser l’ensemble de la société, les entreprises, les actionnaires, les salariés. Il faut légiférer. Tant que personne n’aura la même vision et ira dans un sens différent, on ne pourra pas régler les différends. »

Angers, 46-65 ans

 

En conséquence, certains participants font le constat que cette thématique, malgré les grands discours, n’avance pas assez vite et pas assez fort, et nécessite en conséquence l’appui de décisions politiques fortes.

« Sur le partage des profits, à chaque élection présidentielle on essaye de remettre ça en avant en se disant que, bien sûr, il faut le faire. Et en fait ça fait trois ou quatre présidentielles que ça n’a pas bougé, où ça n’a bougé que par des petits coups par des entreprises, elles vous filent 100 balles. »

Argenton-sur-Creuse, 46-65 ans

 

Parmi les conditions de réussite de ce cette meilleure association des salariés à la réussite économique de l’entreprise, les Français citent en premier lieu la transparence, et notamment dans les PME.

« Pour moi ça démarre du côté de l’entreprise par de la transparence : je sais comment c’est réparti et je comprends mieux si c’est juste, sinon on peut en discuter. »

Saint-Brieuc, 18-29 ans

« De toute manière on n’a pas de transparence sur la recette d’une entreprise. Donc, on ne peut pas vraiment savoir ce qu’une entreprise rentre, et ce que nous, nous sommes payés. »

Bayonne, 30-45 ans

 

Un point de vigilance est signalé par beaucoup de participants : ne pas oublier le salaire ! Avec en filigrane la crainte que les accords d’intéressement et de participation signés se fassent au détriment des augmentations de salaire.

« Je suis plus pour une revalorisation des salaires par rapport à la valeur que l’entreprise a créée. »

Bron, 18-29 ans