La logistique a été au rendez-vous

Organisée dès janvier 2020 pour protéger ses équipes du Covid-19, la Présidente du Directoire de GEODIS raconte la mise en place du « pont aérien » entre la Chine et la France, assurant la livraison de millions de masques et équipements médicaux pour lutter contre l’épidémie. En parallèle, GEODIS bascule déjà dans une optique d’anticipation, afin d’accompagner la transformation des entreprises qui s’interrogent sur la robustesse de leur supply chain. D’ailleurs, Marie-Christine Lombard constate que beaucoup d’acteurs ont réalisé durant cette crise le caractère stratégique de la logistique - contribuant également, elle l’espère, à revaloriser la perception du secteur. En ce sens, il est selon elle essentiel que la France, n’étant pas auto-suffisante pour tous les produits essentiels, veille à contrôler les maillons de ses réseaux d’approvisionnement. La présidente du directoire de GEODIS estime également que cette crise met en lumière une transformation du rôle des entreprises.

Institut de l'Entreprise - Vous avez mis en place une stratégie anti-Covid-19 pour GEODIS dès janvier 2020. Pourquoi si tôt ?

Marie-Christine Lombard - Dès janvier, le Président de GEODIS de la région Asie-Pacifique m’a alerté. Revenant de Chine vers notre siège à Singapour, il avait l’obligation de se mettre en quatorzaine, car la Cité-État avait déjà décidé de contrôler les flux. Cela nous a fait réfléchir. Nous n’avions alors pas d’informations privilégiées, mais nous avons observé les faits et agi en conséquence. Il a immédiatement acheté des masques pour nos salariés, afin de les protéger, et a mis en place des mesures de distanciation physique et de télétravail. Au niveau du Groupe, à Levallois, nous avons mis en place une task force pour suivre et anticiper la situation. Dès février, GEODIS annulait tous les séminaires internes, distribuait du gel hydro-alcoolique dans ses locaux, et transmettait aux collaborateurs des consignes de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Nous avons beaucoup appris de la Chine et de l’Asie. Le risque c’était d’en faire trop au nom du principe de précaution, mais entreprendre c’est souvent faire des paris, l’évolution de la crise nous a malheureusement donné raison. Dans un sens, cela nous a permis de maintenir 85% des collaborateurs sur le terrain, ce qui s’est révélé vital pour l’entreprise, mais aussi et surtout pour la lutte nationale contre le Covid-19.

GEODIS a en effet rempli un rôle clé dans la lutte contre le Covid-19 avec la mise en place d’un « pont aérien » entre la Chine et la France pour l’acheminement de masques. Comment cela s’est-il passé ?

Nous avons un contrat de très longue date avec l’État pour assurer un certain nombre d’approvisionnements, par exemple pour la gendarmerie. Par ailleurs, très implantés en Asie, nous étions en première ligne de manière naturelle pour acheminer en urgence des masques, mais également divers équipements médicaux comme les respirateurs. Nous avons donc monté en un temps record une cellule d’une vingtaine de personnes en Chine pour mettre en place le pont aérien. En temps normal, le fret s’appuie beaucoup sur les soutes des vols de passagers, à l’arrêt presque total depuis la crise du Covid-19. Nous avons dû sécuriser des avions-cargos, via des compagnies de charters avec lesquelles nous sommes déjà en relation d’affaires ponctuelle pour assurer l’acheminement de Chine (Aéroport de Shanghai) vers la France à l’aéroport de Paris-Vatry, puis de cet aéroport éclater les stocks et les ventiler sur les centres de Santé Publique France. C’est une opération qui a et continue d’être réalisée avec succès par GEODIS mais c’est aussi un succès collectif, car de nombreux autres acteurs ont eu un rôle clé. C’est tout un écosystème qui s’est mobilisé. La coordination avec les douanes a été cruciale pour bâtir le processus de vérification à l’arrivée des masques et avec les forces de gendarmerie pour sécuriser le transport de ces livraisons sensibles. C’est une expérience logistique unique en France par son ampleur et sa répétition quasi quotidienne depuis bientôt six semaines.

Que restera-t-il chez GEODIS de cette opération spéciale ?

D’abord une expérience humaine extrêmement forte. Une expérience dont on se serait passé, c’est sûr, car le contexte de l’épidémie est anxiogène pour tout le monde. Mais je suis marquée par la fierté des équipes. De nombreux collaborateurs en ont témoigné sur les réseaux sociaux, sur LinkedIn notamment. Nous avons dû beaucoup innover, faire des choix, nous adapter, contourner quotidiennement des aéroports, des gares et des ports fermés, imaginer de nouveaux circuits.

Au-delà de ce pont aérien, nous avons développé de nouveaux outils pour informer nos clients. Nous avons notamment monté une task force marketing, chargée de remonter l’information et de la diffuser à notre écosystème. Tous nos clients reçoivent chaque jour un « coronavirus update », à la fois factuel et prospectif, sur l’évolution des conditions logistiques mais aussi des réglementations pays par pays relatives à la crise du Covid-19. C’est une performance collective dont il restera certainement des traces dans notre organisation.

Quel est l’état d’esprit chez GEODIS en ce début de déconfinement ? À quoi vous attendez-vous ?

Actuellement, nous avons 35 000 employés présents sur site dans le monde, sur un total de 41 000, et le reste est en télétravail ou en chômage partiel quand celui-ci est rendu possible par un gouvernement, comme en France.

Nous restons très mobilisés sur le pont aérien qui se poursuivra au moins jusqu’en juin. Ensuite, nous sortirons d’une logique d’urgence pour basculer dans une optique d’anticipation.

Plus généralement pour le transport de marchandises par voie aérienne, l’aérien cargo va rester indispensable, car l’aérien passager va sans doute mettre du temps à redémarrer. C’est un challenge pour l’approvisionnement en flux tendu ; si nous revenons aux masques, cela signifie qu’il faudra revenir à des logiques de stockage prenant en compte les expériences de consommation et extrapoler les besoins sur les prochains douze mois.

Je m’attends également à une forte demande pour notre branche dédiée au conseil aux entreprises pour optimiser leur supply chain. Après ces quatre mois d’angoisse, il y a chez nos clients une vraie réflexion sur la robustesse de leur supply chain, sur la maturité de l’assessment du risque, et sur certains choix stratégiques. Pour tous, y compris en B2B, le e-commerce a explosé. Mais le e-commerce ne s’improvise pas. Il faut que les sites web soient prêts, que les équipes sachent gérer et livrer les commandes avec l’aide du logisticien. La gestion de commande pour le compte des sites marchands est l’un des driver de notre secteur et cela va continuer.

Quelles évolutions stratégiques cette crise va-t-elle entraîner pour les entreprises et l’économie, en particulier en France ?

Je fais un parallèle entre le digital et le secteur de la logistique. Dans cette crise qui a mis des millions de personnes en télétravail, nous réalisons non pas tant notre dépendance, mais bien l’utilité des moyens numériques. De même, beaucoup réalisent que la logistique n’est pas une fonction annexe, mais un secteur stratégique. La France est dépendante d’autres pays pour un grand nombre de produits de première nécessité. Les magasins doivent toujours être approvisionnés. À défaut d’être auto-suffisant pour tous les produits essentiels, notre pays doit veiller à contrôler les maillons de ses réseaux d’approvisionnement.

Face à ce constat, croyez-vous à un mouvement de relocalisations ?

Il y a une vraie réflexion de de-risking à mener avec nombre d’industriels, et ce mouvement nous l’avons déjà observé depuis 2018. Nous étions déjà convaincus de la tendance de fond, mais cela va s’accélérer. Les pays qui vont héberger les usines d’assemblage, avec une main d’œuvre de qualité, sont ceux qui seront perçus comme les plus dynamiques. L’Europe de l’Est est en fort essor de ce point de vue. La France doit se donner les moyens de bénéficier de cette relocalisation. Cependant, dans un monde d’échanges internationaux, on ne fera pas revenir toutes les industries en France, ne serait-ce qu’en raison de la problématique des matières premières ; c’est pour cela qu’il est indispensable de sécuriser les supply chain. Nous devons garder la main sur les réseaux.

Est-ce que cette crise va entraîner des évolutions dans votre métier ?

La crise marque sans conteste un point d’accélération pour toutes les tendances qui existaient : relocalisation de certaines productions ou assemblages, ou en tout cas rapprochement, développement de la « logistique verte » plus respectueuse de l’environnement, essor du e-commerce… Mais également revalorisation de la notion de stock. Disposer de stocks s’est révélé capital dans les derniers mois pour de nombreuses entreprises, et cela va entraîner un changement d’optique. Le stock, qui était devenu une immobilisation à éviter, va reprendre de l’intérêt pour les produits de consommation et d’équipement et pas seulement de première nécessité. J’espère aussi qu’au sortir de cette crise, beaucoup au sein du public français auront évolué dans leur perception de nos métiers. Nous avons besoin d’attirer les talents et de recruter. Or, il y a un désamour un peu injuste pour notre secteur, qui est vu comme une source de pollution, un domaine à faible valeur ajoutée et peu glamour. C’est en fait tout le contraire. L’aspect médiatique de la livraison des masques ne doit pas éclipser le fait que ce que nous faisons là, c’est fondamentalement ce que nous faisons pour tous les produits que nos clients nous confient en distribution. Les moyens logistiques dont les camions font partie ne doivent pas être vus comme des éléments nuisibles mais comme des achemineurs vitaux ; les transporteurs ont été au rendez-vous des urgences de cette crise, il faut le savoir. Le bruit, la congestion et la pollution sont des vrais sujets, mais la profession fait beaucoup d’avancées. De même, il faut savoir que les entrepôts logistiques sont à la pointe du digital.

Pensez-vous que cette crise va changer quelque chose dans la relation des salariés à leur entreprise ?

L’après-confinement sera marqué par de nouvelles normes sanitaires. On ne sait pas s’il peut y avoir une seconde vague, mais quoi qu’il en soit, une vigilance sanitaire accrue va rentrer dans les mœurs des entreprises. J’étais frappée, au début de cette crise, de constater la nature des attentes vis-à-vis de l’entreprise par beaucoup de collaborateurs. Ils nous demandaient des réponses sur le Covid-19. Or nous ne sommes pas qualifiés ! Nous avons rapidement mis en place une hotline dédiée avec une société internationale spécialisée dans le conseil médical pour que chacun puisse poser ses questions. C’est révélateur d’une transformation du rôle de l’entreprise qui est d’aller encore plus loin pour assurer la sécurité physique et sanitaire de ses salariés.

Quel est votre message pour les lecteurs de la Quotidienne ?

La crise va laisser des traces. J’ai d’abord une pensée pour ceux qui ont perdu des proches. J’ai aussi un message de vigilance car les difficultés ne sont pas terminées. Nous devons rester attentifs, à l’écoute de la Chine en particulier. À l’heure où une épidémie nous amène à nous méfier des autres, on voit bien que l’échange économique comme la vie en société sont fondés sur la confiance. Pour restaurer celle-ci, nous avons besoin de l’action des entreprises. Les entreprises sont l’acteur de confiance de proximité pour un grand nombre de personnes. Elles ont un rôle éducatif, pédagogique ; elles procurent un environnement sécurisé. Dans certaines régions du monde, c’est un référent qui inspire plus confiance que l’État, donc cela implique une forte responsabilité. Alors, soyons à l’écoute et agissons pour renforcer la confiance. Bon déconfinement à tous !

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