Le magistrat au parquet de Marseille, spécialiste des questions de cybersécurité, de gestion des algorithmes et des outils numériques, par ailleurs ancien auditeur de l’IHEE*, nous partage sa réflexion sur le rôle que peut avoir l’intelligence artificielle dans la gestion d’une crise sanitaire telle que celle que nous traversons actuellement, qui soulève la question de l’évaluation des moyens opérationnels ayant pour but de détecter, prévenir et gérer les crises actuelles et futures.

« Nous sommes en guerre », par cette déclaration répétée à six reprises lors de son allocution du lundi 16 mars 2020, le Président de la République a verbalisé un changement d’ère et de paradigme. Avant lui, Napoléon considérait que « la guerre ne peut être faite sans risques ». L’art de la décision consiste donc à prendre des risques calculés, à faire preuve d’audace sans tomber dans la témérité. Aujourd’hui, cette prise de risque est souvent niée par les adeptes inconditionnés du principe de précaution, selon qui toute action et tout engagement ne serait possible qu’avec l’assurance de ne subir aucun risque. Or, « à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire » ajoutait Napoléon dans son Précis des campagnes de Turenne.

Si bien que la décision politique est fonction des circonstances intrinsèques à chaque crise, lesquelles évoluent en permanence nécessitant des manœuvres stratégiques d’adaptation continue. Helmut von Moltke résumait ainsi que la décision en situation de crise est « l’art d’agir sous la pression des circonstances les plus difficiles [1] ». Montesquieu reconnaissait lui-même : « il y a des cas où il faut mettre, pour un moment, un voile sur la liberté comme on cache les statues des dieux ».

Chaque crise produit un effet accélérateur sur les réformes juridiques et l’acceptation de nouveaux outils de sécurité. Les « circonstances exceptionnelles » sont régulièrement à l’origine de nouvelles législations. En la matière, l’extension des pouvoirs s’appuie sur la théorie des « circonstances exceptionnelles » qui trouve son origine dans l’arrêt du Conseil d’État de 1918 dit arrêt Heyriès. Par cette décision les sages du Palais Royal ont indiqué que dans des circonstances de guerre, c’est-à-dire au cours de laquelle il n’est plus possible de respecter la légalité ordinaire, l’administration est autorisée, sous le contrôle du juge, à prendre les mesures nécessaires. Dernièrement encore, les attentats de 2015 sont à l’origine d’un renforcement des moyens de renseignement et des dispositifs de lutte contre le terrorisme.

Dans le domaine de la sécurité sanitaire, le Parlement a voté le 19 mars 2020 en pleine crise du Covid-19 une loi relative à « l’état d’urgence sanitaire ». Cette loi fait directement écho à la loi du 5 mars 2007 intégrée dans le code de la santé publique sous le titre « menaces sanitaires graves ».

Dans son article L. 3131-1, la loi du 5 mars 2007 prévoit notamment : « en cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d’urgence, notamment en cas de menace d’épidémie, le ministre chargé de la santé peut, par arrêté motivé, prescrire dans l’intérêt de la santé publique toute mesure proportionnée aux risques courus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu ». Dans ce cas, l’emploi de l’expression « toutes mesures » ouvre de nombreuses perspectives, en particulier dans le cadre de mise en suspend des certaines libertés publiques. Une réserve est toutefois imposée, à savoir que ces mesures soient « proportionnées aux risques encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu ». Aujourd’hui, le sens de la décision se porte donc sur l’évaluation des moyens opérationnels ayant pour but de détecter, prévenir et gérer les crises actuelles et futures.

En la matière, dès 2017, Bill Gates militait pour l’utilisation des ressources numériques et notamment de l’intelligence artificielle (IA) dans la lutte contre les pandémies mondiales. A minima selon lui les méthodes d’analyses algorithmiques permettent d’étudier la propagation d’un virus.

[1]. Helmuth von Moltke, Sur la stratégie

Xavier Léonetti, Magistrat au parquet de Marseille, spécialiste des questions de cybersécurité, gestion des algorithmes et outils numériques, (ancien auditeur IHEE Session Annuelle 10)

*IHEE : Institut des Hautes Études de l’Entreprise. Pour en savoir plus, voir : ICI

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