À l’occasion du 1er mai, traditionnelle Fête du Travail, « La Quotidienne des Entreprises en Action » propose à ses lecteurs un itinéraire analytique à visée prospective, dédié au thème du travail, au travers de l’ensemble de sa production depuis le début du confinement.

Observatoire inédit et en temps réel des évolutions en cours, ce « journal de bord des entreprises dans la crise du Covid-19 » nous informe sur la résilience des organisations aussi bien que sur leurs vulnérabilités, et illustre la capacité de mobilisation des salariés ainsi que les innovations nées de l’urgence. Rendu plus complexe, voire impossible, à cause du confinement généralisé, le travail est questionné sous tous les angles par le contexte épidémique et la crise économique. Pourquoi certaines entreprises ont-elles mieux réussi à poursuivre le travail que d’autres ? Les impacts en matière d’organisation et de pratiques que nous pouvons d’ores et déjà observer seront-ils durables ? Certaines évolutions nouvelles sont-elles à prévoir ?

Les conditions de travail des salariés ont été impactées au premier chef par la capacité des entreprises à assurer la continuité de leur l’activité en période de crise. Une puissance d’adaptation qui varie fortement selon les secteurs et les métiers – plus ou moins contraints par les mesures de confinement et de chômage partiel. Certaines entreprises qui n’étaient pas coutumières du télétravail ou qui ne disposaient pas de plan de continuité d’activité (PCA) prévoyant un scénario de confinement généralisé ont cependant pu opérer une adaptation spectaculaire en raison d’une forte culture de l’innovation. L’exemple de Zara France du Groupe Inditex est parlant : les équipes se sont employées à la dématérialisation accélérée des procédures pour se réorganiser, inventant au fur et à mesure le PCA approprié: « nous avons eu l’agilité d’une grosse PME – malgré nos 10 000 salariés – et nous nous sommes adaptés quasiment à l’heure près dès qu’une information nous parvenait, en anticipant autant que faire se peut ce qui pouvait arriver ». Cependant, en dehors de ces cas exceptionnels, nous voyons se dessiner plusieurs caractéristiques communes aux entreprises qui ont su le mieux réagir.

1- Les caractéristiques communes aux organisations qui ont le mieux su adapter leurs modes de travail :

Une culture du télétravail préexistante

Les entreprises dotées en amont de capacités informatiques suffisantes, des outils appropriés et d’une première culture du télétravail ont le mieux su adapter leurs activités. Ainsi, une entreprise hautement technologique comme Dassault Systèmes a pu maintenir la quasi-totalité de son activité grâce à « une réorganisation du travail qui a pu être anticipée et facilitée par une culture du numérique ancrée dans l’entreprise ». De même, chez PwC, les mesures annoncées par le chef de l’État avaient été anticipées : « On était prêt ; le télétravail étant pleinement intégré dans la culture professionnelle des équipes, on avait un coup d’avance ». Chez Kaufman & Broad, « la capacité de télétravail généralisée avait été testée en Ile-de-France lors des grèves dans les transports publics de décembre 2019 ». Les entreprises sont cependant unanimes pour reconnaître qu’elles n’étaient pas accoutumées à un tel usage du télétravail, ni en quantité, ni en qualité. Par ailleurs, cette option du travail à distance, si elle permet aux fonctions support et à certaines fonctions de production de poursuivre leur travail, n’offre pas de solution à nombre d’autres métiers des entreprises, qui témoignent d’une cessation brutale des activités de leurs sites, faute de PCA adapté ou d’automatisation suffisante.

Des PCA suffisamment robustes pour pouvoir être adaptés

Les entreprises disposant de Plans de Continuité d’Activité (PCA) bien construits et déjà testés ont engagé une transition agile et réactive, bien que sportive. Pour autant, aucun de ces facteurs n’était suffisant. Les PCA, en effet, n’étaient pas véritablement prêts à l’emploi pour la configuration de cette crise, et tous ont dû être actualisés en urgence. Cette montée en puissance fut d’autant plus envisageable et rapide que les premières versions étaient solides. Chez Carrefour, « la direction générale du Groupe avait dès les débuts de la crise invité chaque direction à remplir un PCA en indiquant pour chacun quelles étaient les fonctions essentielles, quelles fonctions pouvaient être assurées en télétravail ». Un même travail de recensement fut opéré chez Klésia « pour identifier les salariés en incapacité de télétravailler, pour des raisons familiales ou technologiques ». Pour faire face à une demande en croissance liée notamment au e-commerce et éviter une pénurie alimentaire, le groupe Auchan a, quant à lui, revu très rapidement à la hausse la capacité de ses drives et de ses livraisons à domicile, et repensé sa chaîne logistique, passée « en fonctionnement en trois-huit ».

Un réseau international bien écouté et mis à contribution

Le réseau international des Groupes, en particulier pour les grandes entreprises et les ETI disposant de sites en Asie, s’est révélé un atout déterminant pour identifier en amont les risques et prendre les mesures adéquates en temps et en heure. Le Groupe Michelin qui jouit d’implantations dans de nombreux pays a su tirer les leçons de la situation chinoise pour gérer l’urgence aux États-Unis, devenus le cœur de la pandémie, et anticiper sa reprise d’activité en Europe. Le Groupe a également su faire profiter l’ensemble de ses fournisseurs d’un bon degré d’information pour les aider à s’adapter à temps. De même, confrontés très tôt, dès son apparition en Chine, au Covid-19, des groupes internationaux tels que Saint-Gobain ont su former « un comité de crise » capable de « repérer les meilleures pratiques locales et de les déployer à l’échelle mondiale. » Beaucoup observent à ce sujet un décalage entre les entreprises et l’État français qui, bien que disposant d’un des meilleurs réseaux diplomatiques du monde, n’a cependant pas su prendre appui aussi bien que les entreprises sur les signaux faibles remontés par les représentations locales, et orchestrer un partage efficace des bonnes pratiques. Il ne suffit donc pas de disposer d’un réseau international ; il faut encore savoir écouter les équipes sur le terrain, faire confiance à leurs alertes et leur donner de l’autonomie pour réagir.

La préexistence d’une culture agile habituée au télétravail, la capacité d’adaptation rapide des PCA et la bonne utilisation des réseaux internationaux ont ainsi permis à certaines entreprises, activités ou processus de maintenir ou de renforcer leur rythme, en dépit du contexte de ralentissement brutal. Ces transformations éclair du quotidien des collaborateurs et des managers ne se sont cependant pas faites sans efforts personnels et collectifs, inaugurant une ère de travail à l’intensité humaine particulièrement forte.

 

2- Partout, le sens du travail est soudain perçu comme plus existentiel

À la faveur de la crise du Covid-19, nous observons une évolution importante : plusieurs domaines, qui étaient habituellement bien séparés, se rejoignent. Nous voyons ainsi trois frontières se brouiller.

Abolition de la frontière artificielle entre la contribution économique et la contribution sociale de l’entreprise

Face à l’adversité, alors qu’il faut sauver l’entreprise et que les produits ou les services qu’elle propose peuvent servir la lutte contre une épidémie et sauver des vies, le travail semble prendre un sens renouvelé. Ceci se traduit par une mobilisation accrue des collaborateurs dans de nombreuses entreprises. Chez Mazars notamment, on constate « une mobilisation incroyable et encore plus forte que d’habitude » pour assurer la continuité de l’activité. « On est entré en résistance et cela se sent dans l’attitude de tous » avec un « foisonnement d’initiatives prises dans les missions, en construction commune avec les clients ». Même constat chez BNP où « l’engagement des collaborateurs est exceptionnel ; ils savent qu’ils font partie d’une chaîne de bonne volonté qui s’exprime dans tout le pays ».

De fait, les difficultés rencontrées par le gouvernement pour définir une liste d’activités « essentielles » fait dire à Robert Leblanc, PDG d’Aon France : à se lancer dans une telle liste, « progressivement, on reconstruit toute une économie. (…) Car pour vivre, et pas seulement survivre, la convivialité, les rencontres, la coquetterie, la culture, la spiritualité, l’évasion, et donc de tous ceux qui nous en donnent les moyens, sont essentiels. » Les activités en apparence les plus mercantiles et les moins « solidaires » ont été redécouvertes dans leur sens et leur utilité sociale, leur « raison d’être ».

Brouillage de la frontière entre l’activité économique et l’action solidaire

Dans tous les témoignages, on note le constat partagé parmi les dirigeants d’un engagement accru au sein des équipes qui se traduit notamment par des actions de volontariat interne et de bénévolat externe des salariés. Chez ADP, de nombreux personnels (manutentionnaires et chauffeurs-livreurs notamment) se sont portés bénévoles afin d’apporter leur soutien à l’AP-HP, « et ce alors même qu’ils sont en situation de chômage partiel ». La Fondation Total a quant à elle choisi d’aider ses partenaires à traverser la crise grâce au mécénat de compétences, s’appuyant sur un programme de bénévolat volontaire permettant à chaque salarié du Groupe de consacrer trois jours de travail par an à une association. Le Groupe L’Oréal, qui a mobilisé certaines de ses usines pour fabriquer du gel hydro-alcoolique, a constaté « un élan de solidarité extraordinaire de la part des équipes. La base du volontariat fonctionne très bien, chacun étant conscient de fabriquer des produits pour lesquels les gens ont un vrai besoin, et de participer à un effort collectif utile avec la production du gel hydro-alcoolique ».

Une frontière plus souple entre les liens professionnels et humains

Les inquiétudes soulevées par l’effet à long terme du confinement sont nombreuses, mais on retient de ces témoignages des observations positives, notamment concernant l’évolution des relations humaines au sein des entreprises. Le travail à distance semble créer une porosité entre vie privée et vie professionnelle et réinsuffler du lien social et de l’humain dans les relations entre collaborateurs. « Paradoxalement, ne pas avoir de contact humain a un côté humanisant » selon Christian Schmidt de La Brélie, Directeur Général de Klésia. « Chacun entre par ailleurs, malgré lui, dans l’intimité de ses supérieurs, collègues, collaborateurs (en visualisant une partie de sa décoration intérieure ou en entendant un rire d’enfant en fond sonore) ». Le fait que pour la première fois, une crise économique soit subordonnée à une situation sanitaire qui « met les personnes en risque » fait bouger les lignes. Chez Loxam, pour maintenir le lien social, le Comité Exécutif met immédiatement en place « une règle simple : chaque jour, chaque personne (…) doit être en contact direct avec son manager. Nous suivons les équipes en veillant à ne pas laisser des collaborateurs être confinés dans l’isolement ou sans aide s’ils sont malades. Au travers du téléphone, c’est devenu un rituel quotidien. » Les priorités sont ré-hiérarchisées à la lumière du contexte épidémique : « Aujourd’hui, le premier critère, c’est les gens, et ensuite, la santé et l’unité du Groupe ».

S’il n’est pas possible de dire encore, à ce stade, dans quelle mesure la frontière entre vie privée et vie professionnelle restera ouverte, s’il n’est pas non plus possible de savoir dans quelle mesure la contribution solidaire des entreprises fera évoluer leurs objectifs économiques et leurs modèles d’affaires, il est en revanche permis de penser que l’abolition de la frontière artificielle trop souvent établie entre les visées économiques du travail et la raison d’être sociale de l’entreprise, sera quant à elle durable. Mais quelles autres tendances observées à propos du travail pouvons-nous considérer comme acquises ?

 

3- Quelles sont les tendances qui pourraient se prolonger après la crise sanitaire et malgré la crise économique ?

La poursuite de l’intégration de la RSE au travail habituel de l’entreprise

La crise du Covid-19 aura révélé une forte attente citoyenne vis-à-vis des entreprises en termes de responsabilité sociale et environnementale (RSE), qu’il s’agisse de leur mobilisation dans la lutte contre l’épidémie ou d’actions menées vis-à-vis des salariés, clients et fournisseurs. Selon Frédéric Petitbon, Associé chez PwC, « une chose s’impose d’ores et déjà clairement : la dimension humaine va prendre une place plus centrale que jamais dans les entreprises, tout comme les questions de RSE et de développement durable ».

La crise du Covid-19, qui restera comme une épreuve douloureuse pour beaucoup, aura donc malgré tout eu au moins un mérite : celui de contribuer à la restauration du lien de continuité qui existe entre l’intérêt économique d’une entreprise, d’une part, et l’utilité de ses métiers, services et produits pour la société, d’autre part. Ces différentes facettes de l’entreprise, trop souvent opposées, sont en fait au cœur de la motivation des parties prenantes, qu’il s’agisse des clients, des salariés, des actionnaires ou de leur écosystème. Cette motivation s’est montrée suffisamment forte pour entrainer une ré-hiérarchisation des priorités économiques, conduisant les collaborateurs à travailler temporairement gratuitement pour leur écosystème, instaurant ainsi une superposition entre le travail habituel et la solidarité exceptionnelle. Un exemple de cet engagement s’illustre par la participation du Groupe LVMH à l’effort national, convertissant une partie de ses chaînes de production pour fabriquer gratuitement du gel hydro-alcoolique à destination de différents acteurs, en premier lieu l’AP-HP.

Le renforcement de la relation d’écosystème entre parties prenantes

Laurent Bataille, Président de Poclain, le disait dès le début du confinement : « C’est le grand test de la solidarité et de l’exemplarité des parties prenantes. Si nous parvenons à trouver les bons compromis, nous surmonterons la crise ; autrement, nous risquons une catastrophe économique. » L’Oréal s’est ainsi engagé à maintenir la totalité des emplois et a renoncé à recourir au dispositif de chômage partiel proposé par le Gouvernement français, tout comme au report des charges sociales ou fiscales. Chez Michelin, cette crise est l’occasion d’un renforcement des engagements solidaires du Groupe à l’égard de ses parties prenantes : « le maximum a été fait pour préserver le plus de salariés possibles du chômage partiel, les Gérants et le Comité Exécutif ont baissé leur rémunération de respectivement 25 et 10%, le choix a été fait de ne pas recourir aux aides publiques aux entreprises, des outils d’impression 3D fabriquent des masques pour les services de santé localisés autour de ses usines ». La démonstration de responsabilité en cette période de crise passe aussi par des comportements de modération quant au recours au dispositif de chômage partiel ou au versement des dividendes pour les grandes entreprises qui bénéficieraient d'aides publiques. Ainsi de Gecina, qui a choisi de faire face sans faire appel aux aides publiques, tout en instaurant des mesures de de mensualisations de loyers, de reports ou de négociations, sur plus de 12% de son chiffre d’affaires, et en annulant un trimestre de loyer pour les TPE.

Des modalités de management mieux adaptées au travail à distance

La mise en télétravail prolongé, réussie pour beaucoup d’entreprises, reste néanmoins un défi, tant pour des raisons techniques que d’accompagnement humain. Certains salariés peuvent être confrontés à un stress personnel, à des enjeux familiaux ou à une tension sur l’activité. Plus que jamais le management doit s’adapter pour soutenir les équipes. Chez Total, une cellule psychologique a été mise en place pour accompagner des personnes qui vivent mal le confinement, par sentiment d’isolement, d’abandon ou au contraire face à un surcroît de travail auquel s’ajoute une gestion de famille qui pourraient les placer en risque de burn out. De nouveaux modes managériaux apparaissent comme des routines quotidiennes d’appel et de suivi chez Terreal ou une implication renforcée de chaque référent RH chez BNP. Chez Mazars, un système de coaching des plus jeunes collaborateurs a été mis en place avec pour objectif qu’aucun salarié ne soit isolé plus de 48h.

Le renforcement de la dimension collaborative du travail en entreprise

On constate aussi la mise en place de dispositifs de communication renforcés au sein de chaque Groupe pour gagner en agilité, mieux anticiper les risques et assurer un flux ascendant et descendant optimal d’informations. Chez ADP, les dirigeants se réunissent régulièrement pour faire des points de situation et maintenir un contact permanent, au niveau des directions et sur le volet opérationnel. Chez Engie, un dialogue étroit est maintenu en permanence avec la centaine de top managers des BU. Le Groupe Auchan quant à lui, met en place une cellule de coordination internationale en contact étroit avec les cellules de crises de chaque pays. Chez L’Oréal, où des cellules de crise ont été mises en place au niveau du Groupe et des pays, on observe avec enthousiasme une collaboration plus forte que d’habitude à la fois en amont et en aval du Groupe. Chez American Express, la mise en place d’une FAQ hebdomadaire, en visioconférence avec la Directrice Générale permet une communication active avec les salariés du groupe.

Des plans de continuité du travail repensés et mieux intégrés

Cette crise a permis aux organisations de tester leur capacité de résilience, dans une période difficile qui invite à réintégrer les leçons tirées dans ce qui redeviendra la vie plus normale de l’entreprise. Chez Mazars, « les retours d’expériences et les bonnes pratiques devront être intégrés, notamment aux fondamentaux de l’entreprise, car force est déjà de constater que cette crise s’est avérée être un véritable accélérateur de la transformation digitale » et un « pas de géant » pour le PCA. « Nous savions que dans notre métier le télétravail était la réponse principale, et qu’il fallait pour cela des moyens technologiques de bon niveau ». Pour autant, les dirigeants d’entreprise sont conscients qu’il ne peut y avoir de préparation parfaite, à l’instar du PDG de Saint-Gobain, Pierre-André de Chalendar, qui souligne que la capacité de réaction à l’imprévu restera avant tout dépendante des cultures développées au sein de l’organisation : « Quatre aspects de notre culture ont joué dans notre capacité de mobilisation : la responsabilisation des équipes locales pour gérer la crise au plus près des besoins, avec à l’appui une coordination mondiale pour échanger les bonnes pratiques et assurer la cohérence ; notre culture du dialogue social pour travailler en étroite collaboration avec les organisations syndicales, avec lesquelles j’ai une réunion hebdomadaire ; la culture de la sécurité, qui a beaucoup progressé dans notre domaine au cours des années passées ; et enfin notre dimension internationale. »

En matière de géopolitique du travail : relocalisations en vue, notamment dans des secteurs sensibles

Plus globalement cette crise oblige certains Groupes à repenser leur fonctionnement, leurs chaînes de valeur et l’organisation du travail. Pour le Groupe Michelin, dont la filière a été touchée de plein fouet par la crise, cet épisode est l’opportunité d’une accélération vers une économie plus décarbonée et circulaire.

Pour le Groupe Roset, la crise révèle l’importance de maintenir un tissu industriel suffisamment solide en France : « Nous sommes confortés dans l’idée qu’une production locale est essentielle en France : soutenir l’industrie française peut coûter plus cher au consommateur sur le moment, mais plus tard s’avérer salutaire face à l’émergence d’une crise ». La place de marché Pourdebon, qui fédère des petits producteurs alimentaires, a connu une croissance exponentielle de son activité depuis l’annonce du confinement. Celle-ci a dû repenser sa chaîne logistique et l’organisation du travail dans la perspective du maintien d’un haut niveau d’activité en sortie de crise.

Certains secteurs particulièrement essentiels pour la lutte sanitaire illustrent bien la possible mise en œuvre de relocalisations industrielles après-crise. David Simonnet, PDG d'Axyntis, acteur-clé de la chimie fine « made in France », estime ainsi que l’épidémie de Covid-19 a rendu plus stratégique encore le renforcement de l’autonomie française en matière de production de principes actifs, aujourd’hui largement délocalisée en Chine et en Inde, notamment pour la filière pharmaceutique.

Des évolutions à prévoir en matière d’organisation et de méthodes, en lien avec la poursuite de la digitalisation

La crise sanitaire semble avoir provoqué l’accélération de transitions déjà en cours tout en faisant émerger des approches nouvelles. S’il est trop tôt pour se prononcer sur ce qui va perdurer de ce foisonnement, de nombreux témoignages évoquent une pérennisation de certaines pratiques testées notamment celle du travail à distance - à condition d’anticiper les risques psycho-sociaux correspondants. Pour BNP, une leçon de la crise est le recours plus facile qu’envisagé au télétravail : « nous n’imaginions pas pouvoir atteindre plus de 50% de personnels en télétravail dans certaines entités. En réalité, c’était possible. Post-crise, le recours au télétravail sera différent ».

Dans tous les secteurs, les dirigeants s’interrogent sur les enseignements de cette crise pour mieux préparer la suite de leur activité. Le Groupe American Express a déjà engagé sa réflexion sur « l’après » et anticipe une nouvelle façon de concevoir les voyages d’affaires par les grandes entreprises face à un net recul du tourisme des particuliers et entend renforcer ses solutions d’optimisation de trésorerie. Chez Saint-Gobain, on observe une croissance spectaculaire des commandes par internet, une tendance qui devrait s’inscrire dans « la nouvelle normalité ». Idem chez Auchan, avec une croissance significative du e-commerce alimentaire : « Les lignes vont sûrement bouger de façon pérenne, même si le commerce physique gardera toute sa place ». Chez PwC, on anticipe de plus en plus avec les clients les enjeux de cybersécurité à venir, démultipliés par le recours au cloud.

 

En conclusion : encore de nombreuses incertitudes à propos du travail après-crise

Cette agrégation de témoignages, comme un instantané, nous offre un aperçu de la façon dont les entreprises, particulièrement les grandes multinationales et les ETI, traversent et éprouvent la crise du Covid-19 aujourd’hui. Ils nous éclairent sur les différentes manières dont elles se sont emparées de cette situation inédite pour assurer la continuité de leur activité.

Il est cependant certain qu’à ce stade encore précoce de la crise économique, de nombreuses questions se posent pour tous, dirigeants comme collaborateurs. Les craintes concernant la possibilité de plans sociaux, de pénurie du travail, commencent à peine à être évoquées au conditionnel.

Il n’est pas exclu non plus que nous voyions apparaître un phénomène de retournement concernant la fascination affichée ces dernières années pour les exigences, parfois contre-culturelles pour les entreprises historiques, des millennials. Depuis la crise de 2008, de nombreuses entreprises désireuses de se moderniser et d’attirer les nouvelles générations, avaient cherché à adopter des modes de fonctionnement plus horizontaux, moins hiérarchiques, plus transparents. Mais en situation de stress, forcées de réagir dans des temps très courts, la culture traditionnelle du commandement vertical a repris le dessus, par nécessité autant que par réaction d’un management plus âgé, peut-être secrètement heureux de voir son savoir-faire décisionnel remis au premier plan, au terme de plusieurs années pendant lesquelles l’agilité des jeunes leur aura paru survalorisée. Cependant, attention à ne pas « jeter le bébé avec l’eau du bain » : il serait dommage de perdre au passage les gains en matière de capacité d’innovation et de communication issus de la dernière décennie.

La relation des entreprises avec les jeunes ne s’arrêtera cependant pas avec les difficultés économiques. Comme le souligne le PDG de Loxam, « on ne peut pas exclure que le niveau d’activité et d’emploi sur les 18 prochains mois ne remonte pas au niveau d’avant-crise. Mais je peux dire que nous continuerons à embaucher des apprentis. Nous avons besoin d’avoir des compétences ; et les compétences on les forme, donc on va continuer cet effort d’intégration. »

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