À l’occasion de ce qui est pour certains un long week-end de l’Ascension, « La Quotidienne des Entreprises en Action » propose un itinéraire analytique à visée prospective, dédié à la mondialisation.

Observatoire inédit et en temps réel des évolutions en cours, la Quotidienne, véritable « journal de bord des entreprises dans la crise du Covid-19 », a recueilli les témoignages de nombreux dirigeants qui révèlent l’urgence de repenser nos modèles dès les 1er « Jours d’avec » - Les « Jours d’avec » sont cette période qualifiée par Antoine Frérot dans sa lettre ouverte du 11 mai, qui vient de s’ouvrir avec le déconfinement et qui « est l’occasion de réinterroger nos priorités et nos pratiques, et de saisir des opportunités de progrès ». Moins idéaliste que pragmatique, ce souhait est motivé par la nécessité impérieuse de sécuriser l’activité sur le long terme, dans un monde de plus en plus incertain, et de répondre aux nouvelles attentes des consommateurs et parties prenantes.

Les entreprises s’interrogent sur le modèle économique auquel elles souhaitent contribuer : quelle place pour les questions environnementales ? Faut-il de façon radicale de nouveaux modes de fonctionnement dans un contexte rendu difficile par les conséquences de la crise, et dans un monde où le changement est aujourd’hui la norme ?

D’ores et déjà, des considérations communes émergent parmi les acteurs économiques qui auront le mieux su gérer la nouvelle donne du Covid-19 : la nécessité de repenser la mondialisation, les questions de souveraineté économique sur des industries clés, et l'investissement dans la transition énergétique. Une nouvelle donne qui va de pair avec l’impératif de repenser la place de l’entreprise dans la cité.

Reprendre le contrôle des chaînes d’approvisionnement

Pour certaines entreprises, le souci écologique est évoqué comme une valeur ou un idéal : « l’après s’ouvre sur un monde plus inclusif, où l’écologie et l’économie seront mieux mises au service de l’humain » analyse Méka Brunel, Administratrice Directrice Générale du Groupe Gecina. Pour d’autres, cette préoccupation s’inscrit naturellement dans la mission de l’entreprise. C’est le cas du Groupe SOS, entreprise sociale, dont l’ambition est de lutter contre les exclusions et les inégalités. Mais pour beaucoup, le souhait de s’engager dans une transition écologique accélérée semble davantage lié à des considérations pragmatiques. Face au constat partagé d’un monde de plus en plus incertain, exposé aux risques et à des crises à répétition, nombre de dirigeants s’accordent sur l’urgence de changer leurs modes de fonctionnement. Il s’agit en particulier de reprendre le contrôle de certaines chaînes d’approvisionnement par des relocalisations pour sécuriser l’activité sur le long terme - un enjeu de souveraineté, non seulement pour les États mais aussi pour les entreprises. Le raccourcissement des chaînes de production apparaît comme une transition nécessaire à la pérennisation de l’activité sur le long terme, avec pour effet collatéral une diminution de l’empreinte carbone des entreprises. Ces considérations pragmatiques ne vont pas sans un changement de posture : sortir d’une logique de réparation pour tendre vers un modèle où l’impact positif est généré par l’exercice même de l’activité de l’entreprise.

D'autres responsables soulignent également l'importance pour la France de maîtriser certains secteurs industriels. « Nous avons vu que nous avions en France de grandes difficultés à adapter des outils industriels pour produire en urgence des volumes importants d’équipements médicaux tels que des respirateurs ou de consommables sur des chaines perturbées », constate Philippe Besse, Managing Director EuroWest chez Dassault Sytèmes. La question du « comment on produit et où » devra se poser. La crise sanitaire nous oblige à « une réflexion sur nos moyens de production ». « C’est un des chantiers pour demain : relocaliser notre industrie dans les secteurs-clés de la santé et de l’énergie, par exemple, et retrouver de la souveraineté ».

 

Modifier l'organisation et réduire les risques

Chez Saint-Gobain, la crise du Covid-19 a ouvert de larges champs d’évolution en matière d’organisation du travail et des chaînes de valeur internationales. Selon Pierre-André de Chalendar, PDG du Groupe, le « modèle multi-local » qui privilégie les circuits courts a été un atout :« nos chaînes de valeur au plus près de nos marchés seront un réel atout si le renforcement de ce modèle avec la crise se confirme ». Il y a « un certain nombre de domaines dans lesquels il faut revoir l’approvisionnement et la production, entamer une relocalisation ». Le Groupe travaille sur les nouvelles attentes en matière de consommation qui pourraient émerger de la crise, à la fois en matière de produits et d’usages : « nous devons nous montrer agiles et réactifs sur ces sujets, qui pourraient constituer des opportunités à saisir ».

Si « l’internationalisation de l’activité et la diversification géographique a pu être salvatrice » pour certaines entreprises comme Loxam, la taille et l’envergure d’un groupe mondialisé ne prémunit pas contre le risque : « nous sommes aussi faibles que le maillon faible de la chaîne » nous confie Éric Le Corre, Directeur des Affaires publiques du Groupe Michelin. « Nous veillons à ce que les maillons les plus faibles de notre chaîne de valeur puissent survivre ; une attention particulière est portée à nos fournisseurs les plus fragiles. Nous avons un réel besoin de coordination de l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement. ».

 

Relocaliser : un enjeu de souveraineté

Selon Marie-Christine Lombard, Présidente du Directoire de Geodis, la question de la transition écologique rejoint les enjeux de, souveraineté. Elle implique un recentrage des chaines de valeur, « la France, n’étant pas auto-suffisante pour tous les produits essentiels », et de « veiller à contrôler les maillons de ses réseaux d’approvisionnement ». Il y a, selon elle, « une vraie réflexion de de-risking à mener avec nombre d’industriels ». « On ne fera pas revenir toutes les industries en France, ne serait-ce qu’en raison de la problématique des matières premières, mais il est indispensable de sécuriser les supply chain ». « Nous devons garder la main sur les réseaux » par la « relocalisation de certaines productions ou assemblages, ou en tout cas rapprochement », et par le développement d’une « logistique verte » plus respectueuse de l’environnement.

Pour le Groupe Roset qui a connu une rupture brutale de son activité en France, la crise a révélé « des fragilités des systèmes en place ». Selon Antoine Roset, Directeur Marketing du Groupe « notre industrie n’a plus pu s’alimenter en pièces détachées et matériaux, ce qui nous a contraints à fermer nos usines également. Nous sommes confortés dans l’idée qu’une production locale est essentielle en France. Soutenir l’industrie française peut coûter plus cher au consommateur sur le moment, mais plus tard s’avérer salutaire face à l’émergence d’une crise. ».

 

Accélérer la transition écologique

La crise sanitaire pourrait accélérer encore l’urgence de la transition écologique. Pour Jean Lemierre, Président de BNP Paribas : « il s’agit d’être un accélérateur de la transition écologique en établissant avec nos clients un dialogue et en les accompagnant dans des choix de production plus vertueux écologiquement ». Il annonce aussi « la volonté du Groupe de diviser rapidement par près de deux le nombre d’entreprises clientes recourant au charbon pour leur production électrique ».

Pierre-André de Chalendar, PDG de Saint-Gobain, plaide pour que l’agenda environnemental soit « un point embarqué dans les plans de relance ». Chez Michelin, la crise sanitaire est perçue comme « une opportunité d’accélération vers une économie plus décarbonée et circulaire ». Eric Le Corre, Directeur des Affaires publiques du Groupe Michelin ajoute : « l’Union européenne veut s’appuyer sur le Green Deal pour faire redémarrer une UE qui se concentrerait sur un certain nombre de domaines liés à la lutte contre le changement climatique : nous avons un rôle à jouer »... Pour d’autres, il y a un avant et un après Covid-19 : « on ne reviendra pas à la situation antérieure » nous confie Frédéric Petitbon, Associé chez PwC, « la dimension humaine va également prendre une autre place dans les entreprises, tout comme les questions de RSE et de développement durable ».

 

Renforcer le rôle de l'entreprise dans la cité

La crise a révélé les attentes fortes des citoyens vis-à-vis des États mais aussi des entreprises, sommées de se mobiliser dans la lutte contre l’épidémie et de s’engager par des actions de solidarité. Comme le dit Pascal Demurger, PDG de la MAIF, dans une interview récente « la crise a un effet grossissant sur le rôle de l'entreprise en société, dans la cité ». « La mobilisation spontanée et sans précédent d’entreprises de tout bord durant la pandémie confirme la possibilité d’élargir une tendance de responsabilisation des entreprises » – velléités jusqu’alors circonscrites aux entreprises dotées d’une « raison d’être » ou d’un statut d’« entreprise à mission ». Mais l’étape ultime de l’après-Covid-19 sera de « sortir du registre de la réparation au profit d’un vrai changement de comportement » et d’avoir « un impact positif par l’exercice même de son activité ». La crise du coronavirus donne à ces dynamiques une actualité nouvelle. Reste à voir si ces élans seront accélérés ou freinés par la conjoncture de sortie de crise. Pour l’heure, restons sur le constat optimiste de Jean-Marc Borello, Président du Groupe SOS qui constate « qu’on est capable de tout chambouler en moins de 48h : notre travail, notre schéma familial, notre mobilité », et suivons son conseil : « Restez entrepreneurs. Toutes ces difficultés sont autant d’opportunités ».

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