Travaillant à la Direction interrégional des douanes d'Île-de-France, par ailleurs auditeur de la Session Annuelle 20 de l’IHEE, nous partage les problématiques rencontrées et les missions assurées par les douanes face à cette crise sans précédent. Comme de nombreuses organisations, les douanes d'Île-de-France ont mis en place un Plan de Continuité de l’Activité et recentré leurs activités sur des missions prioritaires, au premier rang desquelles faciliter les importations de matériel médical tout en veillant strictement à leur conformité - la mise en circulation d'équipements de protection défectueux serait évidemment catastrophique. Jean Mencacci identifie déjà deux impacts de long terme de cette épidémie : la notion de frontière sera interrogée et l'utilisation de l'instrument douanier au cœur des politiques publiques sera plus cruciale.

Institut de l'Entreprise - Quel est le rôle de votre organisation et de ses missions principales ?

Jean Mencacci - La douane se compose de deux grandes branches qui assurent trois missions principales. La mission la plus connue et la plus médiatisée est celle de lutte contre la fraude et de protection du territoire, mais mon administration assure un rôle tout aussi important de soutien à la compétitivité des entreprises travaillant à l'international car celles-ci ne prennent pas suffisamment en considération la dimension douanière dans leurs opérations d'import/export alors que nous offrons de nombreux outils pour optimiser et sécuriser leurs flux ! Enfin, en tant qu'administration fiscale, nous avons également un rôle de collecte de diverses taxes pour un montant annuel d'environ 90 milliards d'euros. Les 17 000 douaniers sont répartis en deux grandes branches : la branche « surveillance », composée d'agents armés, est complémentaire de la branche « opérations commerciales et administration générale », constituée d'agents en tenue civile regroupés au sein des bureaux de douane et des services généraux.

 

Quelle problématique rencontrez-vous actuellement ?

Notre administration est totalement engagée pour faciliter les importations de matériel médical à destination des personnels de santé et des entreprises qui souhaitent doter leurs agents (supermarchés par exemple) mais nous devons être, en même temps, extrêmement vigilants sur la conformité des produits car la mise en circulation d'équipements de protection défectueux serait catastrophique. Si j'ajoute que nos interlocuteurs habituels (les professionnels du dédouanement) travaillent en mode dégradé et qu'il est nécessaire d'obtenir l'accord de la Commission européenne pour de nombreuses décisions, vous comprendrez la hauteur du défi.
 

Quels étaient vos projets et où en étiez-vous avant la crise du Covid-19 ?

Avant le Covid-19, nous avions trois chantiers principaux : 

  • la préparation des entreprises au Brexit sur lequel nous avons d'ores et déjà effectué un travail considérable pour limiter les effets possibles d'une sortie sans accord. La douane est prête et nous attendions, avant la crise, l'issue des négociations ; 
  • la communication relative aux accords de libre-échange signés par l'Union européenne qui peuvent bénéficier aux entreprises françaises. C'est un projet de long terme puisque les accords bilatéraux se multiplient mais qu'ils restent difficiles d'accès pour les néophytes : non seulement le vocabulaire y est très technique, mais chaque marchandise possède sa propre règle d'origine pour être éligible à la suppression des droits de douane, ce qui aboutit à des accords de plusieurs centaines de pages ! ;
  • la mission classique d'accompagnement des entreprises de toutes tailles, de la start-up aux grands groupes, à qui nous proposons des entretiens personnalisés gratuits, se déroulait normalement. D'un point de vue plus personnel, j'étais plus particulièrement impliqué dans la réforme de l'export, la montée en puissance de l'intelligence économique en tant que priorité du renseignement et enfin le soutien actif aux start-up, trois priorités fixées par le gouvernement qui allient ambition économique et souveraineté nationale.

Comment réagit le secteur des douanes à cette crise sans précédent et quels en sont les principaux impacts ?
 
Comme de nombreuses organisations, nous avons mis en œuvre un Plan de Continuité de l'Activité qui permet de recentrer notre activité sur les missions jugées prioritaires par le gouvernement : rétablissement partiel des contrôles aux frontières, facilitations pour la fabrication de solutions hydro-alcooliques et pour les importations de matériel médical, mise en place de franchises de droits et taxes pour ce même matériel médical, etc. tout en participant aux mesures de soutien aux entreprises (facilités de paiement par exemple) évoluant dans notre secteur puisqu'elles sont durement touchées par la baisse des échanges internationaux. Nous venons de passer l'entrée de crise, nous sommes désormais en gestion de crise avant d'envisager la sortie et les impacts à long terme. Sans verser dans la prévision hasardeuse, il me parait évident que : 

  • la notion de frontière sera interrogée, ce qui fait d'ailleurs écho à l'épisode du Brexit que j'évoquais ;
  • l'utilisation de l'instrument douanier au cœur de nos politiques publiques sera plus cruciale. Cela passera, peut-être, par des restrictions d'importations ou d'exportations, des incitations à la relocalisation d'industries sensibles et stratégiques mais aussi par des droits de douane relevés sur certaines marchandises ou au contraire supprimés sur d'autres. Le droit de douane était déjà devenu, sous l'impulsion du Président Trump, un axe majeur de la diplomatie économique américaine.
     

Comment les douanes se sont-elles adaptées aux contraintes imposées par cette crise, et qu’avez-vous mis en place ?
 
Nous avons évidemment adapté nos méthodes de travail en déployant un maximum d'ordinateurs disposant de connexions sécurisées dans le but de démultiplier rapidement le nombre d'agents en capacité de télétravailler. En parallèle, nous avons réduit le présentiel au sein des brigades et des bureaux. Pour autant, la nature de nos missions ainsi que les priorités qui nous sont fixées nécessitent des effectifs minimaux sur le terrain. Une cellule de crise nationale a été mise en place au sein de la direction générale et je participe, de mon côté, à la cellule de crise interrégionale qui est en charge à la fois de la coordination des services au niveau local et des liens avec l'échelon central. Enfin, les horaires, notamment dans les plateformes aéroportuaires, ont été adaptées et élargies afin de fluidifier un maximum les flux de marchandises. 
 

Qu’est ce qui a été le plus marquant pour vous dans tout ce que vous observez au quotidien ? 
 
La mobilisation exceptionnelle des agents de tous les grades. Des collègues sur le terrain qui travaillent 12 heures par jour pour libérer des déclarations d'importation jusqu'aux cadres dirigeants qui, du lundi au dimanche, se mobilisent, j'observe que notre administration s'est rapidement adaptée aux contraintes et aux exigences du moment. Je suis fier d'en faire partie mais si tout, naturellement, n'est pas parfait.


Comment pensez-vous que la crise va impacter vos activités futures ? Comment vous projetez-vous sur l’après-crise ? 
 
Du côté des entreprises, sans parler de déglobalisation, il est évident qu'une reconfiguration de la géographie économique mondiale est à prévoir tant la fragilité du modèle de certaines entreprises est criante : usines fonctionnant en flux tendus et dépendant de pièces venant d'autres pays pour ne pas s'arrêter, chaine de valeur mondiale très dispersée, etc. Les impacts en termes d'importations et d'exportations seront considérables avec une contraction probable du commerce international et de l'activité économique, avec une chute consécutive des recettes fiscales. Pour autant, on peut espérer des effets d'aubaine pour des entreprises et des secteurs d'activité qui pourront valoriser le made in France ou l'origine UE. En tout état de cause, le besoin en conseil douanier sera tout aussi fort mais nous devrons adapter, clairement, nos process de travail en privilégiant par exemple les webinars ou les téléconsultations. À plus long terme, il est indispensable d'avancer plus rapidement sur la dématérialisation totale du dédouanement au niveau communautaire mais surtout au niveau international. C'est un projet très complexe car :

  • nous devons nous accorder avec tous les pays du monde : une marchandise qui est vendue par une entreprise située en France à un client au Costa Rica, ce sont, en réalité, deux opérations douanières : une exportation depuis la France et une importation à destination, avec des exigences différentes au départ et à l'arrivée ; 
  • le contrôle douanier implique nécessairement un contrôle physique de la marchandise. Notre activité ne pourra pas être totalement dématérialisée mais il y a clairement des marges de progression.

 
Quelles seront vos priorités une fois cette crise terminée ?
 
J'aime repartir de l'étymologie pour réfléchir sur un concept comme la crise. J'ai découvert que si la crise, dans son acceptation issue du latin médiéval, se caractérise par la manifestation violente d'une maladie, l'origine grecque du terme « crise » évoque plutôt le jugement, la décision. La crise actuelle révèle donc des points de fragilité qu'il faudra corriger par des décisions claires et des réponses d'envergure. En ce qui concerne notre administration, l'après-crise devra, selon moi, être guidée par deux impératifs : accompagner la sortie de crise des entreprises mais ne pas tout bouleverser dans la précipitation. Bien évidemment, il faudra prendre particulièrement soin des agents affectés par la maladie et ceux qui ont été très sollicités. D'un point de vue plus personnel, comme beaucoup j'imagine, ma priorité sera de retrouver mes amis, ma famille et mes habitudes afin de me redonner des perspectives plus joyeuses. 

 


Jean Mencacci, Coordonnateur de l'action économique en Île-de-France et travaille à la Direction interrégional des douanes d'Île-de-France et Auditeur IHEE – Session Annuelle 20 Énergie
 

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