L’épidémie de Covid-19 et le confinement que nous traversons actuellement nous sensibilisent à un sujet tabou, celui de la maladie au travail. Cette question émerge aujourd’hui en temps de crise sanitaire alors qu’elle touche en temps normal des millions de personnes en France et des milliards de personnes dans le monde. Anne-Sophie Tuszynski, fondatrice du club d’entreprises Cancer@Work et de la start-up sociale et solidaire WeCare@Work, nous éclaire sur son engagement pour concilier maladie et travail en temps de crise comme en temps normal. Selon elle, la crise du Covid-19 offre l’opportunité aux citoyens et aux entreprises de s’interroger sur la question de la maladie au travail et les invite sans délai à l’action.

Institut de l'Entreprise - Quels sont les moteurs de votre engagement pour sensibiliser les employeurs à mieux concilier maladie et travail ?

Anne-Sophie Tuszynski - Le principal moteur de mon engagement repose sur la volonté de laisser à nos enfants un avenir meilleur. Chacun à notre mesure, nous avons le pouvoir d’agir. Pour ce qui me concerne, j’ai simplement décidé de répondre à une demande d’entreprises qui, en 2011, ont mis le doigt sur un sujet jusqu’alors inexploré et de taille. 

« Un enjeu sociétal de taille »

1200 personnes apprennent chaque jour en France qu’elles ont un cancer ; la moitié d’entre elles travaille. Deux ans après le diagnostic, une sur trois quitte le marché de l’emploi. Plus largement, 15% des actifs sont malades chroniquement et leur désinsertion professionnelle ne cesse de croître. Le coût de l’absentéisme dans les entreprises ne cesse d’augmenter. Soigner des personnes pour les priver de leur droit constitutionnel qu’est l’emploi n’a aucun sens, ni humainement, ni économiquement, dans un système de santé dont les cotisations des actifs constituent la principale recette. C’est ce qui m’a interpellée.  

« Une demande des entreprises »

En m’appuyant sur mon expérience professionnelle dans le secteur de l’emploi et mon expérience de vie du cancer en 2011, j’ai répondu à une interpellation des entreprises pour faire exister la maladie dans le monde du travail et développe depuis 2012 le Club d’Entreprises Cancer@Work. Pour répondre ensuite à leur demande d’accompagnement dans la mise en œuvre opérationnelle de leurs projets, j’ai créé en 2015 une start-up qui développe l’offre Wecare@Work, une offre de conseil et de formation. Ces deux entreprises ont la même raison d’être : concilier maladies et travail. 

Nous avons choisi de créer la start-up dans une logique lucrative, avec la volonté de faire la preuve que les personnes malades peuvent créer des entreprises, de la valeur économique et de l’emploi et ne représentent pas qu’une « charge » pour la société mais aussi une « opportunité » de création de valeur et d’innovation. Concrètement, nous travaillons avec nos clients à passer d'une gestion de la maladie au travail « en mode pompier » à une véritable politique d'inclusion, performante et durable. Il s’agit dans une approche holistique, de construire un fil rouge entre les stratégies RSE et RH, les politiques de qualité de vie au travail (QVT), de santé au travail et de handicap. Nous sensibilisons et accompagnons les salariés et les équipes confrontés à la maladie et formons les RH et managers pour les préparer à faire face à ces situations toujours plus nombreuses. Les cancers nous servent souvent de porte d’entrée : première maladie en nombre, ils renvoient encore très souvent à la mort plus qu’à la vie ou la vie professionnelle, et convoquent d’emblée l’émotion, levier de mobilisation. 

« Une équation triplement gagnante pour les personnes, pour les entreprises, pour la Société. »

En tant que cheffe d’entreprise, la question économique est pour moi centrale. Je m’y suis donc immédiatement intéressée. Quelles conséquences économiques à mieux concilier maladies et travail ? La réponse est simple : nous avons tous à y gagner. Les personnes malades conservent une place, des revenus et une protection sociale, les entreprises réduisent le coût de l’absentéisme, notre système de protection sociale conserve des cotisants pour alimenter ses recettes. Concilier maladies et travail est un cercle vertueux, humainement et économiquement, pour tous.  

Face à la crise sanitaire actuelle, avez-vous dû adapter votre activité ?

Nous avons dû nous adapter, comme de très nombreuses entreprises, avec peut-être un avantage : nous sommes habitués à faire face à la maladie. 

« Un plan de continuité d’activité »

Depuis sa création, notre entreprise vit la maladie au travail au quotidien. Le confinement, nous connaissons. La peur d’un avenir incertain aussi. Pendant les chimiothérapies, pas question de prendre les transports en commun, pas de restaurant, pas de cinéma, moins de lien social. Même si cette crise est inédite dans la mesure où elle touche tout le monde, une fois la sidération passée, la vie de notre équipe s’est rapidement réorganisée avec agilité et sérénité. Nous avons mis en place un plan de continuité d’activité. Tout un pan de notre activité en présentiel est à l’arrêt, dont, de manière ironique, nos ateliers de sensibilisation et nos formations pour mieux concilier maladies et travail... Nous avons mis en place le télétravail dès le 16 mars. Nous avons décidé de la manière dont nous souhaitions vivre cette situation inattendue et mis en place une organisation adaptée : définition des priorités d’action, rythme de rencontres en ligne collectives, individuelles, intégration du nouveau métier de parents-enseignants dans l’emploi du temps, entre autres ! 

Nous nous sommes rassemblés autour d’un objectif partagé : sortir de cette crise en forme et riches de nouvelles forces. 

« Toujours la même question centrale : la question économique »
 
La question économique a été posée dans les premiers jours, pour les personnes et pour notre entreprise.  Nous sommes une start-up en amorçage, agile et créative certes, mais aussi fragile, puisque nous sommes sur une rampe de lancement. Heureusement nous sommes plus « cafard » que « licorne », et nos modes de gestion associés à certaines aides des pouvoirs publics et de notre institut de prévoyance nous offrent - pour le moment - la trésorerie nécessaire pour passer le cap. Nous déployons notre activité au niveau national via un réseau de consultants salariés ou partenaires. Ces derniers sont des indépendants. Je me suis assurée que les revenus de chacun seraient suffisants pour faire face à leurs charges courantes. 

« Une accélération de notre offre digitale »

Nous avons accéléré le développement de notre offre distancielle et digitale. Notre formation en ligne « Concilier cancers, maladies et travail » est disponible. Car même en période de Covid-19 et de confinement, les cancers et les maladies chroniques continuent à se développer. La vie continue. Le travail va reprendre. Et nous continuons à accompagner les entreprises qui préparent l’« après ». 

Comment réellement sensibiliser les entreprises à ces enjeux alors qu’elles sont soumises à des logiques de performance et de rentabilité ?

Concilier maladies et travail est un enjeu de performance durable pour les entreprises.  

« Faire la preuve »

Notre meilleur argument, c’est la preuve. Maladies et travail sont encore aujourd’hui synonymes de difficultés et de coûts pour les personnes, les entreprises et la société (108 milliards d'euros de coûts pour l’absentéisme l’an dernier). Pourtant, nous avons tous à gagner, humainement et économiquement, à mieux les concilier. Nous en faisons la preuve quotidiennement avec nos clients. Les exemples de réussite se multiplient. Moins 8% d’absentéisme en trois ans dans cette entreprise industrielle ; quel dirigeant n’en rêverait pas ? Certaines équipes parlent de « meilleure expérience de team building » qu’elles n’aient jamais vécue. Quand les salariés comprennent que leur entreprise est à leur côté, même en cas de pépin, et qu’on ne va pas les « jeter » à la première occasion, alors la confiance grandit, leur engagement se renforce et la performance de toute l’entreprise se développe. Nos clients en parlent d’ailleurs mieux que nous. 

« S’appuyer sur la loi PACTE »

La loi PACTE constitue un levier et un accélérateur. Sur quel sujet social asseoir sa stratégie RSE qui aille « au-delà du légal » ? Celui de la maladie au travail. 100% des actifs sont concernés directement ou indirectement ; il n’existe aucune obligation légale à mieux concilier maladies et travail et l’impact sociétal est aujourd’hui délétère pour notre système de sécurité sociale. L’enjeu est de taille. Les entreprises ont d’abord abordé dans leurs stratégies RSE les sujets « verts » : bâtiments basse consommation, tri des déchets, parcs auto hybrides… Mais elles ont moins de marge de manœuvre sur les sujets sociaux, déjà bien balisés par le code du travail. Mieux concilier maladies et travail est une opportunité. Certains investisseurs l’ont bien compris et incitent leurs participations à l’action.  

« Être alignés »

Enfin, nous avons à cœur d’être alignés avec ce que nous prônons chez nos clients. L’expérience de vie de la maladie a fait naître notre entreprise, soutient son développement et sa performance. Nous la reconnaissons comme une compétence à part entière. Notre équipe est de ce fait composée dans sa très grande majorité de personnes malades et de proches aidants. Nous devons quotidiennement jongler entre les rendez-vous médicaux des uns, le besoin de télétravail des autres, les conséquences de la maladie qui ne préviennent pas mais qui impactent notre activité : pics de fatigue, difficultés de concentration, pertes de mémoire… En plus du reste : vie de famille, vie de couple, vie sociale et trouver des solutions qui permettent performance et rentabilité. Nous considérons notre expérience de vie comme un socle de compétences qui légitime notre promesse clients et développe des qualités précieuses pour notre entreprise : adaptabilité, agilité ou créativité. 

Quels enseignements peut-on tirer de la crise du Covid-19 pour mieux concilier maladies et travail ?

« Nous devons faire des choix pour l’avenir »
 
Au-delà de la prise de conscience collective de l’impact que peut avoir la maladie sur la vie personnelle et professionnelle des individus, la question de la maladie au travail nous confronte à des choix de société. La façon dont nous appréhendons et prenons en charge la maladie, les personnes malades et leur entourage, dans leur dimension sociale et professionnelle, impacte l’emploi et façonne les mécanismes de solidarité sur lesquels s’appuie notre système de protection sociale. 

« Il est urgent d’agir »

Nous ne devons pas attendre la fin de la crise du Covid-19 pour apprendre à mieux concilier, au quotidien, maladies et travail. L’anticipation est une clef essentielle. C’est un sujet de société qui est ouvert et qui doit apporter rapidement des réponses à des questions aussi complexes que celles que se posent certaines personnes malades : à quoi bon nous soigner si nous n’avons plus de place dans la société ? Si nous voulons léguer à nos enfants le précieux système de sécurité sociale, héritage de nos grands-parents, si certains doutent encore de l'importance de conjuguer maladies et travail, le Covid-19 aura - je l'espère - raison de leurs doutes et les engagera sans attendre dans l’action. Nous avons tous à y gagner, humainement et économiquement. 

 

Voici le numéro de la hotline solidaire "Allo Alex" qui répond gratuitement à toutes les questions pour mieux concilier maladies et travail : 0 800 400 310 
 

Anne-Sophie Tuszynski, Fondatrice et administratrice de Cancer@Work et CEO de Wecare@Work et Auditrice de la Session Annuelle 19 au sein de l'IHEE

 

Le guide pratique de Cancer@Work

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