Il faut garantir un souverainisme européen sur des activités stratégiques

Fondateur et Président du directoire du Groupe SOS – en première ligne face à l’épidémie de Covid-19, avec l’ambition intacte de lutter contre les exclusions  et inégalités – Jean-Marc Borello témoigne de la mobilisation et de la solidarité décuplées de ses collaborateurs comme de l’agilité de son Groupe pour s’adapter à une crise d’une violence inédite, et partage ses réflexions sur « l’après ». Il estime ainsi que la France, outre ses plans de soutien nationaux, doit engager l’Union européenne sur la voie d’un investissement massif, pour assurer la relance de ses pays membres comme pour garantir un souverainisme européen sur des activités stratégiques, à l’instar de l’industrie des médicaments. Comme en témoigne les tendances qui émergent déjà de la Grande Consultation « Inventons le monde d’après », dont il est l’un des principaux instigateurs, Jean-Marc Borello considère que cette crise doit nous pousser à repenser la nécessité de produire et consommer localement, redéfinir nos modes de production, revaloriser certains salariés… En d’autres termes, qu’elle soit un moment de refondation pour un certain nombre d’entreprises. Si pour Jean-Marc Borello le 11 mai marquera le début d’un long processus, il n’en conclut pas moins cet entretien par un conseil pétri d’optimisme : « Restez entrepreneurs. Toutes ces difficultés sont autant d’opportunités. »

Institut de l'Entreprise - Comment le Groupe SOS s’est-il adapté à la crise sanitaire et économique ?

Jean-Marc Borello - Le Groupe SOS est plutôt en suractivité. À peine 5% de nos activités sont interrompues : les crèches et la restauration-traiteur. À l’international, nous avons rapatrié nos salariés expatriés mais les activités continuent grâce aux salariés en France.

Quels sont les secteurs les plus préoccupants, les plus touchés dans cette crise ?

La sécurité sanitaire est la plus touchée. Dans les hôpitaux et dans les Ehpad, mais aussi dans les centres pour personnes lourdement handicapées où nous avons des résidents extrêmement fragiles, il a fallu redoubler d’efforts sur la possibilité d’avoir des gestes barrières y compris dans les établissements de prise en charges médicales et des gestes quotidiens proches des patients. Il y a, également, eu des cas de Covid-19 dans des structures de protection de l’enfance, dans des structures du Groupe SOS accueillant des personnes en situation fragile (sans domiciles fixes, demandeurs d’asile, etc.). Toutes les structures collectives ont été mises à rude épreuve mais nous avons dû inventer des solutions sur l’ensemble de nos dispositifs pour faire face à la pandémie. Nous avons assisté à de beaux exemples de solidarité. À Marseille, la friche La Belle de Mai, qui est un lieu culturel emblématique, a mis à notre disposition sa résidence d’artistes pour héberger des femmes accueillies habituellement, chez nous, dans du collégial et des studios individuels. Nous avons également ouvert, en Normandie et dans le Sud-Ouest, des dispositifs pour les personnes sans domiciles fixes contaminées.

Nous luttons ainsi contre l’exclusion et les inégalités, pour éviter que la crise sanitaire n’aggrave les situations préexistantes.

Quelle est la situation dans les hôpitaux et les Ehpad ?

Les hôpitaux et les Ehpad sont en première ligne. Toutes les équipes du Groupe SOS sont sur le pont, d’autant plus que la majorité de nos hôpitaux et maisons de retraite sont implantés dans les trois régions les plus fortement impactées : la région Grand Est, l’Ile-de-France et la Bourgogne. Nos structures dans ces trois régions sont en suractivité. Nous avons ouvert plus de 300 lits COVID dans nos hôpitaux dans les différentes spécialités qui vont de la réanimation – nos capacités ont doublé – en passant par la médecine COVID et les soins palliatifs COVID dans les hôpitaux parisiens, et des centres qui ont été ouverts pour des dépistages dans certains hôpitaux.

Dans nos services de réanimation, par exemple, dans le Grand Est, certains de nos patients ont bénéficié de transfert vers des hôpitaux où la situation était moins tendue. Ce qui a permis de ne jamais dépasser la capacité maximum dans les services de réanimation. Nous avons pu traiter tous les patients qui devaient être réanimés. Notre système hospitalier français s’est adapté et a doublé la capacité dans des services de réanimation. Les équipes dans nos hôpitaux et Ehpad ont démontré leur grande et rapide capacité d’adaptation, dans un contexte inédit.

Face à la suractivité de certaines de vos activités, avez-vous eu recours à des recrutements spécifiques ?

Nous comptons un certain nombre de salariés en arrêt maladie car ils sont contaminés par le virus. D’autres n’ont pas de solution pour garder leurs enfants. Nous avons donc recruté et fait appel à de la solidarité intra-SOS. Des salariés d’autres régions sont venus prêter main forte à leurs collègues des régions très touchées. Par exemple, depuis l’Aquitaine vers le Grand Est ou depuis le Sud de la France vers Paris.

Nous avons également sollicité du bénévolat, de l’intervention ou du recrutement direct sur des plateformes spécifiques : un dentiste qui travaille dans un de nos hôpitaux et une sénatrice du Grand Est qui est médecin et qui a enfilé sa blouse pour travailler à l’Hôpital de Mont-Saint-Martin en Meurthe-et-Moselle.

Donc finalement, suractivité et sur-solidarité…

Suractivité et sur-solidarité des salariés qui sont absolument investis dans cette épidémie et qui ne comptent ni leurs heures ni leurs journées, ni leurs semaines puisque dans la plupart de nos hôpitaux et nos Ehpad, l’absence d’une partie du personnel contaminé a impacté le temps de travail de leurs collègues pour conserver une grande majorité du personnel connaissant le métier, l’établissement et les résidants.

Comment dirigez-vous ? Avez-vous des échanges avec le Gouvernement ?

Chaque matin, je retrouve les patrons des directions par visioconférence, en cellule de coordination, pour faire le point sur les différents secteurs (Santé, Seniors, Jeunesse, Handicap, etc.). Les directeurs d’Ehpad se sont adressés très rapidement aux familles des résidents, les directeurs généraux de secteurs communiquent avec les salariés des secteurs concernés.

Chacuns dans leurs secteurs, nos directeurs sont en visioconférence de manière hebdomadaire avec le ministre de tutelle : la directrice du handicap est en lien avec Sophie Cluzel, la directrice de l’enfance est en lien avec Adrien Taquet, de la même manière pour la Grande Exclusion avec Julien Denormandie, etc. Ces rapports courts et rapprochés entre les opérateurs de terrain et les responsables ministériels permettent de faire avancer la réglementation et de faire disparaître la difficulté réglementaire et d’adapter les politiques publiques aux réalités du terrain.

Comment avez-vous pris la parole vis-à-vis de vos équipes ?

Je me suis adressé à trois reprises à l’ensemble des salariés du Groupe pour partager la position du Groupe face à l’épidémie. En période de crise, la communication aux salariés est un enjeu fondamental. Une tribune vient d’être publiée sur l’importance du travail social. Chaque prise de parole est une prise de responsabilité.

La crise creuse-t-elle les inégalités déjà existantes ? Pouvons-nous imaginer de nouvelles mesures et solutions ?

Chaque fois qu’il y a une difficulté, qu’elle soit sociale, sanitaire ou économique, les plus fragiles sont les premiers à supporter les conséquences. C’est notre métier que d’imaginer quotidiennement des dispositifs spécifiques pour ceux qui sont le plus en difficulté.

Il ne paraît pas indispensable de repenser nos dispositifs, mais il nous faudra changer d’échelle et être encore plus imaginatifs et créatifs que ce que nous faisons depuis 35 ans. À chaque problème qui apparaît, il nous faut trouver une solution nouvelle.

Nous avons notamment développé en urgence un dispositif avec la ministre de la Justice pour isoler les compagnons violents. Nous avons mis en place, en 10 jours, une procédure qui permet à tous les magistrats de France de nous saisir sur une adresse mail SOS. Nous proposons ainsi, dans la journée, un éloignement du compagnon violent par un hébergement et un suivi par une association locale. Ce dispositif n’existait pas et nous avons déjà fait héberger plus d’une dizaine de compagnons violents à la demande des magistrats. Ces programmes devront durer dans le temps et démontrer leur pertinence.

Fabriquez-vous des masques ?

Le Groupe SOS a fabriqué des masques en tissu dans nos ateliers d’insertion. Nous transformons les difficultés en opportunité : les équipes dont les activités ne sont pas directement liées à l’accueil des personnes se réinventent pour apporter leur soutien partout où cela est possible.

Vous avez lancé la Grande Consultation, le 10 avril dernier, sur le thème « inventons le monde d’après ». Avez-vous déjà des pistes de propositions ?

Cette Grande Consultation, lancée le 10 avril avec plusieurs partenaires du monde associatif, des médias et des entreprises, a déjà permis à plus de 500 000 personnes de participer à cette enquête. Nous avons déjà 60 000 propositions. Les journalistes du Mouvement Up les traitent les regroupent en catégories de propositions. Des tendances et des propositions se dessinent déjà : la nécessité de produire et consommer localement, de relocaliser un certain nombre d’activités qui a été délocalisé et qui entache notre souveraineté nationale en cas de crise. On observe également la nécessité de revaloriser le personnel paramédical et les femmes. La réalité est que 80% des personnes en première ligne face à la crise du Covid-19 sont des femmes (les infirmières, les aides-soignantes, les personnes qui travaillent dans les Ehpad, les médecins).

Il faut aussi reconsidérer la place de l’hôpital privé non lucratif – dont on ne parle pas assez. Il faut lui donner une place différente et reconsidérer nos priorités pour l’avenir.

Le Gouvernement a fixé la date du 11 mai pour le déconfinement. Le retour au travail et à une vie normale demandera-t-il du temps ?

Le 11 mai marquera le début d’un long processus. La fin du confinement ne veut pas dire « reprendre nos vies d’avant ». Il faut conserver les gestes barrières donc réduire le nombre de personnes dans les locaux. Le Groupe SOS s’organise pour préserver ses équipes. Nous avons appris à travailler à distance en remplaçant les réunions par des visioconférences. Nous allons poursuivre la possibilité de télétravailler le plus longtemps possible et faire en sorte que les horaires soient décalés pour éviter les échanges dans les transports en commun aux heures de pointe.

L’État a-t-il pris les bonnes mesures pour soutenir l’économie et les entreprises ?

Le plan mis en place par les pouvoirs publics permet d’éviter la faillite d’une majorité d’entreprises parce que 10 millions de salariés sont au chômage technique. Cela veut dire que ces 10 millions de personnes auraient pu se retrouver au chômage strict. Les entreprises n’ont pas été obligées ni de les licencier ni de fermer. Il y a la fois une réaction des pouvoirs publics qui permet, d’abord, de survivre pendant la crise et qui, ensuite, vont permettre de relancer des activités.

Mais l’État a aggravé son endettement …

On peut créer de la dette car elle ne coûte pas très cher. En revanche, pour la rembourser, il faudra recréer de la richesse en essayant de le faire autrement. Cette crise est l’opportunité de réfléchir à nos modes de productions, nos modes de délocalisation, les rapports avec les salariés de ce pays, etc. Je crois que c’est un moment de refondation pour un certain nombre d’entreprises.

L’État est-il le seul périmètre de l’action publique ?

Les solutions proposées au niveau de chaque pays ne suffisent pas. Il est extrêmement important que l’Union européenne puisse encourager un certain nombre d’activités dont la recherche médicale. Aujourd’hui, les chercheurs du monde entier sont en lien direct pour l’expérimentation des traitements. Cela permet d’accélérer le processus de recherche.

Sur le plan économique, je propose que la dette qui correspond au surcoût du Covid-19 soit collectivisée.

L’Europe doit réaliser un investissement massif pour la relance des différents pays membres de l’Union. C’est une idée que la France doit absolument imposer à nos partenaires.

Qu’aimeriez-vous voir évoluer dans le domaine de la santé ?

La santé ne fait pas partie des compétences de l’Union européenne. Il faut, sans doute, ajouter une compétence autour de ce sujet crucial. On partage, pour faire face à cette crise, une partie de la recherche avec d’autres pays du monde. Il s’agit donc se poser la question de ramener, à l’intérieur des pays de l’Union, au moins un certain nombre d’activités sanitaires. La production de médicaments et de masques nous le démontre. Il faut qu’on soit capable de relocaliser et de revenir à une espèce de souverainisme européen de manière à avoir une indépendance sur des sujets majeurs. L’idée de créer une grande industrie européenne des médicaments me paraît une excellente idée.

Les chefs d’entreprise vont-ils devoir changer leur manière de diriger ?

Le message que je tire de cette crise est éternel : ce qui permet de survivre, c’est l’agilité en matière d’organisation.

Qu’auriez-vous envie de souhaiter aux lecteurs de la Quotidienne ?

Restez entrepreneurs. Toutes ces difficultés sont autant d’opportunités. Il va falloir, à partir de ces difficultés nouvelles, créer des entreprises nouvelles, faire évoluer nos entreprises et nos modes de travail, prendre en compte les leçons du passé et essayer de construire un monde qui soit plus résilient avec des entreprises plus résilientes.

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