Le passage de la civilisation de l’usine à celle du savoir initiée par les TIC et poursuivi par la révolution technologique numérique semble s’accélérer avec la crise sanitaire que nous traversons. Cette transformation nécessitera de dépasser le droit du travail par celui de l’activité professionnelle et d’améliorer la qualité du dialogue social. Ils développent leur vision pour la Quotidienne.  

Les effets du Covid-19 sur les comportements vont accélérer le passage de la civilisation de l’usine à celle du savoir initiée par les Technologies de l'Information et de la Communication (TIC) et poursuivi par la révolution technologique numérique. Il en découlera le dépassement du droit du travail par celui de l’activité professionnelle dans lequel les droits fondamentaux de l’homme se déclineront mieux, spécialement les libertés, la dignité ou même la libre circulation des travailleurs. 

Cette mutation profonde nécessitera des modifications législatives de fond comme la définition du temps de travail effectif ou le remplacement de la subordination juridique par la dépendance économique pour décliner l’arsenal protecteur de la partie faible du contrat de travail. Mais l’essentiel viendra du rôle accru du tissu conventionnel. Ceci d’autant que la technique de supplétivité introduite par les ordonnances Travail de septembre 2020 confère plus d'autonomie à l’accord collectif, de branche ou d’entreprise, ce qui conduit à un rôle accru du dialogue social. Or, le droit à la négociation collective est d'ordre public. Ceci permet de mieux concilier protection promotion du travailleur et efficacité économique grâce à des normes adaptées au contexte et à la gestion préventive des risques.

Par ailleurs, les transformations des institutions représentatives du personnel également faites par les ordonnances Travail contribuent à renforcer le rôle du dialogue social. Loin d'être, comme il est parfois avancé, une régression sociale au motif de la fusion de diverses instances auparavant distinctes, l’institution unique du personnel est un moyen de renforcer la consistance de la collectivité des travailleurs, donc de mettre négociation et concertation au service de l’intérêt général de l’entreprise qui peut alors devenir institution et pas seulement une somme de biens. Les travailleurs ne seront alors plus des tiers.

Pour que le tissu conventionnel puisse pleinement assumer une telle ambition, la qualité du dialogue social doit être améliorée. Cela passe d’abord par des comportements nouveaux inspirés de l’idée que l’accord collectif doit être un instrument au service de l’intérêt général, donc qu’il doit profiter conjointement à toutes les parties. La formation doit jouer un rôle dans cette quête qui touche à l’éthique. Mais, il faut aussi souligner l’importance de l’accord de méthode permettant d’assurer l’équilibre des pouvoirs entre les parties, un comportement loyal des négociateurs et une exécution de bonne foi des accords.

Ensuite, des thèmes importants de négociation doivent faire l’objet d’une attention particulière. Il en est ainsi de la durée du travail dans ses aspects qualitatifs et quantitatifs. Certes le législateur doit intervenir pour définir le temps de travail effectif, d’autant que la référence actuelle à celui pendant lequel le salarié est à disposition sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles est l’expression des modes hiérarchiques d’organisation du travail qui vont disparaitre dans la civilisation du savoir. Il faudra en venir à une définition négative par référence aux repos et congés qui sont plus sensibles au droit à la santé qui est un droit fondamental. Cela ne peut qu’accroitre le rôle de l’accord collectif, d’utant plus essentiel ici que l’on touche à la conception organisationnelle du droit social. L’accord collectif, contrat mais source normative, est plus à même de bâtir une ingénierie juridique adaptée à un contexte, donc d’éviter de sombrer dans le juridisme. 

Un deuxième thème à privilégier est celui des garanties sociales. Par les mérites de la mutualisation au service de la solidarité, ces garanties sont en mesure d’accroitre la consistance juridique de la collectivité de travail, d'autant plus nécessaire que numérique ou intelligence artificielle incitent à l’individualisation (exemple du télétravail). En outre, la solidarité fixe des limites au champ de la dérogation et contribue à définir la branche en tant qu’objet de stratégie sociale.

L’efficacité d’une politique sociale dans la civilisation du savoir viendra avant tout du dépassement de l’opposition salarié / indépendant. Le tissu conventionnel peut y contribuer efficacement. Par son pragmatisme, l’accord collectif peut apporter des solutions adaptées aux situations particulières de subordination économique. Le statut collectif des agents généraux d’assurance indépendants juridiquement mais dépendant économiquement atteste que c’est concevable des lors que c’est par contrat collectif qu’on a résolu le problème.

La possibilité de recourir au référendum pour concrétiser le dialogue social mérite une attention particulière, d’autant que l’exigence d’une majorité par référence aux effectifs et non aux votants consolide la collectivité de travail. Mais cette voie ne doit pouvoir prospérer qu’en l’absence de syndicats et le texte soumis à approbation doit résulter d'une concertation même informelle, par exemple avec l’institution unique. En effet, un projet élaboré par l’employeur débouche sur une décision unilatérale sous condition suspensive qui ne peut avoir la prétention de remettre en cause la classique hiérarchie des normes sans altérer la fonction protectrice génétique du droit du travail. Dans le même esprit, le transfert sous conditions du pouvoir de négociation sur l’institution unique (le Conseil Social et Economique) est intéressant, des lors que celui-ci est une personne morale, ce qui accroit indirectement la consistance juridique de la collectivité du personnel qu’il incarne. Mais doit être préservée la prééminence de l’intervention des syndicats eu égard au fait que le droit à la négociation collective est un droit fondamental. Il faut donc être vigilant sur les conditions d’un transfert du pouvoir de négociation au CSE. En tout état de cause, un tel transfert invite le chef d’entreprise à ne plus présider cette institution et qu’il n’en soit plus membre de droit, à l’instar des works councils existants dans d’autres nations avancées. Car dans la situation actuelle, un tel transfert signifierait que le chef d’entreprise pourrait négocier un accord collectif avec une structure qu’il préside, ce qui serait pour le moins une grave anomalie, voire une aberration [1].

Le dialogue social et la négociation collective peuvent voir leur rôle magnifié dans le contexte actuel du Covid-19 par l’élaboration des normes nouvelles du fait de la société du savoir. C’est ce qui permettra de concilier pleinement et de façon adaptée à chaque contexte les gains d’efficacité portés par l’économie numérique avec une protection renforcée du travailleur. C’est d’ailleurs par cette seule voie que les changements appelés par les transformations technologiques et économiques pourront se réaliser dans la paix sociale.

 

[1] Ces aspects sont plus longuement développés dans notre rapport réalisé en 2019 pour Terra Nova : « Adapter le droit du travail au XXIème siècle », http://tnova.fr/notes/adapter-le-droit-du-travail-au-xxie-siecle.

Source : Melchior

À propos des auteurs : 

Jacques Barthelemy est Avocat – Conseil en droit social (honoraire) et Gilbert Cette est Professeur associé à l’Université d’Aix-Marseille. Jacques Barthelemy et Gilbert Cette sont co-auteurs de « Réformer le droit du Travail », Editions Odile Jacob, 2005 et de « Travailler au XXIème siècle – L’uberisation de l’économie ? », Editions Odile Jacob, 2017

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