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Débat CPA - Contributions de l'Institut de l'Entreprise

Novembre 2016

 

Suite à la remise le 9 octobre 2015 du rapport Le Compte personnel d’activité, de l’utopie au concret au Premier ministre, France Stratégie a été chargé par Myriam El Khomri, ministre du Travail, de l'Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social, d’animer un large débat sur le CPA. L’Institut de l’Entreprise a contribué à la réflexion, en mobilisant ses experts.

« Le risque d’échec est maximal pour un principe généreux et abstrait sans contenu évident, dans un contexte où notre société cherche à tâtons un modèle social alternatif à celui qu’on a quitté… sans l’admettre ». Cette formule, tirée de l’une des contributions résume le sentiment partagé par plusieurs de nos experts.

Nombre de ces derniers se sont montrés sceptiques (encore « une idée qui fleure bon l’usine à gaz » ; « l’archétype de la fausse bonne idée»), peu informés (« je ne sais trop que penser de cet outil »), voire carrément opposés (« CPA comme PAS » – de CPA). D’autres, convaincus de la pertinence du concept, s’interrogent sur les conditions de sa mise en oeuvre et replacent le projet dans la perspective ambitieuse qui est la sienne… sans pour autant s’accorder sur celle-ci.

Le fait est que personne ne dément le constat (d’une « précarité et [de] discontinuités dans les parcours professionnels [qui] touchent notamment les jeunes, les séniors et les moins qualifiés ») ni l’impérieuse nécessité de sécuriser les transitions professionnelles. La réponse telle qu’elle est envisagée appelle toutefois des réserves.

Des réserves tout d’abord quant à la faisabilité du projet. La probabilité que le CPA soit un énième fiasco, un « monstre » juridico-administratif qui serait « vécu comme une nouvelle sujétion hors sol faite aux entreprises, assorti de nouveaux coûts », est forte. Quel que soit le scénario retenu, la mise en oeuvre suppose de relever de vertigineux défis dont les principaux « tiennent à la faible mobilité des agents publics souvent liée à des différences de statuts et de régimes indemnitaires, et aux faiblesses des administrations dans la gestion des grands projets informatiques ». Il y a loin de la coupe aux lèvres entre le concept tel qu’il est décrit et les modélisations qui en sont faites sur les supports de communication.

Ces obstacles techniques, managériaux, matériels ne seraient toutefois pas insurmontables si le dispositif était parfaitement bien « ficelé ». Or, sur ce point fondamental, nos experts doutent également. Ils s’interrogent tout d’abord sur la lisibilité du dispositif. Les trois scénarios imaginés ont des ambitions différentes. Faute d’objectif clairement identifié ou de choix tranché, le risque est réel que le CPA soit « tiraillé entre des logiques distinctes ».

Revenons aux principes fondamentaux : la création du CPA est justifiée par l’idée essentielle qu’il faut « trouver les moyens de décliner autrement la fonction protectrice du droit social que par les contraintes imposées à l’employeur et de décliner cet ordre protecteur autrement que par des droits et avantages liés à l’exécution du contrat ». Pour la plupart de nos experts, la finalité du CPA doit être de « faciliter les transitions professionnelles », « un mix de sécurité sociale professionnelle et de sécurisation des parcours et des transitions ». En tout état de cause, il doit être un outil au service de « l’efficacité économique », alliant « sécurité réelle » pour le travailleur et dynamique de l’entreprise. Au bout du bout, un CPA efficace conduirait à considérer le « licenciement comme un simple incident de parcours » et neutraliserait les effets des changements de statut au regard des trajectoires professionnelles.

  • « Sécurité sociale de nature conventionnelle »

Pour l’un de nos contributeurs, le CPA doit s’inscrire dans la perspective d’une « sécurité sociale de nature conventionnelle », permettant la conciliation des différents droits, ce qui renvoie à la question de la gouvernance du dispositif. Ce point de vue n’est pas partagé.

En tout état de cause, l’idée est ambitieuse et se pose "la question du timing". Nous ne parlons pas ici du calendrier de déploiement du projet (véritable défi puisque nous n’avons que 9 mois devant nous pour valider et adopter l’outil, concevoir les architectures informatiques et les dispositifs d’accompagnement !) mais de l’ordre des priorités. Certains de nos contributeurs s’étonnent que France Stratégie propose de faire du CPA un "levier pour rebâtir un marché du travail plus inclusif, plus ouvert" quand la logique commandait plutôt de « moderniser d’abord le droit du travail et le droit de la personne au travail pour achever l’ouvrage par le CPA ». L’idée est donc doublement vertigineuse : intrinsèquement et au regard de ce qu’on attend du dispositif. Rien de moins qu’un bouleversement du droit du travail et la refondation de notre système social !

Dont acte. Pragmatique, l’un de nos experts entre donc dans la logique proposée par France Stratégie et commente les scénarios proposés. Par exemple, le principe de solidarité qui, selon le rapport, ferait consensus mérite d’être précisé : « le CPA ne doit pas être un instrument de redistribution des revenus et d’égalisation des niveaux de vie », traités par l’impôt et les prestations sociales. La question des transferts entre les ménages qui résulteraient de l’option pour le scénario le plus abouti ne va pas de soi et implique de repenser le système dans son ensemble. Le scénario 1 (formation professionnelle) s’intéresse au travailleur, en occultant le fait que les entreprises ont leur mot à dire dans la formation des personnes qu’elles emploient et que « la comptabilité de ce droit de regard avec la portabilité des droits personnels ne sera pas facile à assurer concrètement ».

  • L’occasion d’une simplification

Fort de ce constat, notre contributeur résume ce que pourrait être une stratégie à court terme.

L’objectif prioritaire (« portabilité des droits sociaux communs à tous ») conduirait à écarter un CPA orienté vers la capacité de l’individu à évoluer professionnellement qui « repose en partie sur l’acquisition de nouveaux droits » et de reporter à plus tard un CPA orienté vers la liberté de l’usage des temps, qui repose sur la fongibilité des droits et dont l’usage doit être en partie contrôlée par l’employeur. Plusieurs de nos experts souhaitent que la création du CPA soit l’occasion d’une simplification – et suggère donc de supprimer le compte pénibilité.

L’enjeu est majeur et nos contributeurs s’accordent sur la nécessité « d’adopter une position de départ modeste » et d’envisager une montée en charge progressive du dispositif sous peine de voir le CPA rejoindre la « collection des bonnes idées mal ficelées distillant le poison de la défiance dont le pays n’a pas besoin ».

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