
VINCI est la deuxième entreprise mondiale du BTP. Consciente du rôle social des métiers de la construction, VINCI a historiquement participé à la mise en place d’initiatives en faveur de l’insertion. VINCI Construction France se veut un partenaire durable pour les communautés et les territoires où il intervient.
Le Groupe Ares, en accompagnant plus de 1 000 personnes par an, se positionne comme le plus grand groupe d’insertion d’Île-de-France (hors intérim d’insertion). Bénéficiant de fonctions mutualisées au niveau du siège du groupe, les établissements concentrent leur action d’insertion sur leurs territoires d’intervention.
En 2018, VINCI Construction France et le Groupe Ares se sont associés afin de créer LIVA, une Joint-Venture sociale spécialisée dans les métiers de la logistique de chantier.
Pierre Coppey, Directeur Général Adjoint de VINCI
Guillaume Hérisson, co-Directeur Général chez Groupe Ares
Comment est venue l’idée de créer LIVA ?
Guillaume Hérisson : Il existe des liens depuis plus de 20 ans entre la Fondation VINCI et le Groupe Ares. Au début des années 2010, sous l'impulsion de structures comme Vinci Insertion-Emploi (VIE), le Groupe Ares met le pied dans le métier de la logistique. Entre 2011 et 2016, le Groupe Ares se professionnalise avec les clauses d'insertion sur de la logistique de chantier. Cela faisait sens de tester le premier modèle de Joint-Venture Sociale théorisé par le Groupe Ares sur le métier de la logistique de chantier : c'était un métier peu mature, avec un fort potentiel de maximisation en termes d’impact social. Cependant, nous étions conscients que nous ne pouvions pas y aller seuls, en termes de prise de risque, de capacité d'investissement et au vu de l'apparition de nouveaux acteurs. Étant donné les liens étroits qui se sont créés au cours du temps avec VINCI-Construction France et la Fondation, quand Pierre Coppey nous a sollicité pour savoir comment on pouvait concrètement agir et créer un projet ensemble, on en est rapidement venu à l'idée de créer ensemble cette entreprise d'insertion de logistique de chantier.
Pierre Coppey : Premièrement, VINCI est un groupe du BTP, secteur où l'ascenseur social fonctionne encore le mieux et où les métiers présentent une forte capacité d'intégration. Deuxièmement, prenant cela en compte, VINCI a depuis de très nombreuses années développé des initiatives susceptibles d'amener vers l'emploi des personnes en situation d'exclusion. On a monté un GEIQ [1] : Groupement d'Employeurs pour l'Insertion avec Qualification, qui marche très bien et qui a permis d’offrir un travail à des milliers de personnes depuis sa création, et dont nous sommes très fiers. VINCI a aussi une structure qui s'appelle VIE, qui pilote les clauses d’insertion des nombreuses filiales de construction du groupe et qui est une bonne façon d'industrialiser et de professionnaliser le process d'accompagnement vers l'emploi. Nous avons de nombreuses autres initiatives et une grande amitié, voire affection pour le Groupe Ares, une association qui a un réel sens des passerelles entre l'entreprise et le social. C'est une entreprise qui est administrée par des gens qui ont le sens du business et sont de véritables entrepreneurs sociaux. Souvent, le tropisme du secteur associatif est insuffisamment orienté vers l'entreprise, voire l'ignore. Le Groupe Ares a un vrai sens de l'entreprise et une vraie compréhension de la nécessité de développer des ponts entre entreprises et associations, logique entrepreneuriale et logique sociale : il n’y en a pas beaucoup des comme ça !
On s'est assez naturellement dit que cela aurait du sens de développer une activité d'accompagnement vers l'emploi dans le métier de la logistique de chantier, qui est une activité un peu orpheline, en cours de structuration et de professionnalisation. Il était important d'identifier cette activité, de la construire et de la confier à cette entreprise commune, sachant que le besoin en matière de logistique de chantier va exploser car on circule de moins en moins bien en ville et que les flux tendus d’approvisionnement font de la logistique une fonction critique de l’efficacité des chantiers.
Pourquoi avoir retenu le format de joint-venture sociale ?
Guillaume Hérisson : Il faut avoir en tête que le Groupe Ares a été créé par Manpower et la SNCF. Notre lien et notre ancrage avec l'entreprise vient de là. Aujourd’hui, on travaille avec beaucoup de grands groupes, qui seront les futurs employeurs de nos employés. Le modèle de JVS [joint-venture sociale, NDLR] est pour nous le modèle le plus abouti de partenariat, associant un acteur associatif à but non lucratif avec une entreprise du CAC 40, ayant une organisation, une structuration et des process complexes. Pour nous, l'énorme avantage de s'engager dans une entreprise d'insertion avec un acteur comme VINCI, c’est que l’on sait que l'on va pouvoir faire du social sur le temps long. Et c'est là tout l'intérêt de la JVS tant qu'il y a une relation équilibrée, de confiance, avec un double portage, particulièrement de la part des dirigeants de VINCI, qui mettent l'impulsion. Il faut savoir que dans le cas de LIVA, à partir du moment où l'on dit « Go, on lance le projet » et le moment effectif de création de la structure, cela prend 9 mois à démarrer un chantier et embaucher nos premiers salariés. Cela peut paraître long, mais dans le temps associatif, c'est extrêmement rapide et efficace.
Pierre Coppey : Il y a un phénomène d'appropriation, on a mis beaucoup d’engagement dans ce projet. Nous sommes donc dans une logique de société commune. Nous avons laissé la gouvernance au Groupe Ares mais nous sommes présents au board. Il y a donc une communauté de destins liée à la formalisation de ce mariage. Au fond, l'idée importante est que dans une JVS, il ne faut pas faire faire de l'accompagnement social à des gens du business et faire faire du business à des travailleurs sociaux. Quand on a compris ça, on fait du bon travail, et quand on ne l'a pas compris, on fait des bêtises. Je suis convaincu depuis 25 ans que le facteur clef de succès des projets d'insertion est de mettre de l'accompagnement social pour gérer tous les conflits et les difficultés qui peuvent exister et un accompagnement dans l'emploi pour apprendre la composante technique et organisationnelle du métier. L'insertion, ça marche sur deux pieds. Je dois donner l'impression d'enfoncer des portes ouvertes mais vous constaterez que dans tous les financements des dispositifs d'insertion, il n'y a pas d’accompagnement social : on finance les entreprises, pas le volet social. Il y a donc encore de grandes marges de progression.
Quel est l’intérêt, pour un entrepreneur de l’ESS d’une part, et une grande entreprise d’autre part, de développer ce type de collaboration ?
Guillaume Hérisson : On est là pour que des gens exclus reprennent le chemin de l'emploi et pourquoi pas dans les métiers du bâtiment. Il y a deux ans, nous nous sommes donnés des objectifs ambitieux et il y a une certaine fierté à regarder le travail accompli : avoir triplé nos effectifs, innové sur des sujets logistiques... Quand on voit que notre concurrent regarde de près ces résultats pour créer sa propre structure d'insertion, on ne peut que se féliciter du fait que LIVA inspire les autres. Nous sommes également ravis de voir que le fait que cela ait marché, parce qu'on avait des bases solides et une relation de confiance, a ensuite permis à VINCI de déclencher quatre nouvelles JVS avec d'autres grands groupes de l'insertion. Cela peut générer une envie d'entreprendre socialement.
Pierre Coppey : C'est avant tout une approche humaniste, une ambition d'entreprise citoyenne, qui repose d'abord sur la volonté de permettre l'accès à l'emploi de personnes en situation d'exclusion. Ensuite, on est sur des métiers où le recrutement ne se fait plus aussi facilement qu'avant, et un des intérêts est que cela peut devenir une des manières de recruter pour VINCI.
En termes d’impact, pouvez-vous nous donner quelques chiffres ?
Guillaume Hérisson : On a démarré en juillet 2018. Fin 2020, on prévoit d'avoir près de 100 salariés en parcours. Aujourd'hui, 150 personnes sont passées par LIVA, pour une durée moyenne d'un an. Il faut prendre en compte la naissance récente, la croissance rapide et que nous devons aller vers un meilleur pilotage de notre recrutement afin de voir nos statistiques de sortie vers l'emploi continuer de s'améliorer. J'espère que l'année prochaine, nous serons en capacité de faire travailler 110 ETP hors encadrement. Notre plus grosse réussite serait de parvenir avec le GEIQ IDF et d'autres acteurs de l'emploi à améliorer et largement dépasser nos objectifs sur les passerelles emplois entre un salarié qui rentre chez LIVA et l’embauche dans une filiale de VINCI.
Quels sont les défis de l’ESS aujourd’hui ?
Guillaume Hérisson : Je pense que notre défi, en tant qu’acteurs de l’économie sociale, c'est que l'on reste une goutte d'eau par rapport aux urgences sociales et à l’exclusion. Si l'on sait s'associer avec une entreprise comme VINCI, il n'y a pas de raison que l'on n'arrive pas à s'associer avec des acteurs de notre monde, de l'ESS et du monde social en général, pour créer des groupements qui puissent répondre à des enjeux nationaux d’entreprises comme VINCI ou d'autres grands groupes. Il faut qu’on puisse apporter aux entreprises des solutions pour répondre aux problématiques de l'exclusion et des publics en difficulté. Or les acteurs sociaux se parlent encore trop peu, que ça soit par métier, par secteur ou par localisation géographique. Si chacun de nous, acteurs sociaux, fait son travail dans son coin, nous ne développerons jamais des process, une valeur ajoutée et des savoir-faire qu'un consortium nous réunissant pourrait proposer à des entreprises du CAC 40, afin s’appuyer sur la puissance de ces groupes. Nous devons passer à l’échelle.
Pierre Coppey : Les différentes initiatives d'entrepreneuriat social doivent échapper au formatage et à l’enfermement dans des process, que peut impliquer le financement public. Le fait qu'on soit capables d'inventer ensemble des dispositifs en mode entrepreneurial ouvre des perspectives. C'est d'ailleurs ce que l’Association AURORE montre aux Grands Voisins, sur le site de Saint-Vincent-de-Paul à Paris 14ème où une association d’acteurs – associatifs, privés, nationaux ou municipaux – tous très différents mais qui ont réussi à faire des choses très fécondes ensemble pendant plusieurs années.
Quels sont les éléments susceptibles de susciter l'intérêt de grands groupes pour ce type de collaboration, et ainsi favoriser leur essor ?
Pierre Coppey : Je pense qu'il y a du bonheur dans la mixité, dans l'innovation, dans les partenariats de ce type : ça ouvre les horizons. Tout ce qui permet de faire du brassage est une bonne chose. C'est une dynamique rafraîchissante, innovante, stimulante. C'est ça le point important : la capacité à s'enrichir mutuellement de regards différents. Et c'est déjà énorme.
Guillaume Hérisson : Il y a une réelle démarche d'entrepreneur et d'intrapreneur chez VINCI. De nombreux jeunes responsables de VINCI regardent, innovent, recherchent un impact social, des innovations écologiques. Pour un groupe comme VINCI, c'est important de garder ces jeunes et de les faire entreprendre au service de leur métier historique, comme le montre très bien le LAB que VINCI a développé dans le 12ème et qui s’appelle naturellement… LEONARD !
[1] Groupement d’Employeurs pour l’Insertion et la Qualification
Les facteurs clés de succès du partenariat
Par Yohann Marcet, Directeur de GROUPE SOS Consulting
LIVA est un très bel exemple de Joint-Venture Sociale réussie. À l’origine, il y a l’identification d’un véritable besoin, le métier de la logistique de chantier, qui permet de créer une structure sociale avec un modèle économique solide et la volonté forte d’un groupe, VINCI, d’améliorer son impact autour d’une innovation sociale et entrepreneuriale au service de son activité. Bien qu’alimentée de demandes internes au Groupe VINCI, LIVA est aujourd’hui une entreprise qui propose ses services à l’ensemble des acteurs du secteur ce qui permet de démultiplier aussi les possibilités d’embauche des salariés en insertion accompagnés par le Groupe Ares.
Il faut noter que le rôle moteur de membres dirigeants de VINCI a été décisif dans la réussite du projet, aussi bien économique que sociale, et lui a permis aussi de se diffuser en interne et d’essaimer. VINCI a ainsi décidé aujourd’hui de déployer 4 nouvelles Joint-Ventures sociales. L’un des principaux enjeux de la Joint-Venture sociale est en effet de capitaliser sur les externalités positives du projet tels que l’acculturation via les interactions avec des acteurs de l’ESS, la capacité à innover et la possibilité pour les jeunes cadres dirigeants de voir concrètement le Top Management s’engager derrière un projet socialement vertueux.
La réussite d’une Joint-Venture Sociale ne se mesure donc pas uniquement sous le prisme quantitatif, comme le chiffre d’affaires ou bien le nombre de personnes en insertion même si dans le cas de LIVA sa croissance est importante et peut avoir un impact réel sur l’emploi local. L’aspect qualitatif, notamment dans la capacité à créer des ponts durables entre le monde de l’entreprise et le monde du social, est certainement l’un des premiers et véritables objectifs d’une Joint-Venture Sociale.