Il y a six mois, l’Institut de l’Entreprise et le GROUPE SOS, avec GROUPE SOS Consulting, lançaient la newsletter Entreprises de demain qui, à travers des interviews croisées entre dirigeants d’entreprises et entrepreneurs sociaux, entend mettre en lumière des collaborations mutuellement bénéfiques entre grands groupes et acteurs de l’ESS. Ces entretiens révèlent la façon dont le rapprochement entre ces deux modèles peut réconcilier utilité sociale et intérêts économiques et être bénéfique à chaque partie comme à la société dans son ensemble. Après six mois de publications, retour sur des enseignements clés que nous ont déjà livrés ces témoignages et quelques ingrédients du succès de ces collaborations.

 

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Des projets alignés sur les intérêts stratégiques et économiques de l’entreprise

Si le partenariat entre Nespresso et Pur Projet bénéficie aux producteurs de la filière café, il œuvre aussi dans l’intérêt du groupe Nespresso. Tristan Lecomte, fondateur de Pur Projet, souligne ainsi que « l’engagement de Nespresso était aussi motivé par une problématique d’image et business puisqu’avec le changement climatique, la production de café de qualité est menacée ». Analyse confirmée par Nathalie Gonzales, directrice générale adjointe de Nespresso, pour qui « il s’agit de sécuriser de la chaîne d’approvisionnement pour renforcer les liens avec les producteurs et assurer des revenus supplémentaires dans une logique où tous les acteurs sortent gagnants ». Ce positionnement de Nespresso sur le segment de café neutre en carbone est au cœur du modèle économique de l’entreprise et a vocation à constituer un avantage stratégique.

Destinée à lutter contre le surendettement des personnes en situation de fragilité économique, la collaboration entre BNP Paribas et les associations Crésus marque la volonté du Groupe bancaire de développer des solutions à impact social qui soient efficientes économiquement. Antoine Sire, directeur de l’Engagement chez BNP Paribas soulignait ainsi les enjeux sociaux et économiques que cette collaboration présente pour la banque : « avec la crise, il y a eu une accélération des clients transférés via notre plateforme à Crésus (…) c’est important pour la cohésion sociale qu’il y ait un suivi de ces personnes issues de la classe moyenne, car elles ont aussi besoin d’un filet de sécurité. Une banque comme BNP Paribas ne peut pas faire l’impasse sur ces personnes ». Pensé dans une logique préventive, ce partenariat vise à éviter que ses clients fragiles se retrouvent dans une situation d’exclusion irrémédiable. À cet accompagnement de publics nouveaux s’ajoute le développement d’une offre de micro-crédit personnel adaptée à la typologie de l’implantation urbaine de la banque.

Dans sa volonté de s’attaquer à la problématique de l’impact environnemental de ses projets immobiliers, le Groupe Bouygues Immobilier a pour sa part engagé une collaboration avec le CentSept, association dont l’approche d’accompagnement en matière d’innovation sociale ancrée sur le territoire faisait écho à la stratégie du groupe. C’est notamment à travers le développement d’une plateforme B2B responsable en matière de déchets et de réemploi de matériaux de construction que le groupe espère mieux répondre à de futurs appels d’offres : une collaboration doublement bénéfique qui contribue à développer l’avantage concurrentiel de l’entreprise tout en répondant directement aux besoins et aux spécificités du territoire.

Une réponse à des besoins concrets

L’identification d’un véritable besoin autour des métiers de la logistique de chantier a incité VINCI Construction à déployer de nouvelles prestations logistiques ; c’est dans ce contexte qu’est née la structure LIVA, co-entreprise du Groupe Ares et de VINCI Construction qui a répondu à ce besoin tout en permettant d’accompagner des personnels en insertion. Alimentée de demandes internes au Groupe VINCI, LIVA est aujourd’hui une entreprise qui propose ses services à l’ensemble des acteurs du secteur, permettant ainsi de démultiplier les possibilités d’embauche des salariés en insertion accompagnés par le Groupe Ares.

Les conditions de réussite de ces collaborations apparaissent ainsi liées, dès leur conception, à la réponse à des besoins concrets de terrain : « un prérequis », selon Chloé Brillon du GROUPE SOS, « pour que les projets fonctionnent, qu’ils soient porteurs de sens et puissent gagner en visibilité ». Illustration faite par la collaboration entre le Groupe Coca-Cola et le GROUPE SOS dans le cadre du projet Quartiers Cafés qui contribue, dans un contexte de crise sanitaire et sociale, à la revitalisation des commerces dans les quartiers prioritaires.

La volonté de répondre aux besoins concrets des populations précaires est aussi au cœur de la collaboration entre le groupe Kellogg’s et le réseau Andes pour qui l’importance de l’accès à un petit déjeuner équilibré, en particulier pour les populations précaires, a initié le projet d’ateliers de petits-déjeuners dans les épiceries solidaires du réseau.

Des collaborations portées au plus haut niveau de l’entreprise

Nombre de témoignages révèlent que les collaborations réussies sont portées au plus haut niveau de l’entreprise. C’est le cas chez VINCI où le rôle des dirigeants a été décisif dans la réussite économique et sociale de la joint-venture sociale (JVS) Liva, menée avec le Groupe Arès et dont la vocation principale est de favoriser l'insertion de personnes en situation d’exclusion. Selon Guillaume Hérisson (co-directeur général du Groupe Arès), l'intérêt de cette collaboration a reposé sur « une relation équilibrée, de confiance, avec un double portage, particulièrement de la part des dirigeants de VINCI, qui mettent l'impulsion ».  De la même façon, la collaboration entre Pur Projet et le Groupe Nespresso autour de la production de café durable a porté ses fruits grâce au soutien sans faille du top management au sein du groupe Nespresso. D’après Tristan Lecomte, fondateur de Pur Projet, « cette trajectoire est en l’état rendue possible grâce à la volonté sans faille des dirigeants de faire bouger les lignes (…) Quand il y a un vrai leadership au niveau du CEO, cela change tout ». Les acteurs du partenariat entre le Groupe Kellogg’s France et le réseau d’épiceries solidaires Andes décrivent eux aussi un l’engagement de la direction d’une entreprise décidée à faire vivre la vision de son fondateur, qui déjà ambitionnait de donner accès à une alimentation saine au plus grand nombre.

Force de frappe et bénéfices de l’hybridation

Les acteurs de l’ESS interrogés soulignent l’importance du soutien des grands groupes pour initier des projets, augmenter leur impact et passer à l’échelle. Pour Yann Auger du réseau Andes, « le fait que Kellogg’s soutienne fortement cette démarche a enclenché tout le reste. Ce premier engagement nous a permis d’amorcer et de sécuriser ce projet (…) cela aurait été impossible autrement ». 

Même constat pour Guillaume Hérisson du Groupe Ares sur le métier de la logistique de chantier : « c'était un métier peu mature, avec un fort potentiel de maximisation en termes d’impact social. Cependant, nous étions conscients que nous ne pouvions pas y aller seuls, en termes de prise de risque, de capacité d'investissement et au vu de l'apparition de nouveaux acteurs ». L’alliance avec VINCI était une bonne façon professionnaliser leur process d'accompagnement vers l'emploi.

Pour Jean-François Kiehl, fondateur de la fédération des associations Crésus, l’alliance avec l’une des principales banques françaises a permis de renforcer leur action en prenant en charge ses bénéficiaires beaucoup plus en amont : « BNP Paribas est devenue l’un des plus importants prescripteurs de clients fragiles vers notre plateforme d’entraide ».

L’intérêt de travailler avec de grandes entreprises, selon Tristan Lecomte de Pur projet, est leur force de frappe : « en travaillant avec des grands groupes, nous pouvons atteindre de grandes échelles, c’est pour cela qu’il faut les encourager à suivre cette voie ».

Chloé Brillon du GROUPE SOS souligne l’apport d’un grand groupe comme Coca-Cola sur l’initiative Quartiers Cafés, « Coca-Cola avec son expertise CHR [1], sa capacité d’engagement financier et son maillage territorial fort, nous a permis de penser vite à des actions à impact sur l’ensemble du territoire (…) c’est une force unique que tous les acteurs n’ont pas : avoir la capacité de donner une telle visibilité à des initiatives très locales ».

Au-delà d’une force de frappe, l’alliance entre sphère économique et sociale présente des apports mutuels grâce à une hybridation des modèles et des pratiques. « Le monde bancaire nous a rendu plus responsables » considère ainsi Jean-François Kiehl. « Crésus coopère de plus en plus avec des opérationnels du risque et de la compliance, ce qui nous permet de progresser. Cette hybridation est véritable et doit avoir un impact ». Laurent Turpault du Groupe Coca-Cola ajoute « la complémentarité de nos savoir-faire et domaines d’expertise a été un facteur clé de succès permettant à chaque partie d’apporter sa valeur ajoutée ».

Des projets porteurs de sens pour toutes les parties prenantes

Nombre de témoignages révèlent que les collaborations fructueuses sont alignées avec les engagements sociétaux des entreprises et porteuses de sens pour les collaborateurs. À travers sa collaboration avec les associations Crésus, BNP Paribas renforce son engagement sociétal contre le surendettement dans une approche préventive. « Il y a une vraie envie dans l’entreprise de travailler avec le monde associatif et celui de l’ESS » selon Antoine Sire, « la quête de sens est réelle et il y a une forte demande de nos collaborateurs en ce sens (…) Cette collaboration est un signal fort envoyé à nos collaborateurs qu’ils ont le pouvoir et le devoir dans leur mission quotidienne de travailler sur ces sujets ».

La lutte contre la précarité alimentaire, présentée comme l’un des trois piliers de la stratégie RSE du groupe Kellogg’s, implique pour l’entreprise non seulementun engagement financier mais aussi en termes de temps, si bien que les collaborateurs du groupe sont régulièrement encouragés par leur direction à agir au profit de populations plus vulnérables, que ce soit par la participation à des ateliers petit-déjeuner, des journées de collecte ou des dons.

Selon Nathalie Gonzales du Groupe Nespresso, la naissance du partenariat avec Pur Projet et sa pérennisation ont été rendus possibles grâce à la philosophie interne de l’entreprise : « les collaborateurs ont en effet un grand sentiment de fierté d’appartenir à notre entreprise car elle est porteuse de sens (…) le projet fait sans hésitation consensus en interne car nous vivons depuis longtemps autour de ces idées. Tous les départements de l’entreprise et les membres du Comité de direction ont une connaissance poussée du sujet, qui est d’ailleurs un sujet de cohésion d’entreprise ».

Ces témoignages révèlent ainsi que les effets bénéfiques de ces partenariats ne se situent pas qu’au niveau des bénéficiaires des programmes mais aussi de ceux qui les soutiennent car générateurs de satisfaction lié au sentiment de contribuer à une démarche positive.

S’inspirer des collaborations réussies et passer à l’action

Face à l’attentisme, Jean-François Kiehl rappelle qu’« il n’est pas toujours nécessaire d’avoir des règlements, des lois ou des interventions de l’Etat pour avancer » mais des « initiatives conjuguées à impact économique ». Bérengère Bouvier (Bouygues Immobilier) vante pour sa part une collaboration accélératrice du changement positifs dont les « actions sont parfois plus efficaces que l’écriture de longs documents stratégiques ».

Autant de témoignages qui suscitent l’envie d’agir par l’exemple et ouvrent de nouvelles perspectives : « Quand on voit que notre concurrent regarde de près ces résultats pour créer sa propre structure d’insertion on ne peut que se féliciter du fait que LIVA inspire les autres », se félicite Guillaume Hérisson, « je pense que notre défi, en tant qu’acteurs de l’économie sociale, c'est que l'on reste une goutte d'eau par rapport aux urgences sociales et à l’exclusion. Si l'on sait s'associer avec une entreprise comme VINCI, il n'y a pas de raison que l'on n'arrive pas à s'associer avec des acteurs de notre monde, de l'ESS et du monde social en général, pour créer des groupements qui puissent répondre à des enjeux nationaux d’entreprises comme VINCI ou d'autres grands groupes ».

 

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[1] Cafés Hôtels Restaurants