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Olivier Gondry, Directeur des Ressources Humaines, IKEA

Théo Scubla, Fondateur & CEO, EACH ONE

Quelles furent les circonstances de votre rencontre ?

Théo Scubla (TS) : Nous nous sommes rencontrés début 2013 via Opcommerce, à l’initiative d’IKEA qui avait lancé un appel d’offre pour trouver un partenaire capable de l’aider à recruter des personnes réfugiées. EACH ONE a été sélectionné par IKEA pour l’accompagner dans une démarche de recrutement dont l’objectif était de faciliter la rencontre avec des talents et de sensibiliser ses collaborateurs à cette démarche. Cet accompagnement « tout en un » s’inscrit dans une logique de création de valeur.

Olivier Gondry (OG) : En 2010-2013, nous avions envie de construire un plan d’égalité en trois parties, avec une dimension diversité (des collaborateurs au reflet de la société), égalité (hommes-femmes) et inclusion (populations LGBT ou personnes avec handicap). La contribution d’IKEA à un monde plus égalitaire passe aussi par la mise en place d’un système d’inclusion à destination des populations réfugiées. À l’initiative d’une collaboratrice dans un de nos magasins à Metz, de premières initiatives avec EACH ONE,  ont vu le jour. Leur succès a accéléré notre volonté d’accueillir plus de 180 personnes réfugiées dans l’entreprise à horizon 2023. En juin 2020, nous avons accueilli notre première classe de population réfugiée. La relation avec EACH ONE n’a cessé de grandir et a impliqué 33 unités (sur un total 40 magasins en France), avec un accueil à ce jour de plus de 89 personnes réfugiées au sein de l’entreprise. Notre défi territorial a été clairement remporté !

Comment se passe cette collaboration entre une petite et une plus grande entreprise ?

OG : C’est une collaboration fluide car nous avons d’un côté un mastodonte, IKEA, un paquebot de 11 000 collaborateurs, puis de l’autre côté, EACH ONE, avec un esprit de start-up orientée services qui avance très vite. Nous avons l’intention de décentraliser ce programme et de capitaliser sur la volonté des collaborateurs qui seront à leur tour des acteurs clés dans le lien avec EACH ONE. Nous misons sur le pragmatisme avec une approche qualitative plutôt que quantitative. Nous souhaitons donner sa chance à chaque personne et sommes aujourd’hui à 80-90% de rétention sur chaque classroom. Nous construisons ce programme avec humilité.

TS : En effet, cela s’est construit étape par étape. La collaboration a été fluide malgré les complexités potentielles : plusieurs métiers, régions et sites avec de nombreux managers à former et sensibiliser. Mais le programme a été conçu pour faire face à ces complexités et les anticiper. Malgré les trois confinements traversés, nous avons mené à bien notre projet, car il y avait plus que jamais un enjeu de recrutement et de formation pour l’entreprise à l’heure du click and collect. Cela implique un travail de prévision, de planification et de communication avec les collaborateurs d’IKEA. Il faut s’en donner les moyens.

Chez Ikea, avez-vous toujours procédé par association avec des acteurs de l’ESS ou est-ce nouveau ? Comment procédiez-vous avant ?

OG : Cette collaboration est le fruit d’une expérience qui a démarré il y a 15 ans, lorsque nous avons réalisé un travail sur la thématique des populations réfugiées avec l’UNHCR [1]. Ce plan égalité 2020-2023 fait date et marque notre capacité à travailler sur ces trois piliers d’égalité, de diversité et d’inclusion. Il nous fallait recourir à des partenaires extérieurs pour nous aider à travailler sur toutes ces thématiques (égalité hommes-femmes, handicap, accueil réfugiés) et trouver des solutions viables. Le partenariat avec EACH ONE a été primordial pour développer cette ambition sur tout le territoire.

Coté EACH ONE, avez-vous développé d’autres collaborations avec des entreprises ?

TS : EACH ONE existe depuis 2015. Nous avons eu plusieurs vies ! Nous avons collaboré avec beaucoup d’autres entreprises comme BNP Paribas sur la gestion des risques d’endettement, avec une grande maison de luxe, avec L’Oréal ou encore Monoprix sur des sujets retail. Nous travaillons avec près de la moitié des entreprises du CAC 40 et de façon très différente avec chaque entreprise.

Quelles ont été les réussites marquantes de votre collaboration ?

TS : Pour nous, l’enjeu à l’origine était d’avoir un réel impact sociétal à travers des démarches d’inclusion, autant en interne qu’en externe. Pour IKEA, l’enjeu d’impact sociétal s’est peu à peu confondu avec un enjeu business car l’entreprise y trouve aussi son intérêt. Si nos premiers échanges avec IKEA ont beaucoup porté sur la question de l’engagement, ils ont ensuite donné lieu à une pensée plus systémique du côté d’IKEA avec un projet qui prend une dimension économique, sociale et culturelle. Ce fut gratifiant pour EACH ONE de travailler dans ce sens et d’observer cette évolution.

OG : La réussite de cette collaboration se traduit par la capacité de ces personnes réfugiées à s’intégrer pleinement à un programme de neuf semaines de formation dont deux tiers du temps est consacré à l’apprentissage des soft skills (prise de parole en public) et des hard skills. Le tiers restant est dédié à la mise en pratique des acquis, en immersion, dans l’entreprise. Au-delà d’une solution prémâchée, EACH ONE contribue en amont et en aval à l’ensemble du processus de formation et d’intégration, de ces personnes réfugiées et ce, tout au long de leurs parcours. Le fait de verrouiller toutes ces étapes est un vecteur de succès.

TS : Il s’agit de construire un accompagnement à 360°, qui ne soit pas juste centré sur le candidat mais qui prenne en compte les autres composantes de l’entreprise et qui s’inscrive sur la durée. Dès la phase de sourcing, il faut être capable d’accompagner ces personnes sur une formation immersive aux soft et hard skills. Pour solder cette formation, il leur faut acquérir les codes du monde du travail spécifiques à la France, la corporate culture française, mettre en avant leurs savoirs et maîtriser les hard skills liés aux métiers de la manutention ou du conseil clientèle. En parallèle, il faut former et accompagner les équipes d’IKEA pour que tout se passe de façon fluide : lever d’éventuels freins, s’assurer que les managers et employés y participent avec conviction et qu’ils y trouvent du sens. Cela passe par des considérations très pratiques : comment manager des personnes issues de milieux et de réalités différentes et faire de ce trajet de formation un levier stratégique pour l’entreprise ?

OG : Ces modules de formation sont le nerf de la guerre de notre collaboration car ils permettent de préparer au mieux ces personnes à s’insérer dans le monde professionnel. Ils les aident à identifier leurs forces et faiblesses, à se préparer à intégrer le monde de l’entreprise et à comprendre les valeurs que porte IKEA. Il s’agit aussi pour elles de renforcer leur employabilité en se constituant un socle de compétences utiles à intégrer des univers professionnels différents. À l’issue de cette période d’immersion chez Ikea, les candidats peuvent continuer chez nous ou intégrer d’autres entreprises forts des acquises de la formation.

TS : La grande majorité de ces personnes (90%) sont recrutées par IKEA. EACH ONE continue à accompagner les 10% restants à l’issue de la période de formation.

Les équipes d’IKEA sont-elles intégrées à la formation ?

TS : Les équipes d’IKEA sont le pivot qui permet aux projet de réussir. Le travail de EACH ONE est de leur donner les bons outils, de les sensibiliser à cette approche de formation, à l’accueil des personnes réfugiées, pour que le recrutement se fasse dans de bonnes conditions. Il faut qu’au quotidien, il y ait une vraie équipe qui fonctionne de façon fluide, et que le fait que la personne soit réfugiée ne soit plus un sujet mais un talent que l’on recrute comme les autres. C’est sur ce terrain que l’on peut avancer. La formation aux hard et soft skills se fait par des formateurs de EACH ONE, des prestataires de formation et des professionnels qui interviennent selon la pédagogie la plus adaptée, avec les équipes d’IKEA, de sorte que les choses soient le plus fluide possible et qu’il n’y ait pas de barrières, de blocages ou de frictions.

OG : Tout comme nous préparons l’intégration des populations réfugiées, nous préparons aussi nos parrains et marraines à accueillir ces personnes. Nous travaillons sur les biais inconscients, les stéréotypes et les a priori. Nous formons aux différences culturelles et aidons à comprendre les signaux propres à différents types de cultures. La clé de la réussite de cette initiative est liée à l’acceptation et à la compréhension des populations réfugiées par leurs parrains et marraines.  

TS : Souvent l’absence de formation à l’inclusion des personnes réfugiées au sein des équipes peut créer des freins à leur intégration. Parfois les collaborateurs ne sont pas aussi exigeants avec ces personnes qu’avec d’autres et il faut les aider à prendre conscience de leurs biais. Les personnes réfugiées doivent pouvoir à la fois s’intégrer et performer dans une démarche proactive.

Avez-vous, au sein d’IKEA, des objectifs chiffrés ?

OG : Le succès doit pouvoir se mesurer. Nous visons la formation de 180 réfugiés d’ici fin 2023 – un objectif qui sera largement dépassé. Il y a un engouement au sein des unités qui ont déjà vécu cette expérience avec une envie de recommencer et de perpétuer ce modèle. On sent aussi une volonté chez ceux qui n’ont pas encore pu intégrer ce programme. Ce programme s’inscrit dans l’ambition plus large du groupe d’accueillir 2500 personnes réfugiées à travers le monde. Chaque pays mène sa propre initiative et IKEA France est pionnière en la matière.

Y a-t-il des métiers sur lesquels vous rencontrez des difficultés à recruter par les voies classiques ?

OG : Il ne peut y avoir de réussite si c’est juste pour faire joli sur ardoise. Tout ce qui est construit doit être porteur de sens et construit sur un besoin. Nous étions en tension sur le recrutement des métiers logistiques en pleine explosion et sur la relation client. La réussite est garantie par une relation gagnant-gagnant pour tous.

TS : Si les initiatives ne sont pas ancrées dans une réalité, on ne peut s’attendre à un réel engouement de la part des parties prenantes. Elles doivent répondre à des besoins, à des urgences, à des tensions.

Quels sont les profils des personnes réfugiées recrutées et quel type de contrat leur offrez-vous ? Imaginez-vous ce programme avec des profils plus qualifiés ?

OG : Nos responsables d’unités proposent toutes sortes de contrats en fonction des ouvertures, malgré les difficultés qu’il y a pu avoir en période de Covid-19. Nous ne faisons pas ce programme pour proposer des CDD de deux semaines mais pour s’inscrire dans le temps long et être dans une réelle démarche d’inclusion. La proposition de CDI doit être la norme et la pierre angulaire de nos offres de recrutement. Par ailleurs, notre programme n’a pas de prérequis en termes de qualifications et s’adresse tout autant à des populations réfugiées qualifiées mais nous tenons à construire des programmes de formation plus longs avec des offres plus étoffées. Nous avons eu l’occasion de rencontrer, lors des entretiens des profils de candidats incroyables, en termes de qualifications, d’énergie et de dynamisme, donnant lieu à des choix de recrutement parfois difficiles. Une fois rentrés dans la machine IKEA, tout est possible pour eux en termes d’ascension sociale et professionnelle.

TS : Nous souhaitons accompagner différents profils sur le champ de la qualification de façon massive et systémique. Sur les cohortes d’IKEA, nous observons une diversité de profils allant de candidats sans bac à des profils bac +5. Tous souhaitent mettre le pied à l’étrier et grimper au sein de l’entreprise. Nous constatons une forte motivation chez des personnes moins qualifiées qui ont un fort attachement à la marque de l’entreprise. C’est un passeport pour elles.

Pouvez-vous nous en dire plus sur le statut d’entreprise à mission d’EACH ONE ?

TS : Notre mission est de permettre aux personnes réfugiés de trouver un emploi sans déclassement, à hauteur de leurs compétences et de permettre aux entreprises de les intégrer en faisant de ces recrutements un levier stratégique. Nous souhaitons apporter des solutions systémiques aux problèmes d’inclusion. Notre travail vise à connecter les intérêts des uns et des autres et à prendre en compte les systèmes existants pour trouver des solutions pérennes. Nous nous attachons davantage aux résultats qualitatifs qu’aux objectifs quantitatifs. À cet égard, il faut souligner l’accomplissement exemplaire d’IKEA, autant sur le plan qualitatif que quantitatif avec déjà 100 personnes réfugiées recrutées. Cela montre que de vraies avancées peuvent se faire à l’échelle de l’entreprise et de façon systémique, au-delà de l’échelle de l’individu.

Ikea a-t-elle défini une raison d’être ?

OG : Il ne s’agit pas d’une raison d’être mais d’une vision : améliorer le quotidien du plus grand nombre. Cela se dessine en offrant des solutions pour nos clients, en améliorant le quotidien des collaborateurs et des personnes issues de populations plus fragiles. Cette vision de l’entreprise vient de son fondateur et se décline partout.

Quelles sont les prochaines étapes de votre collaboration et vos objectifs pour les mois et années qui viennent ?

OG : Les prochaines étapes consisteront à asseoir notre ambition définie dès le départ en poursuivant ce programme avec l’objectif d’accueillir 180 personnes réfugiées d’ici 2023. Nous continuons à être ambitieux et à déployer notre plan d’égalité. Nous souhaitons continuer à trouver des solutions pionnières et innovantes car nous avons la capacité à changer la société dans le bon sens. Sens et performance sont les deux critères qui permettent à l’entreprise de continuer à déployer ces initiatives dans une logique gagnant-gagnant.


[1] Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés

 

En France, IKEA est le leader de l’ameublement et de l’aménagement de la maison avec 15,43% de parts de marché. IKEA France emploie 11 307 collaborateurs (Meubles IKEA France, Distribution Service IKEA France et IKEA Centres France). IKEA fonde son développement sur une culture d’entreprise suédoise très forte, des valeurs ancrées, clés de son succès. Cette culture et ces valeurs communes à l’ensemble des collaborateurs et des pays dans lesquels IKEA est implanté́, aident chacun à se développer et à contribuer à la vision du Groupe IKEA qui est d’améliorer le quotidien du plus grand nombre. 

EACH ONE est une entreprise à mission créée en 2015, qui voit la question de l’inclusion comme un levier de performance durable des entreprises et focalise son action sur le recrutement des réfugiés. Constatant un décalage fort entre le potentiel des personnes que nous accompagnons et la réalité de leur situation, il nous est apparu que les entreprises ont tout à y gagner. Les actions en faveur du recrutement de ces personnes permettent d’allier sens et performance et de s’engager.