Selon une étude menée en 2019 par l’Institut de l’Entreprise, 64% des actifs pensent qu’ils auront envie de changer de secteur d’activité ou de métier au cours de leur vie professionnelle. Cette « envie » est en fait une nécessité. Elle résulte des bouleversements majeurs du marché du travail qu’induisent la révolution numérique et la nécessaire décarbonation de l’économie.

Si le renforcement de l’employabilité des Français relève pour une grande part de l’action publique – notamment en ce qui concerne la formation académique –, et de la proactivité individuelle, les entreprises jouent aussi un rôle majeur. Elles sont déjà nombreuses à consacrer une part importante de leurs ressources à la formation continue et aux transitions professionnelles de leurs collaborateurs. Un investissement auquel les Français sont de plus en plus attentifs, et qui est de manière croissante perçu comme un élément de renouvellement du contrat social de l’entreprise.

Mais le rôle des entreprises est appelé à devenir de plus en plus déterminant : au contact quotidien du terrain, elles sont conscientes de leurs besoins d’aujourd’hui, et de ce qu’ils seront demain.

C’est pourquoi il apparaît capital de prendre toutes les mesures qui permettront aux entreprises de contribuer davantage au développement de l’employabilité des Français – au cours de leur formation initiale mais également tout au long de leur vie – et de renforcer par là-même leur attractivité d’employeurs. Ces mesures devront s’attaquer à divers freins, clairement identifiés par les entreprises, au rang desquels :

  • Un déficit de connaissances de la réalité des métiers, des entreprises et de leurs besoins dès l’école primaire, et une forte inégalité d’accès à cette connaissance.
  • La difficulté, en termes de procédures et de délais, de faire homologuer les formations certifiantes que conçoivent les entreprises et, ce, dans un temps compatible avec la réalité opérationnelle de leur activité. Or, sans cette homologation, pas d’accompagnement par les fonds dédiés à la formation professionnelle, auxquelles elles consacrent pourtant des cotisations considérables.
  • La difficulté pour les Français, aussi bien que pour les entreprises cherchant à former leurs collaborateurs, de s’orienter dans l’univers des offres de formation ou de passer à l’action. 74% des actifs souhaitant changer de secteur d’activité ou de métier déclaraient en 2019 n’avoir pas suivi de formation pour opérer ces changements au cours des 5 dernières années – seulement 13% en ayant suivi une dans les deux dernières années.

« Le télétravail, s’il présente un intérêt certain, porte également un risque collectif pour l’emploi : celui de la délocalisation. Renforcer l’employabilité des Français, c’est donc un enjeu de compétitivité pour notre pays et ses entreprises, mais aussi une exigence de cohésion nationale. La puissance publique et les entreprises doivent y oeuvrer de concert. »

Marie-Christine Lombard, Présidente du directoire de GEODIS

Présidente de la commission « Employabilité »

Propositions

Proposition n°1 : Initier, dans un souci d’égalité des chances, une dynamique partenariale entre l’Éducation nationale et le monde de l’entreprise pour mieux acculturer les élèves au monde professionnel.

  • Inscrire systématiquement, dans le cursus de formation des enseignants, des stages en entreprise pour rapprocher ces deux mondes qui se connaissent peu.
  • Permettre à chaque classe de collège et de lycée de recevoir régulièrement, dans le cadre des heures dédiées à l’orientation, un témoin du monde professionnel (issu d’une entreprise, des professions libérales, d’une administration, etc.).
  • Passer à l’échelle supérieure pour les partenariats publics-privés d’éducation dans les filières d’avenir (ex. : P-Tech).

Développer davantage de passerelles entre l’Éducation nationale et le monde de l’entreprise est une clé majeure du développement de l’employabilité des Français.

Le déficit de connaissance et de compréhension des enjeux du monde professionnel se creuse très tôt dans la scolarité. Il est aussi source de profondes inégalités au moment de l’orientation, entre des élèves qui ont accès, grâce à leur entourage ou au volontarisme de leurs enseignants, aux réalités de l’entreprise, et ceux qui en sont privés.

Les initiatives qui existent aujourd’hui, par exemple en matière de stages d’enseignants en entreprise ou de témoignages de professionnels en milieu scolaire, sont utiles et courageuses, mais faites à petite échelle et en ordre dispersées. L’Institut de l’Entreprise considère qu’il doit s’agir d’une priorité de l’action publique, en partenariat avec les entreprises, afin de systématiser les bonnes pratiques à l’échelle nationale.

 

Proposition n°2 : Renforcer, dans les programmes de primaire, l’enseignement des mathématiques, sciences et technologies, des langues et du travail en équipe.

Face à une réalité en rapide évolution dans le monde professionnel, il apparaît nécessaire de repenser les programmes éducatifs. Dès l’école primaire, les élèves français doivent tous être davantage formés à l’apprentissage des langues, des mathématiques et des sciences, ainsi que des « soft skills » (le travail en équipe notamment) – autant de compétences qui s’apprennent d’autant mieux qu’elles sont ancrées dès la jeunesse et qui leur seront essentielles dans une vie professionnelle, où la polyvalence est devenue l’un des critères majeurs de recrutement, et l’adaptabilité aux situations nouvelles, une nécessité pour évoluer.

 

Proposition n°3 : Permettre aux entreprises d’honorer un nouveau pilier du contrat social avec leurs collaborateurs en leur donnant les clés pour maintenir et développer leur employabilité tout au long de leur vie active.

  • Labelliser et octroyer des avantages financiers aux entreprises investissant au moins 25% de plus que la moyenne nationale dans des formations certifiantes / diplômantes. Et ce, par catégories d’entreprises (TPE, PME, ETI, grands groupes), à tous les niveaux de leur organisation et pour tous les types de formations certifiantes / diplômantes (hard skills et soft skills).
  • Simplifier les processus et réduire les délais qui permettent à une formation interne d’entreprise d’obtenir une certification. Cela pourrait passer par un assouplissement de l’inscription au RNCP.
  • Permettre aux OPCO de financer plus facilement les formations certifiantes / diplômantes internes des entreprises s’adressant à leurs collaborateurs.

Les entreprises doivent être davantage soutenues par les pouvoirs publics pour donner aux salariés les clés d’un apprentissage permanent, d’une formation continue tout au long de carrières qui sont de moins en moins linéaires.

Cette évolution du contrat social bénéficiera à tous :

  • Pour les salariés, le développement de leur employabilité est essentiel dans un contexte de bouleversement du marché du travail ;
  • Pour les entreprises, la capacité d’adaptabilité des salariés est une condition de réussite des transformations ;
  • Pour l’État et les contribuables, cela permet de ne pas faire peser sur les comptes publics le coût de la formation continue

 

Proposition n°4 : Publier de manière systématique, en Open Data, les indicateurs de performance de toutes les formations professionnelles certifiantes / diplômantes menant vers les métiers en tension.

L’enjeu est de permettre aux jeunes et à leurs familles, à toute personne souhaitant se former, et aux entreprises qui souhaitent former leurs collaborateurs de mieux percevoir les chances d’insertion professionnelle à l’issue d’une formation sur un métier en tension (c’est-à-dire un métier dans lequel les entreprises ont des difficultés à trouver suffisamment de candidats). Ce type de dispositif, qui est déjà pratiqué pour certaines formations initiales, peut servir à mieux informer le public sur les filières d’avenir qui recrutent.

Les membres de la commission

Sous la présidence de Marie-Christine Lombard (Présidente du directoire de GEODIS), la commission « Employabilité » a réuni :

  • Fabienne Arata (Directrice générale de LinkedIn France),
  • Christophe Carval (Directeur des Ressources Humaines d’EDF),
  • Vincenzo Esposito Vinzi (Président du Groupe ESSEC),
  • Olivier Girard (Président d’Accenture France et Benelux),
  • Béatrice Lafaurie (Directrice générale en charge des RH de BPCE),
  • Esther Mac Namara (Vice-Présidente en charge des programmes vers l’emploi d’OpenClassrooms),
  • Thierry Munier (Président-directeur général d’Altempo),
  • Laurent Musy (Président-directeur général de Terreal),
  • Jean-Jacques Salaün (Directeur général d’Inditex France),
  • Charlotte Vandeputte (Associée et membre du Comité Exécutif en charge des RH de Deloitte France et Afrique francophone).

Perception citoyenne

En grande majorité, la thématique de l’employabilité est appréhendée par les Français moins sous l’angle de leur adaptation personnelle aux évolutions du marché du travail que sous celui des décisions politiques et des nouvelles pratiques d’entreprises qu’ils appellent de leurs voeux, afin de corriger les injustices que produit le marché du travail et qui empêchent de nombreuses catégories de Français d’être suffisamment employables.

Ainsi, la première dimension qui revient le plus quand on évoque le thème de l’employabilité est celle de l’inclusion, révélant l’émergence d’une grande aspiration à « laisser sa chance à tous ».

« C’est important car il peut y avoir de nombreuses situations où les jeunes cherchent à s’insérer, à postuler dans une entreprise et il y a de nombreuses situations où on est recalé car on n’a pas fait telle formation très spécifique, et pas intégré tel établissement très coté et à cause de cela on part du principe que la personne ne sera pas bonne : il y a des freins, des barrières. Là il y a un travail de la part des entreprises pour moins se freiner et donner leurs chances à des profils plus atypiques »

Saint-Brieuc, 18-29 ans

Pour faire advenir cette plus grande ouverture des entreprises aux personnes en dehors des standards, de nombreux participants militent pour une réinvention des méthodes de recrutement, en citant de pratiques répandues dans d’autres pays.

« Aux USA, on donne une chance qu’on ne donne pas en France. Ici, il faut justifier. Alors qu’aux USA, ils jugent sur la valeur. Ils font un test, et après ils savent s’ils gardent ou pas. Alors que là, il faut justifier d’un CV, d’expériences, c’est un peu dommage. »

Angers 46-65 ans

 

Est évoquée également le souhait de pouvoir bénéficier de plus de passerelles entre différentes fonctions dans l’entreprise.

« Il faudrait aussi encourager la possibilité pour un salarié de passer d’un poste à un autre, même si ce ne sont pas des postes dans le même domaine. On a tous en tête le succès de personnes qui faisaient de la finance et sont passées à de la RH. Et les employeurs, comme pour le premier emploi, sont toujours un peu frileux de donner une chance à la personne. Quelqu'un qui vient avec des compétences techniques dans un poste différent, il a un regard neuf, de bonnes idées. »

Angers 46-65 ans

 

Parmi les discriminations à l’oeuvre dans l’entreprise, celle sur l’âge est perçue comme la plus criante. Avec pour certains le sentiment que la tranche d’âge « non discriminée » se réduit comme peau de chagrin.

« Dans le recrutement, la discrimination sur l’âge c’est ce que je vois le plus. Déjà on est jeune on n’a pas d’expérience, et à 50 ans on est trop vieux. À 30 ans, ce sont les femmes avec les enfants… On n’est pas du tout sorti de ça. »

Bayonne, 30-45 ans

 

Cette attente d’inclusivité liée à l’âge s’adresse aussi aux outils de l’employabilité : des Français de plus de 50 ans insistent sur l’importance que la formation en entreprise ne concerne pas seulement les jeunes générations de salariés.

« Comme la retraite est tout le temps repoussée, j’aimerais qu’on n'oublie pas la formation des seniors quel que soit leur poste, ça c’est un sujet clé pour moi. »

Dole, 46-65 ans

 

Les propositions sur l’employabilité sont celles qui, parmi les quatre thèmes, ont remporté le niveau d’adhésion le plus important et le plus spontané.

Certaines ont même fait l’objet d’un plébiscite unanime : les mesures pour rapprocher l’Éducation nationale et le monde de l’entreprise, par exemple en faisant venir régulièrement en classe des témoins de la vie professionnelle ou en imposant un stage en entreprise durant la formation des enseignants.

Tous les participants se sont attachés à témoigner du décalage qu’ils avaient ressenti ou qu’ils ressentaient entre la formation académique et les besoins et attentes du monde professionnel, insistant souvent sur la nécessité de développer des approches moins scolaires de l’enseignement.

« Les études n’ont pas besoin d’être scolaires. Il faut davantage décloisonner et synchroniser l’école avec la vie active. »

Reims, 30-45 ans

 

Ces mesures n’ont jamais été comprises, comme certains détracteurs essayent parfois de le dénoncer, comme une tentative d'immixtion de l’entreprise dans les affaires de l’Éducation nationale. Au contraire, elles sont apparues comme « de bon sens et utiles pour l’égalité des chances. »