Votre Quotidienne des Entreprises en Action s’enrichit d’un nouveau rendez-vous hebdomadaire. Désormais, chaque mercredi, le cabinet d’études et de conseil ELABE nous proposera sa note de tendances #VigiElabe. Consacrée depuis la semaine dernière aux débats de fond soulevés par l’épidémie, cette note offre une synthèse analytique fondée sur les prise de paroles les plus inspirantes d’intellectuels, d’éditorialistes, de dirigeants politiques ou économiques, d’universitaires, de scientifiques, en France comme à l’international, permettant de se projeter, de s’interroger, de se préparer à l’après-crise.

Cette semaine, la #VigiElabe se penche sur un des premiers sujets de débat, apparu très vite après le début de la propagation du virus : la mondialisation.

VigiElabe

Vendredi 27 mars 2020

« Cette crise que nous traversons aujourd’hui est inédite, historique disent même certains, sans conteste à juste titre, en ce sens qu’elle n’a été ni anticipée, ni préparée. Par personne. Ni par les pouvoirs publics. Ni par les entreprises. Ni même pas la plupart des scientifiques. Les questions qu’elle soulève sont nombreuses et restent pour l’heure en suspens. Si nous devons nous les poser aujourd’hui, sans doute ne pourrons-nous y répondre que demain, une fois cette crise derrière nous.

Toutefois, un consensus s’établit d’ores et déjà assez clairement parmi tous les observateurs : la mondialisation connaîtra un avant et un après coronavirus.

De ce constat partagé naît pourtant des projections opposées. Certains vont jusqu’à prédire un mouvement de démondialisation. D’autres estiment au contraire qu’il s’agit d’une nouvelle étape du processus consubstantiel à l’histoire de l’humanité qu’est la mondialisation, qui doit conduire à sa redéfinition ou à son renforcement… les versions, là encore, varient.

Au sein d’Elabe, nous avons souhaité établir un état des lieux du débat à date. Nous reviendrons sur ce sujet d’ici quelques semaines. Nulle réponse unique et prédictive donc à chercher dans ce travail, dont n’a jailli qu’une question de plus : assiste-t-on aujourd’hui à une crise DE la mondialisation, ou une crise DANS la mondialisation ? »

Bernard Sananès, Président du cabinet d’études et de conseil ELABE

 

Un révélateur des faiblesses de la mondialisation

Dans un article publié dans l’Obs, le politologue Romain Lecler décrit la crise actuelle comme « un pur produit de la mondialisation » en ce que, d’une part, « elle nous rappelle combien nos économies sont interdépendantes » et, d’autre part, elle « pointe du doigt une pathologie globale qu’est notre addiction collective à la mobilité internationale ». Un constat partagé par le sociologue Serge Guérin, qui martèle dans un article publié dans La Tribune que « ce n'est pas le virus qui se déplace mais l'économie mondialisée et le culte de l'immédiateté qui le déplacent. » Cette relation entre mondialisation et épidémies n’est pas nouvelle : le politologue Bertrand Badie rappelle dans une interview publiée dans l’Obs que « la grande peste au Moyen-Âge était déjà venue de Chine » - la nouveauté étant « la rapidité étourdissante et paralysante de la dissémination ». Pour nombre d’observateurs, à l’instar de Xavier Timbeau, directeur de l’OFCE, cette épidémie apparaît également comme « un révélateur inédit de la dépendance du monde aux approvisionnements internationaux et en particulier chinois » - une situation « particulièrement problématique pour un ensemble de biens stratégiques comme les masques de protection, le gel hydroalcoolique ou les appareils de respiration assistée, etc. », qui « imposera des réflexions importantes en sortie de crise ».

Edgar Morin : Cette crise nous montre que la mondialisation est une interdépendance sans solidarité. Faute de solidarité internationale et d'organismes communs pour prendre des mesures à l'échelle de la pandémie, on assiste à la fermeture égoïste des nations sur elles-mêmes

Mais plus encore que la relation – évidente – entre cette pandémie et la mondialisation des flux de biens et de personnes, c’est surtout la dichotomie entre mondialisation économique et mondialisation politique ainsi que l’impotence du multilatéralisme qui, pour les observateurs, sont révélés par cette crise. Dans une tribune publiée dans le journal Business Standard, le directeur adjoint du ministère des Finances indien, Aakanksha Arora, s’émeut ainsi de « l’échec complet de la mondialisation non-économique », et de « l’incapacité de l’OMS à contrôler activement les pandémies ». Un constat également déploré par l’économiste anglais Will Hutton, qui fustige « l’indifférence sinon le mépris des États membres de l’OMS à l’égard de l’institution internationale » et le « spectacle désordonné des normes de confinement et de quarantaine nationales, qui varient énormément d’un pays à l’autre ». Des commentaires tout aussi sévères sont formulés à l’encontre de l’UE : l’ancien directeur économique de la Commission européenne, Paul Goldschmidt, déplore « le spectacle démoralisant de l’incapacité de l’Union, qui fait éclater au grand jour la primauté persistante de l’État-Nation ».

Pour certains observateurs, toutefois, l’avalanche de critiques à l’égard de la mondialisation est jugée un peu facile et de courte vue : l’économiste canadien Vincent Geloso rappelle ainsi que « l’effet net de la mondialisation sur l’impact des épidémies est scientifiquement très difficile à évaluer » : « si l’augmentation des échanges accélère leur dissémination », la mondialisation a aussi permis  « d’améliorer la nutrition, les systèmes de soin, et la recherche médicale » - de sorte qu’il conviendrait, selon l’auteur, de « désidéologiser le regard que l’on porte sur elle ».

Un tournant sans précédent ?

Un consensus se fait parmi les observateurs pour dire que le coronavirus va ralentir le processus de mondialisation et les échanges internationaux. Toutefois, les évaluations du degré de cet impact et des propriétés de ce mouvement sont très variables.

Zacha : Lorsque cette crise passera, nous trouverons probablement une nouvelle confirmation de ce que nous savons déjà sur la mondialisation : qu'elle est facile à haïr, pratique à cibler et impossible à arrêter

Certains, à l’instar de l’économiste James Crabtree, affirment que « la crise du coronavirus va engendrer une dé-mondialisation en accélérant le découplage entre les États-Unis et la Chine », ce qui aboutira in fine « à l'effondrement du modèle de mondialisation tributaire du commerce », et « un retour à l’État comme échelon économique de référence ».

L’économiste américain Michael T. Klare partage le pronostic d’une dé-mondialisation du commerce international, mais explique quant à lui qu’elle devrait aboutir à « l'émergence accélérée de blocs régionaux semi-autonomes : un composé de la Chine et ses États clients, un autre centré sur l'Europe et un troisième reliant l'Amérique du Nord et l'Amérique du Sud » -  tout en anticipant « une atrophie voire la disparition des institutions transcontinentales comme l’OMS ». La transformation de la mondialisation en blocs régionaux est également présagée par Robert D. Kaplan, CEO d’Eurasia Group : cette pandémie constitue selon lui « le marqueur historique de l’entrée dans une deuxième phase de mondialisation », dans laquelle le monde sera « séparé en blocs de grandes puissances disposant de leurs propres armées et leurs chaînes d'approvisionnement distinctes ». Pour Paul Goldschmidt, au contraire, cette crise pourrait marquer le début d’une atomisation du bloc régional européen, avec un « risque de contamination à l’Europe du virus séparatiste, à l’image de la poussée constatée actuellement en Belgique ». D’autres analyses attribuent à cette crise une portée moins radicale – bien que majeure. Ainsi, le Directeur de la recherche économique de BNP-Paribas, William de Vijlder anticipe que « ce choc sanitaire va conduire les entreprises à s'interroger sur l'organisation de leur chaîne de valeur […] et amènera certaines d’entre elles à un raccourcissement de celle-ci voire à  une relocalisation d’activités ». Une position partagée dans la même interview par Patrick Artus, directeur de la recherche et des études chez Natixis, qui précise toutefois que le coronavirus ne va « qu’amplifier un mouvement déjà à l’œuvre plutôt que le créer ».  

Si la nécessaire réflexion qu’engendrera cette crise sur la mondialisation est unanimement saluée, nombre d’observateurs se montrent également inquiets de potentielles dérives nationalistes. L’économiste américain Zachary Karabell redoute ainsi que la réponse apportée soit un « un repli dans des forteresses nationales qui sont tout sauf sûres », alors que « la seule vaccination fiable contre de futures pandémies apparaît être la coopération transnationale ». Une opinion partagée par Edgar Morin, pour qui cette crise met également au jour « une communauté de destin humain » dont il faut impérativement prendre acte pour créer de nouvelles solidarités mondiales : pour le philosophe, c’est là « le message clair porté par ce virus, et malheur à nous si nous refusons de l'entendre ».

 

Lien des articles :

Romain Lecler, "Ce n’est pas une simple crise", L’Obs

https://www.nouvelobs.com/coronavirus-de-wuhan/20200321.OBS26386/ce-n-est-pas-une-simple-crise-nous-vivons-une-interruption-inedite-de-la-mondialisation.html

Serge Guérin, "Le Covid-19, une leçon d'humilité", La Tribune

https://acteursdeleconomie.latribune.fr/debats/2020-03-24/serge-guerin-le-covid-19-une-lecon-d-humilite-843079.html

Bertrand Badie, « La sécurité des Etats n’est plus géopolitique, mais sanitaire », L’Obs

https://www.nouvelobs.com/coronavirus-de-wuhan/20200321.OBS26373/bertrand-badie-la-securite-des-etats-n-est-plus-geopolitique-mais-sanitaire.html

Xavier Timbeau, « Coronavirus : un changement de donne radical pour la mondialisation ? «C’est aller un peu loin»

http://www.leparisien.fr/economie/coronavirus-un-changement-de-donne-radical-pour-la-mondialisation-c-est-aller-un-peu-loin-13-03-2020-8279094.php

Will Hutton, Coronavirus won’t end globalisation, but change it hugely for the better, The Guardian

https://www.theguardian.com/commentisfree/2020/mar/08/the-coronavirus-outbreak-shows-us-that-no-one-can-take-on-this-enemy-alone

Paul Goldschmidt, “Covid 19: la globalisation en question?”, La Libre

https://www.lalibre.be/economie/decideurs-chroniqueurs/covid-19-la-globalisation-en-question-5e733d0dd8ad582f31b600b1

Vincent Geloso, Pandémie et mondialisation, La Presse

https://www.lapresse.ca/debats/opinions/202003/16/01-5264957-pandemie-et-mondialisation.php

Edgar Morin,

« Le confinement peut nous aider à commencer une détoxification de notre mode de vie »,

L’Obs

https://www.nouvelobs.com/coronavirus-de-wuhan/20200318.OBS26214/edgar-morin-le-confinement-peut-nous-aider-a-commencer-une-detoxification-de-notre-mode-de-vie.html

Zachary Karabell - The Wall Street Journal - The End of Globalization? Don't Count On It

https://www.wsj.com/articles/will-the-coronavirus-bring-the-end-of-globalization-dont-count-on-it-11584716305

James Crabtree, Coronavirus crisis will send globalization into reverse, Nikkei

https://asia.nikkei.com/Opinion/Coronavirus-crisis-will-send-globalization-into-reverse

Michael T. Klare, From Globalization to Regionalization?, The Nation

https://www.thenation.com/article/economy/globalization-regionalization-covid/

Robert D. Kaplan, Coronavirus Ushers in the Globalization We Were Afraid Of, Bloomberg

https://www.bloomberg.com/opinion/articles/2020-03-20/coronavirus-ushers-in-the-globalization-we-were-afraid-of

Marie-Amélie Fauchier-Magnan, Vers une autre forme de mondialisation, post Covid-19 ?, Wansquare

https://www.wansquare.com/012-29235-Vers-une-autre-forme-de-mondialisation-post-Covid-19.html

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