Le Directeur Général de la Toulouse School of Economics était le grand témoin de la conférence sur le climat organisée à l’Institut de France par Sociétal en partenariat avec l’Académie des Sciences morales et politiques. Le président de l’Association européenne des économistes de l’environnement qui a publié en 2019 Le climat après la fin du mois, aux éditions PUF, analyse « comment résoudre collectivement le défi climatique » dans un grand entretien que La Quotidienne des #EntreprisesEnAction publie en 5 parties. Christian Gollier plaide dans la seconde partie pour qu’un système payeur-pollueur soit mis en place pour lutter contre le réchauffement climatique (2/5). 

Philippe Plassart - Vous plaidez pour la fixation d’un prix au carbone. Vous ne jurez que par ce seul moyen pour lutter contre la propagation des gaz à effet de serre. Sur quoi se fonde votre conviction ?

Christian Gollier - Mais oui, et je suis loin d’être le seul ! Il existe aujourd’hui un consensus massif parmi les économistes académiques dans le monde pour dire qu’on ne parviendra pas à résoudre le problème sans imposer à l’ensemble de la société un prix du carbone. 

Quel est l’argument ? Quand vous achetez un croissant pour votre petit-déjeuner, vous payez un prix qui correspond au coût que la société a subi pour vous permettre cette consommation : valeur des efforts du boulanger, coût de la farine, etc. 

Ce « signal-prix », comme disent les économistes, est un élément clé de l’économie de marché qui fait que les consommateurs ne consomment que des biens et services pour lesquels ils donnent plus de valeur que ce qu’il en coûte à la société de les produire. Reconnaissons que c’est un principe d’efficacité plutôt intuitif, comparé par exemple à un système économique où les biens sont gratuits, mais la rareté est gérée par un mécanisme de rationnement ou de copinage politique. 

Quand vous décidez d’émettre du CO2, vous n’avez aucune incitation à intégrer le dommage climatique induit dans votre décision, qui est un sacrifice porté par la société et pas par vous. L’idée d’un prix du carbone égal à ce dommage est de nous forcer à l’intégrer dans notre décision. Ce signal-prix aligne notre intérêt privé avec l’intérêt général, exactement comme pour le prix du croissant. Ce prix du carbone nous conduit à nous comporter envers le climat comme si le pollueur était la victime de sa propre pollution. L’idée d’un prix du carbone n’est en fait rien d’autre que l’application du principe pollueur-payeur au climat.

Quelles sont les conséquences concrètes de la mise en place d’une taxe carbone ? 

La mise en place d’une taxe carbone conduira à un renchérissement du prix relatif des biens et services qui nécessitent beaucoup de CO2. Cela incitera les consommateurs à modifier leurs habitudes de consommation. Ils achèteront des voitures moins polluantes, se déplaceront plus souvent en vélo ou en transport en commun, consommeront moins de tomates produites en serre et plus de produits fabriqués localement. 

Jouer sur les prix pour modifier les comportements, ça marche. Depuis des décennies, le prix de l’essence est moitié moindre aux États-Unis, et les voitures y sont beaucoup lourdes, puissantes et énergivores. 

Quand la France impose une taxe sur les fenêtres entre la révolution de 1789 et les années 1920 pour financer les services publics, les Français réduisent le nombre de fenêtres de leur habitation ! 

C’est l’annonce aujourd’hui d’un prix du carbone qui devra croître rapidement année après année qui déclenchera la transition. Beaucoup d’investissements de la transition ont des durées de vie très longues, d’une dizaine d’années pour une voiture électrique à un demi-siècle pour une centrale nucléaire. Il est donc crucial que ce prix élevé du carbone soit crédible, de manière à faire comprendre que les investissements bruns aujourd’hui seront massivement pénalisés tout au long de leur vie. Cette crédibilité est très faible aujourd’hui. 

Comment rendre crédible un prix élevé du carbone ? 

Je propose avec mon collègue Jacques Delpla et le think tank Astérion que l’Union Européenne délègue à une agence indépendante, que nous nommons la Banque Centrale du Carbone (BCC), la gestion des émissions de CO2 et de leur signal-prix. L’Union fixerait démocratiquement l’objectif de réduction des émissions à un, dix, vingt et trente ans. La Banque Centrale du Carbone gérerait les émissions de permis et leur prix pour atteindre cet objectif, et redistribuerait aux États les revenus de cette politique. 

Cette solution duplique une idée qui fut un des plus beaux succès de l’Union, celui de la BCE. Dans la deuxième partie du XXème siècle, les pays européens ont été incapables de rendre crédible leur politique monétaire, ce qui a conduit à des vagues d’inflation dévastatrice. En déléguant cette politique à une BCE indépendante et en lui confiant le mandat démocratique d’un objectif d’inflation à 2%, l’Union a définitivement gagné la bataille de la crédibilité de sa politique de lutte contre l’inflation. Nous proposons de faire la même chose avec la politique climatique.

N’existe-t-il pas d’autres moyens pour encourager la transition énergétique ? Par exemple, l’imposition de normes anti-CO2, l’octroi de subventions aux énergies renouvelables. Pourquoi ces moyens ne trouvent-ils pas grâce à vos yeux ? 

Pour gagner la guerre mondiale contre le changement climatique, il va falloir mettre en branle très rapidement une myriade d’actions, des plus petites et plus grandes, à exécuter par des milliards de gens et d’entreprises. Imaginer qu’on va pouvoir organiser cela d’en-haut relève d’un cauchemar orwellien. L’expérience des économies planifiées où le petit père du peuple détermine qui peut consommer quoi devrait nous apprendre que cette façon de faire n’est pas très efficace. Dans ce débat sur le changement climatique, j’ai parfois l’impression qu’on se refait le film de la Guerre froide où l’on débattait des avantages relatifs de l’économie de marché et de la planification soviétique ou maoïste. 

Désirer interdire les vols intérieurs ou les grosses voitures, ce n’est pas une très bonne idée d’un point de vue de l’efficacité économique. Effectivement, certaines personnes, qui ont une valeur du temps plus faible, devraient prendre le train plutôt que l’avion, tandis que pour d’autres, les vols intérieurs sont cruciaux. Pour les familles nombreuses, une grosse voiture vaut sans doute mieux que deux petites pour se rendre sur le lieu de villégiature. Donner à l’État, ou je ne sais qui, le droit de juger qui devrait faire quoi me semble très problématique. Le prix du carbone évite de devoir faire ces choix d’en-haut qui crisperont inéluctablement nos sociétés. Il met chacun devant ses responsabilités.

 

Propos recueillis par Philippe Plassart, Rédacteur en chef du Nouvel Économiste, Vice-Président de l’Ajef, membre du conseil éditorial de Sociétal. 
 
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