Responsable du programme scientifique Politiques commerciales au CEPII, Cecilia Bellora décrit pourquoi il est difficile de lier accords commerciaux et politique environnementale.

SOCIÉTAL - Brexit. Critiques de Donald Trump contre l’OMC jugé « inéquitable » envers les États-Unis. Retrait des USA de l’accord de Paris sur le climat. Est-il encore possible de signer des accords internationaux qui soient une méthode efficace pour lutter contre le réchauffement climatique ?

Cécilia BELLORA - La situation est complexe mais le climat ne peut être régulé efficacement qu’au niveau mondial. Tous les travaux des économistes le prouvent.

Les accords commerciaux ne sont pas la méthode la plus efficace pour lutter contre le changement climatique. La méthode la plus efficace restera toujours une politique climatique (et pas commerciale) ambitieuse, au niveau mondial, puisque le changement climatique est un problème global. Aujourd’hui, nous n’arrivons pas à mettre en place une telle politique. On se pose donc la question d’inclure des clauses environnementales dans les accords commerciaux. Quoi qu’il en soit, passer par les accords commerciaux pour traiter des questions climatiques restera toujours un instrument de « second rang », beaucoup moins efficace qu’une politique climatique. 

Le développement des échanges commerciaux entraîne-t-il une dégradation de l’environnement et une augmentation des émissions de gaz à effet de serre ?

Le commerce a bien entendu des impacts directs et indirects sur les émissions de gaz à effet de serre. Mais la réalité n’est pas aussi simple que le croient ceux qui affirment que le développement des échanges commerciaux est responsable de la dégradation de l’environnement. 

Les économistes ont-ils étudié l’impact du commerce international sur l’environnement ?

La question de l’impact du commerce international sur l’environnement n’est pas nouvelle. Elle est présente dans la littérature économique depuis les années 1970. Les travaux se sont multipliés dans les années 1990, lors des débats autour des négociations de l’Accord de libre-échange nord-américain et de l’Uruguay Round du GATT et à mesure de l’accroissement des volumes échangés (multipliés par 9 entre 1980 et 2014), la part du commerce dans le produit intérieur brut mondial atteignant aujourd’hui 30 % [1].

Quels sont les effets du commerce sur le changement climatique ?

Les travaux théoriques ont mis en évidence les trois principaux mécanismes par lesquels le commerce peut avoir un impact sur le changement climatique. 

Un accroissement du commerce peut induire une augmentation de la production et donc, toutes choses égales par ailleurs, des émissions de gaz à effet de serre. Il s’agit de « l’effet d’échelle ».

La libéralisation commerciale déplace la production des biens et services en fonction des avantages comparatifs des pays qu’elle concerne. Ainsi, compte tenu des prix, la production d’un bien donné peut être relocalisée vers des pays à fortes émissions unitaires (ou inversement). Cet effet est dit « de composition ». Son impact sur les émissions peut être négatif ou positif.

Enfin, le commerce peut avoir un « effet technique » : il peut rendre disponible, ou réduire le coût de certaines technologies et ainsi modifier les modes de production, et donc les intensités d’émission. Les discussions sur les biens environnementaux à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) visent ainsi à réduire les barrières tarifaires concernant les technologies les moins polluantes. A noter toutefois que ces négociations sont à l’arrêt et que la liste des produits identifiés comme « environnementaux » est sujette à débat.

Ces mécanismes augmentent-ils tous les émissions de gaz à effet de serre ?

Les effets d’échelle tendent à augmenter les émissions alors que les effets de technique tendent à les diminuer.

Les effets de composition sont plus ambigus. Ils dépendent des avantages comparatifs, ces derniers étant influencés par la dotation en facteurs de production du pays considéré mais également par les politiques (commerciales, environnementales…) en place. Un pays taxant faiblement le carbone aura un avantage dans la production de biens très émetteurs. On ne connait donc pas à priori l’effet total d’un accord commercial sur les émissions. C’est sur l’équilibre entre les effets de composition et techniques qu’une partie importante du débat a eu lieu.

Le commerce a-t-il d’autres conséquences sur l’environnement ?

Le commerce a également des impacts sur la biodiversité. Les transports facilitent la diffusion des espèces ; par exemple, les avions ont facilité le déplacement du frelon asiatique et de plantes invasives. En outre, c’est au travers du commerce qu’ont lieu les « effets de fuite ».

Prenons le cas des biocarburants de première génération : la demande accrue de produits agricoles dans certaines régions du monde peut pousser les prix internationaux à la hausse, conduire certains pays à augmenter leur production agricole, parfois en déforestant.

Cette déforestation va être à l’origine d’émissions de gaz à effet de serre et de pertes de biodiversité. Le commerce n’est pas la cause première mais il permet une déconnexion des lieux de demande et de production, favorisant ces effets de fuite, difficiles à limiter.

Est-il démontré que le commerce a un impact positif ou négatif sur les émissions de gaz à effet de serre ?

Dès le début des années 2000, il est clairement établi que les impacts du commerce sur les émissions dépendent du gaz considéré.

Les articles utilisant les techniques d’estimation qui tiennent compte du mieux possible des liens entre commerce, croissance et environnement, trouvent des résultats assez variés.

Sans être exhaustifs, voici quelques exemples. Frankel et Rose (2005) ne trouvent pas d’effet significatif du commerce sur les émissions de CO2, alors qu’ils en trouvent pour d’autres polluants. De leur côté, Managi et al. (2009) trouvent un impact différencié entre pays.

Lorsque le commerce se libéralise, les émissions de CO2 diminuent dans les pays développés (de fait, dans les pays de l’OCDE dans leur étude), l’effet technique et celui de composition, qui ici tend à diminuer les émissions, dominant sur les effets d’échelle. Au contraire, les émissions augmentent dans les pays en développement. Par ailleurs, Baghdadi et al. (2013) montrent que, lorsqu’un accord commercial contient des clauses environnementales, les différences d’émissions de CO2 entre pays signataires d’un même accord de libre-échange se réduisent, le pays le plus émetteur se rapprochant du moins émetteur.

Quel est l’impact du transport des marchandises ? 

Selon l’Agence internationale de l’Energie, le commerce international de marchandises serait responsable de 43 % des émissions du secteur des transports, soit 6 % des émissions mondiales en 2010 (AIE, 2012) si nous considérons que l’ensemble des transports maritimes, des véhicules routiers lourds et deux tiers des transports aériens sont dédiés aux marchandises. 

L’International Transport Forum avance des chiffres similaires : le transport de marchandises représente 30% des émissions du secteur des transports, soit 7% des émissions mondiales.

Tous les moyens de transport polluent-ils autant ?

La voie terrestre, l’aérienne et le maritime n’émettent pas la même quantité de gaz à effet de serre par kilo transporté. Mais les gaz à effet de serre ne doivent pas être les seuls critères pris en compte. Par exemple, les transports par bateau émettent moins de gaz à effet de serre que les transports par route, rapportés au kilo transporté, mais ils émettent plus de particules et de polluants atmosphériques. Sans oublier, que pour certains modes de transport, il y a des progrès technologiques possibles à moindre coût.

Pourquoi les transports ont-ils été exclus en 2015 des accords de Paris sur le climat ?

La raison est double. Les transports qui émettent 10% des gaz à effet de serre sur la planète, ont bénéficié d’un lobbying politique efficace. Il est également difficile de rattacher les émissions de gaz à effet de serre à un pays émetteur. 

Les équipes du CEPII ont étudié le volet environnemental de l’accord du CETA, l’accord de libre-échange signé entre l’UE et le Canada. Elles ont constaté que, contrairement à ce qui était attendu, cet accord commercial n’a qu’un impact très faible, quasiment nul, sur les émissions de gaz à effet de serre liées au transport.

Les accords commerciaux permettent-ils de de lutter contre le réchauffement climatique ?

Le bilan des accords commerciaux dépend largement des modalités choisies, des pays concernés et des politiques d’accompagnement. Ils peuvent également être utilisés comme monnaie d’échange. Un pays ou une région s’engage à donner un accès facilité à son marché, à un autre pays ou à une autre région à condition que cette dernière en fasse de même (jusqu’ici nous sommes dans le cadre d’un accord commercial réciproque standard) et mette en plus en place des politiques environnementales (ou respecte certains standards ou accords internationaux).

Quelles sont les mesures possibles ?

Pour que les accords commerciaux permettent d’aider à lutter contre le changement climatique, il faut s’assurer qu’ils permettent une diffusion large des technologies à émissivité faible, en facilitant les échanges et l’aide technique dans les secteurs concernés.

Il faut également limiter les risques de « fuites » liées aux différences de réglementation entre pays partenaires, ce qui justifie des clauses environnementales contraignantes.

Les clauses contraignantes sont-elles efficaces ?

Aucun accord de libre-échange inclut des clauses contraignantes dans quelque domaine que ce soit.

Sur les questions environnementales, à ma connaissance, aucun accord commercial n’inclut des clauses contraignantes. Il a été question d’inclure des clauses contraignantes, sur des questions non pas environnementales mais de droit du travail, dans l’accord de Partenariat TransPacifique entre les États-Unis et onze pays, négocié par l’administration Obama.

Les pays membres de l’accord pouvaient augmenter leurs droits de douane si les autres partenaires, et en particulier le Vietnam, ne respectait pas les accords de l’Organisation Internationale du Travail. Mais le président des États-Unis Donald Trump a retiré son pays de l’accord avant la signature. L’accord a été conclu entre les onze pays restants, mais la clause en question a été retirée.

Les clauses contraignantes ne peuvent être efficaces que si la monnaie d’échange est suffisamment intéressante : l’accès au marché européen peut être un levier suffisant pour conduire certains pays à accepter ce type de clause.

Fin août 2019, à la veille de l’ouverture du G7 à Biarritz, le président de la République Emmanuel Macron a annoncé que la France ne signerait pas l’accord de libre-échange entre l’Union Européenne et le Mercorsur (Brésil Argentine, Paraguay et Uruguay) en accusant le président brésilien de ne pas avoir respecté l’accord de Paris sur le climat alors que des incendies spectaculaires ravageaient la forêt amazonienne. La politique environnementale va-t-elle peser de plus en plus sur la politique commerciale ?

La France a affiché la volonté de ne pas signer des accords commerciaux qui ne seraient pas cohérents avec l’Accord de Paris. Dans le cadre de l’Accord de Paris, le Brésil s’est engagé à diminuer ses émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2030, à anéantir la déforestation illégale et à reforester une partie des surfaces déforestées illégalement. Les incendies de cet été ont montré que ces engagements n’étaient pas respectés.

Le commerce peut être un levier dans les négociations. Mais cette approche peut être vécue comme une ingérence par les pays mis en cause tant la perception des responsables politiques et des opinions publiques est différente sur les mêmes sujets selon les pays.

Cette approche va-t-elle rendre les négociations internationales encore plus difficiles ?

Le risque d’allonger les négociations qui sont déjà longes et complexes est réel. L’accord avec le Mercorsur a demandé 20 ans de négociations. Celui du Ceta 7 ans de négociations. L’accord même au sein de l’Union européenne risque d’être plus difficile à obtenir.

Imposer une taxe carbone dans une région du monde ou un pays affaiblirait-il les entreprises qui devront la payer ? 

Les entreprises implantées dans la région qui devraient payer des taxes carbone,seront moins compétitives sur leur marché domestique et à l’exportation que leurs concurrents installés dans les autres régions du monde qui ne paient pas cette taxe.

Afin de ne pas défavoriser les sociétés, il pourrait être envisagé d’imposer la même taxe aux importateurs. Mais cette taxe ne résoudrait que le problème de la concurrence sur le marché domestique et pas sur les marchés d’exportation.

Ce type de taxe ne permet pas non plus de limiter efficacement les effets de fuite. Il faudrait donc le lier à d’autres types d’instruments, qui eux permettraient d’inciter les partenaires à mettre en place des politiques environnementales ambitieuses.

Quel serait l’impact d’une taxe carbone sur les importations en provenance des États-Unis, second plus gros émetteur de gaz à effet de serre au monde après la Chine, qui ont décidé le premier juin 2017 de se retirer de l’accord de Paris ?

Si l’ensemble des signataires de l’accord de Paris imposait une taxe carbone aux importations en provenance des États-Unis, cela réduirait les exportations de ces derniers de 104 milliards de dollars en 2030 (-3 %), mais affecterait peu leurs émissions (-115 millions de tonnes, soit -1,7 %).

Le faible impact d’un ajustement carbone est dû au fait que les États-Unis sont un pays de grande taille, où la production est principalement destinée à la consommation domestique. En outre, l’ajustement aux frontières aurait un effet négligeable sur le produit intérieur brut (PIB) des signataires de l’accord. En d’autres termes, face aux États-Unis, l’ajustement aux frontières aurait principalement valeur de signal politique, avec peu d’effets environnementaux ou économiques.

Mobilisations des jeunes dans de nombreux pays. Mouvement de citoyens. Appels en faveur du consommer moins et à la destruction de la civilisation occidentale. Le débat sur le réchauffement climatique va-t-il devenir un enjeu messianique ?

Les consommateurs et les citoyens manquent d’informations. Il serait très utile que nous ayons davantage d’informations sur l’impact environnemental des produits que nous utilisons pour mieux comprendre les conséquences de nos choix. C’est pourquoi les économistes défendent l’idée d’intégrer un signal carbone dans le prix des objets que nous achetons.

Propos recueillis par Yann Le Galès

[1] D’après les données de l’Organisation Mondiale du Commerce et de la Banque mondiale.

Vous voulez recevoir la Quotidienne des Entreprises En Action ? Cliquez sur l'icône représentant une enveloppe sur notre site !

Vous voulez proposer le témoignage de votre entreprise ? Écrivez-nous ICI