En cette période de confinement, nous parlons beaucoup de l’école à la maison pour les étudiants, les collégiens et les lycéens, mais qu’en est-il des tout-petits ? Des études ont pourtant démontré que l’éveil des enfants entre 0 et 3 ans est déterminant pour la suite du parcours scolaire. C’est pour cela que Florent de Bodman a créé en 2017 une start-up associative, 1001mots, qui aide les parents à stimuler le langage de leurs enfants âgés de 0 à 3 ans. Alors quelles sont ses actions durant la crise actuelle ? Quel est l’impact de celle-ci pour cette jeune start-up ?

 

Créée en 2017, 1001mots est une start-up associative qui propose une solution inédite contre l’échec scolaire. Les études montrent que les enfants des familles défavorisées ont 2 fois moins de vocabulaire à 3 ans quand ils rentrent à l'école ; nous prévenons ces difficultés en aidant les parents à stimuler le langage de leurs enfants âgés de 0 à 3 ans. 1001mots a repris un programme digital à fort impact de l'Université Stanford : nous accompagnons les familles en leur proposant des livres, des idées de jeux éducatifs et des conseils individuels d'orthophonistes. Une évaluation scientifique du projet est en cours, menée par le laboratoire Poverty Action Lab d'Esther Duflo, prix Nobel d'économie 2019. 


Institut de l’Entreprise - Quel est le projet de 1001mots et où en étiez-vous avant le Covid19 ? 

Florent de Bodman - Le cœur de l'accompagnement parental que nous avons développé se fait à distance : le parent reçoit d’abord un appel téléphonique d’une orthophoniste de 1001mots, puis un livre dans sa boîte aux lettres puis des SMS avec des idées pour regarder le livre avec son bébé : capter son regard, lui poser des questions ouvertes, rebondir sur ses réponses. Ce suivi à distance est efficace ! Au bout de 6 mois, 89 % des familles regardent le livre au moins 2 fois par semaine avec leur enfant. En 2019, nous avons ainsi accompagné 800 familles. Nous souhaitons en toucher 2 000 cette année et 10 000 familles à l'horizon 2021.

Avez-vous pu poursuivre vos projets depuis le confinement ? 

1001mots reste opérationnel malgré la crise : toute l'équipe est passée en télétravail et 90% de notre suivi des parents est maintenu. C'est la vraie plus-value de notre suivi à distance : malgré la situation sanitaire inédite, nous sommes en mesure d'assurer la continuité pédagogique de l'accompagnement proposé aux familles. 

Est-ce que le passage au télétravail intégral a été un défi pour vous ?

Nous sommes une équipe salariée d’une dizaine de personnes, très agile ! Nos outils nous ont permis d’être particulièrement réactifs et d’adapter nos processus en quelques clics : nous n’avons que des ordinateurs et téléphones portables, nous travaillons sur un cloud commun et la trésorière de notre association habite actuellement à Séoul. Nous étions déjà habitués aux visioconférences. Nous sommes dispersés aux quatre coins de la France mais chacun reste extrêmement impliqué : la crise a montré la force de notre collectif, c’est une vraie joie pour moi.

Quelles adaptations de vos projets auprès des parents avez-vous mis en place ?

La situation est compliquée pour toutes les familles, mais encore plus pour celles que nous accompagnons : les parents ont peu d’argent et souvent des jobs précaires, ils sont souvent isolés dans leur quartier et doivent cohabiter avec leurs enfants dans de petits logements. Nos orthophonistes appellent actuellement 150 familles : ces appels duraient 15 à 20 minutes avant la crise mais ils se prolongent aujourd'hui. Nous animons aussi des groupes Facebook et Whatsapp où les parents peuvent partager leurs propres idées d’activités : ils n’ont jamais été aussi vivants ! Les parents sont très désireux de s’épauler mutuellement. À notre échelle, nous affrontons aussi la crise de la logistique : nous voulons expédier aux familles 150 livres d’ici 15 jours ; reste à trouver des postiers qui pourront les prendre en charge. Pour les familles, c’est un bien essentiel actuellement ! 

Comment se servir de la période de confinement pour créer des rituels éducatifs avec les enfants ?

Le confinement crée une situation unique : avec la fermeture des crèches et des écoles, les parents doivent se passer des professionnels et tout faire eux-mêmes ! C’est un gros défi mais aussi une occasion intéressante : les parents sont plus présents et ont plus de temps, et ils sont moins pressés pour les activités quotidiennes avec leurs enfants (bain, habillage, repas, etc.). 

C’est le bon moment pour introduire plus de langage et de jeu dans ces routines quotidiennes : le bain peut être l’occasion de nommer les parties du corps, de regarder des livres en plastique, de proposer des jeux de transvasement (qui introduisent à des notions mathématiques comme « plus grand » ou « plus petit »). C'est aussi l'occasion d'associer l'enfant à d'autres activités : préparer le repas, plier le linge, ranger le salon, faire pousser des plantes, etc. Ou encore de prendre le  temps de proposer au tout-petit une histoire avant de dormir.

Pourquoi les difficultés des jeunes enfants de familles défavorisées deviennent-elles encore plus prégnantes en cette période de crise ?

Les familles pauvres vivent souvent dans de très petits logements. 1001mots intervient beaucoup dans le 18e arrondissement de Paris : quand nous rendons visite aux familles, nous voyons parfois un couple avec 2 enfants qui se serre dans 20 m² ! En temps normal, c’est déjà très compliqué pour un enfant de 1 ou 2 ans de s’épanouir dans un tel espace : il a du mal à jouer, etc. Être confiné avec des tout-petits dans de tels logements est très dur à vivre. Les squares et jardins sont une échappatoire vitale, qui donnent des occasions de diversifier l’expérience quotidienne des enfants : ils peuvent découvrir de nouveaux mots liés à la nature par exemple. La fermeture des jardins parisiens est une catastrophe de ce point de vue.

Par ailleurs les familles suivies par 1001mots ont de petits revenus : souvent les parents ont des emplois précaires, au noir ou dans l’intérim. Ces emplois sont les premiers à avoir disparu depuis le confinement. La situation financière va être compliquée pour beaucoup de ces familles dans les prochaines semaines, et c’est mauvais pour leurs bébés.

Quelles seront vos priorités une fois cette crise terminée ?

Notre financement provient surtout de mécènes privés : particuliers, fondations familiales et fondations d’entreprise. Pour l’instant nous n’avons pas d’inquiétude : la crise ne remet pas en cause leur soutien. Au contraire, elle semble plutôt stimuler l’engagement philanthropique de nombreuses entreprises ! 

Notre priorité était de mener deux recrutements d’ici à cet été : nous gardons le cap et allons bientôt diffuser nos fiches de poste. Nous voulons recruter d’une part un product manager avec un fort intérêt pour le design de services et l’écoute utilisateurs, et d’autre part un jeune docteur en psychologie cognitive. Avec eux, nous mènerons en 2020 une deuxième phase de R&D, afin de créer un programme à plus fort impact : pour nous comme pour toutes les start-up, attirer les talents est la clé du succès ! 

 

Florent de Bodman, Directeur de 1001mots, auditeur IHEE de la 20ème Session Annuelle.

 

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