Retour

Avril 2014

 

Le développement du web 2.0 a accentué la prise de conscience de l’importance des outils collaboratifs aussi bien dans notre vie quotidienne que dans les entreprises. Devenus incontournables, les réseaux sociaux d’entreprise (RSE) ont pris leur essor au cours des dernières années. Aujourd’hui les trois quart des entreprises du CAC 40 disposent d’un RSE ou sont en train d’en développer un.

Dans sa nouvelle étude, Les réseaux sociaux d’entreprise : entre promesses et illusions, l’Institut de l’entreprise dresse un premier bilan de la mise en place des RSE et s’interroge sur leur capacité à répondre aux fortes attentes placées en eux.

En s’appuyant sur une trentaine d’entretiens menés auprès d’acteurs de l’entreprise (DRH, DSI, directeurs de la communication, directeurs du knowledge management, salariés utilisateurs), de consultants et de chercheurs, Denis Monneuse, expert associé à l’Institut de l’entreprise et auteur de l’étude, affirme que les RSE ne représentent pas de solution « clé en main » au travail collaboratif mais doivent s’intégrer dans une véritable stratégie collaborative de l’entreprise.

En effet, s’ils offrent des perspectives florissantes pour les entreprises qui possèdent déjà une culture de collaboration interne, les RSE ne créent pas à eux seuls les conditions de cette dernière. Deux conditions de succès des RSE se dégagent de l’étude : la nécessité de répondre à un véritable besoin de collaboration dans l’entreprise et la mise en œuvre d’un processus d’accompagnement du changement visant à créer un terreau favorable à la collaboration au sein de l’entreprise, sans déstabiliser pour autant le management de proximités.

L’essor des réseaux sociaux d’entreprise depuis quelques années est indéniable et l’ensemble des acteurs s’accordent à dire que ce mouvement est irréversible : à moins d’inventer un nouvel outil destiner à le remplacer, la marche en arrière semble impossible. Ainsi, les RSE deviendront sûrement un outil de travail central, à l’instar du smartphone et de l’email.

Les objections portées à leur égard s’estompent progressivement. Des risques existent quant à leur utilisation, certes, mais ils ne diffèrent guère de ceux qui existent déjà dans le « monde réel », c’est-à-dire dans le quotidien du travail et des relations en entreprise. Ce n’est pas l’outil en soi qui pose problème mais ses éventuelles utilisations délétères (excès, usages inadaptés, surveillance généralisée…

Les RSE n’en étant encore qu’à leurs débuts, il faut se garder d’adopter un ton péremptoire au moment d’effectuer un premier bilan. Cette précaution étant prise, il est toutefois difficile de ne pas ressortir de cette enquête avec un sentiment d’inachevé. Certaines entreprises l’avouent d’ailleurs à demi-mot : les promesses ne sont pas toutes au rendez-vous. À court terme, le nombre d’emails échangés ou les besoins de formation ne baissent pas significativement par exemple. La déception est alors à la hauteur des attentes initiales. Au-delà des craintes générées par la mise en place des RSE, le plus gros risque est sans aucun doute qu’il ne se passe rien ou pas grand-chose. Le problème n’est pas tant lié à l’outil qu’à son utilisation limitée ou non optimale dans les entreprises.

Un outil offre des perspectives, mais pas des solutions clés en main. Le RSE est un accélérateur pour les entreprises qui ont déjà une culture de collaboration, mais il ne crée pas à lui seul les conditions de la collaboration. La participation active et efficace au RSE est généralement le fait de communautés existantes, qui avaient déjà perçu l’intérêt de collaborer et démontré la capacité à le faire.

Autrement dit, cet outil devrait n’être considéré que comme un « plus ». Il est alors ­surprenant, voire inquiétant, de voir des entreprises attendre autant d’un outil comme s’il pouvait avoir des effets magiques dans une organisation. Cette surestimation est révélatrice d’un aveu de faiblesse, d’une certaine impuissance du management à transformer l’entreprise.

Loin d’être la panacée, les RSE sont avant tout des révélateurs des dysfonctionnements éventuels des entreprises qui tentent de les mettre en place. Ils dévoilent en effet en creux la persistance de la bureaucratie, les jeux de pouvoir, l’absence de confiance, la faiblesse de la collaboration, etc.

Il ne s’agit pas de nier les difficultés de mise en œuvre (la difficulté de mettre en place un outil partout dans le monde, la barrière des langues, les diverses législations nationales alors que l’outil se veut universel…), mais de souligner que le principal frein est culturel. La collaboration ne se décrète pas, elle ne peut advenir qu’à partir d’un environnement favorable qui donne envie de travailler avec autrui. Avant de mettre en place un RSE, il convient donc de travailler sur la culture de l’entreprise. Sinon, les community managers s’épuiseront à porter à bout de bras des communautés artificielles et à faire participer sur le RSE des personnes qui n’y sont pas prêtes.

Si leurs promesses sont sans doute légèrement exagérées – même certains éditeurs le reconnaissent –, les RSE offrent des perspectives fort intéressantes. Ne serait-ce qu’en permettant à ceux qui collaboraient déjà avant de le faire encore mieux.

Les réseaux sociaux numériques, qu’ils soient internes ou externes, ont la spécificité d’offrir des usages à la fois sociaux et collaboratifs. Dans l’entreprise, le social ne peut tenir sur la durée que s’il existe des sujets de travail et des projets communs sur lesquels les membres s’impliquent au-delà des liens de sociabilité. Le collaboratif, lui, repose en grande partie sur l’existence de liens sociaux, de partage d’ordre émotionnel et de sentiment d’appartenance, en sus de la communauté d’intérêt. L’avenir des RSE tient donc dans leur capacité à combiner des outils sociaux et des outils collaboratifs (et non à les opposer) afin de démultiplier leur efficacité et leur utilisation quotidienne.

Enfin, la mise en place d’un RSE devrait obliger l’entreprise à s’interroger sur son fonctionnement actuel et son fonctionnement cible, c’est-à-dire à penser l’organisation du travail et le système de management, à penser au cadre à mettre en place pour que la collaboration puisse passer de rêve à réalité. Malheureusement, les RSE ont souvent été lancés sans véritable réflexion sur leur rôle et leur intégration dans le travail quotidien. Les entreprises ont par exemple tendance à se focaliser plus sur le manuel d’utilisation du RSE ou sur une charte à respecter que sur l’essentiel, à savoir la création d’un cadre de bonne utilisation et les objectifs poursuivis.

Les RSE ne sont pas les seuls dans ce cas : le télétravail sert souvent à faire plaisir à un salarié en lui permettant de travailler de temps en temps chez lui alors que cela pourrait être l’occasion de repenser l’aménagement du travail ; le travail en mode projet se met en place mais consiste souvent à ajouter une couche de complexité dans des organisations déjà illisibles ; le travail en réseau ajoute de nouveaux silos, etc.

Ainsi, alors que les dirigeants considèrent généralement les RSE comme des sujets techniques, en l’occurrence surtout un questionnement sur le choix de l’outil, ils ­auraient intérêt à s’y intéresser de plus près pour en faire un des vecteurs de transformation et de performance de leur entreprise.

 

3 questions à Dennis Monneuse sur les réseaux sociaux d'entreprises, by institutdelentreprise
Retour